dimanche 12 janvier 2025

Onze voies fait Par Bernard Noël

 Tableau 8 : les mêmes un peu plus tard.

H - Et le sens de la vie dans tout ça ?

F - Il y en a tant de disponibles que vous avez le choix.

H - Vous avez réponse à tout mais vos réponses ne servent à rien.

F - Vous êtes un si brave petit homme ; vous devriez ranger votre langue dans une boite à pansements.

H - Elle peut vous être utile dans ce rôle si vous en manifestez le désir.

F - Et vous pourriez faire cela de sang froid ?

H - Sans doute avec le secours d'un sourire ?

F - Toujours besoin de sentiment...Faut-il que j'éclate de rire pour que vous compreniez enfin que notragédie est comique ?

H - Tout dépend de la position ?

F - Mettez-vous sur le dos pour changer !

H - Est-ce à dire que je doive vous laisser l'initiative ?

F - Pénétrez, pénétrez, mon ami, si cela peut vous rassurer, mais prenez garde de vous étaler tout à coup dans le vide...

H - Vous ne songez qu'à m'humilier !

F - Mais non ! Je répète que vous êtes un si brave petit homme , et si courageux dans l'obstination, et par conséquent si ridicule dans l'aveuglement, que vous méritez toute ma considération.

H - Ajoutez que je suis imperturbable ! 

F - Allons, je souhaite seulement vous pousser à rire de nous : n'avons-nous pas un débat risible ? Ensuite, vous rirez de moi ! Les choses graves ont besoin d'une vérification qui déploie la gorge.

H - C'est un besoin que je n'éprouve pas.

F - N'est ce pas vous, il y a à peine cinq minutes que vous jetiez sur moi en me réclamant le sens de la vie ? Eh bien ! le sens de la vie est à mourir de rire !

H - Ma question n'avait contre elle que d'être abruptement excessive, votre réponse est une pirouette...

F - On ne saurait faire une pirouette sans une certaine maitrise de la gravité !

H - Il ne me reste plus qu'à attendre le retournement de la pirouette, qui vous permettra de me proposer de rire de mourir !

F - N'attendez plus rien, je vais vous faire une confidence décisive et néanmoins grotesque...Vous savez combien me désespère le fait de ne pouvoir me projeter entièrement dans la chose dite, le fait d'être toujours dans la séparation, la distance et la fumée...Car le sens - votre cher sens - est lui aussi une chose fumeuse, un panache un mouvement en train de se disperser dans la vitesse de son émission...et bien sûr nous supportons fort paisiblement cette condamnation au bavardage plutôt que de l'affronter avec une conscience impuissante... Alors, je me suis inventé une petite cérémonie mentale évidemment que je vous invite à partager à l'instant même où je vous en fais la confidence...Voilà, émorisez un temple , oui, un de ces bâtiments à colonnes de style classique ou néoclassique et puis mémorisez son espace intérieur  que vous faites propice au recueillement... Une fois ce processus bien rôdé, dressez l'autel...Et maintenant, prenez le sens, ce qui vous parait le sens de votre vie, et couchez-le sur l'autel...Puis, armez vous de votre impuissance autrement dit du couteau sans lame auquel manque le manche, et égorgez le sens...

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