La plus grande constante dans le comportement humain est la tendance à la servilité. De tout temps, une majorité a été opprimée par une minorité , et elle n'a pu l'être que par consentement. Certe, il y a eu des soulèvements, des émeutes, des révoltes et même des révolutions mais l'oppression toujours a été rétablie. Et généralement par la violence des libérateurs dont le contre-pouvoir reprenait les moyens du pouvoir : institution, armée, police tout ce qui symbolisait justement les choses à abattre pour changer l'ordre social. Cependant, devenue médiatique, notre société permet de rêver d'un pouvoir qui, sans rien perdre de sa nature oppressive, déciderait de renoncer à la violence parce qu'elle n'est plus indispensable à la domination. Il n'est plus en effet nécessaire d'opprimer par la force pour soumettre étant donné qu'il suffit d'occuper les yeux pour tenir la tête et, avec elle, le lieu de la contestation éventuelle. Les anciens régimes s'essoufflaient à interdire, censurer, sans réussir à maitriser le lieu de la pensée qui pouvait toujours travailler silencieusement contre eux. Le pouvoir actuel peut occuper ce lieu de la pensée sans jouer de la moindre contrainte : il lui suffit de laisser agir la privation de sens. Et, privé de sens, l'homme glisse tout naturellement dans l'acceptation servile.
Les moyens de résistance sont tributaires du fait que, pour résister, il faut se savoir opprimé ou victime, et qu'il est difficile de développer cette conscience quand on est soi-même l'oppreseur de soi-même. Il n'y a personne d'autre que soi pour servir d'agent à la privation de sens : cette position rend difficile la prise de conscience de l'étendue des dégâts. Tantôt on se plaindra du temps trop longuement passé devant l'écran de télévision, tantôt on se moquera de la niaiserie d'un programme tout en l'ayant supporté, tantôt on se vantera de zapper à bon escient mais ces réserves vont rarement plus loin et surtout n'envisagent pas le véritable problème c'est à dire l'occupation opprimante par le flux des images. Le pire est qu'un bon programme procède à la même occupation de l'espace mental qu'un mauvais...
La société des spectateurs est elle aussi à deux vitesses, et l'ob voit bien que la concurrence entre les chaines et le souci de l'audimat ne jouent pas dans le sens de la qualité. Le seul souci est de séduire le plus largement possible afin qu'un audimat favorable valorise au maximum la minute de publicité. Cet "idéal" exige que le téléspectateur soit traité non pas en auditeur ou en client comme il semblerait normal, mais en tête à rendre docile aux messages publicitaires ou autres. C'est le but que se propose ouvertement la chaine la plus populaire, et cela signifie que son public, , soit près de la moitié des téléspectateurs français, va être manipulé au gré de ses intérêts alors qu'il croirait se distraire ou s'informer.
ce détournement qui se passe par une falcification sert à constituer une audience pour la vendre aussitôt à des annonceurs. Le public est un troupeau et on en décompte les têtes pour saoir qu'elle en est la quantité afin de la vendre aux maquignons de la publicité. Monsieur LeLay , pdg de TF1 s'est exprimé là dessus avec un cynisme qui a le mérite de mettre enfin les choses en clair..."le métier de TF1 c'est aider coca-cola par exemple, à vendre son produit. Or pour qu'n message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de rendre le cerveau disponible, c'est à dire de le divertir , de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca cola c'est du temps de cerveau humain disponible..."
Monsieur Le Lay ne dit pas ce qu'est un "cerveau humain disponible" tant cet état doit lui paraitre evidemment acquis, et tout aussi évidente la capacité de la télévision à le produire. Cette assurance est une manière implicite de nous rappeler que la télévision est bien le moyen le plus rapide et le plus efficace de vider le cerveau pour qu'il reçoive un "message" comme s'il le pensait. Incidemment Monsieur Le Lay indique un peu plus loin une raison de cette efficacité. "La télévision c'est une activité sans mémoire". Autrement dit la disponibilité ne tire aucune leçon de ce qu'elle enregistre un instant et elle demeure par conséquent inusable.
L'ironie - mais à l'égard de qui?- voudrait qu'on rappelât ici qu'au momen t de la privatisation de TF1 en 1987 Monsieur Bouygues argua du "mieux disant culturel" afin de l'emporter sur ses concurrents et s'approprier la chaine. Ce "culturel " s'est transformé en art de rendre le cerveau humain disponible, art que jusqu'ici aucun régime totalitaire n'avait su pratiquer avec un tel succès. Cette réussite masque son efficacité derrière un commerce qui semble ne concerner que les produits de consommation car il ne serait surement pas productif pour monsieur Le Lay d'expliquer que sa chaine a pour "vocation" de rendre notre cerveau disponible - par exemple- aux idées de monsieur Sarkozy. Il ne faut surtout pas prévenir le troupeau humain de l'acheteur auquel on va le céder si l'on peut pouvoir le livrer en bloc et sans problème.
On aura compris que la disponibilité à laquelle oeuvre monsieur Le Lay avec un pragmatisme admiré par tous les "entrepreneurs" n'est qu'un avatar de la vieille servilité. La société de consommation a besoin de cette servilité pour nous faire que nos choix ne sont dûs qu'à une information libre, objective et désintéréssé.
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