jeudi 28 septembre 2023

"Une voix de fin silence" de Roger Laporte

"Je ne le crois pas. Je me trompais lorsque j'en venais à croire que le malheur sans nom était celui de la Parole perdue lorsque je pensais que ma tâche était de délivrer cette parole prisonnière, mais penser que la confidence pure est le but ne met pas fin, ne mettra pas fin au malheur, car il est un chemin qui me ramène à ma propre nature, chemin que je n'ai jamais dû parcourir comme il conviendrait. Il me faut avancer prudemment, me garder de toute systématisation factice, et c'est pourquoi il me faut souligner que je ne sais pas répondre à cette seconde question : quel rapport y a-t-il entre deux dimensions de mon expérience, celle de l'écoute pure qui devient confidence pure, et celle de l'attente, qui demeure attente pure, car elle est tournée vers l'inconnu ? Ce mutisme est-il le même que ce silence très discret qui, plusieurs fois, à doucement touché mon cœur ? J'ignore la réponse, et seul l'avenir permettra, le cas échéant, une unification de mon expérience."



"Je me suis étonné, à la fin de la seconde partie de cet ouvrage, que l écoute pure, ce chemin, me soit fermée, et sous ce prétexte j'ai douté de ce que j'avais trouvé, j'en suis même venu à croire qu écrire était faire l'expérience d'une sauvagerie qui brise tout écrit, mais, en fait, le "ce qui" brise n'intervient jamais dans les périodes de découvertes, mais à partir du moment où l'on exploite ce qui a été trouvé, et en effet n'avais-je pas alors réduit l écoute pure à n ėtre qu'un rite ! Vouloir refaire exactement en chemin déjà fait, c'est s égarer : on peut alors avoir le sentiment d'un monde brouillé et même cassé, mais en fait on est débarrassé d'un passé qui entravait et l'on se retrouve à pied d'oeuvre face à un terrain libre.

J'espère faire des progrès, mais j'ai la certitude que, quoi qu'il m'arrive, mon désir de perfection n'aura même pas commencé d'être satisfait, car, quel que soit l'oeuvre que j'écrive, je repasserai toujours par ce point où je me situe en ce moment et où je peux dire : je n'ai encore rien écrit. Dès que je sors de l'expérience, dès que je parle seulement en homme, je trouve cette situation désespérante et même absurde, mais, si je me tiens à l'intérieur de mon expérience, je sais qu'une telle plainte, expression d'un désir déçu de possession et de confort, est injuste et fausse : ma situation est certes souvent sans aucun agrément, mon chemin est raboteux, et pourtant j'ai la conviction que s'il n'en était plus ainsi l'accès au sommet me serait du même coup fermé, mais pourquoi cela ? j'entrevois l'une des réponses possibles. L'expérience à laquelle je me réfère est telle qu'on l'a fait chaque fois pour la première fois, et c'est en raison de se singulier privilège, qui la met à l'abri de tout usure, qu'elle continue, une fois faite, d'être pour le moins toujours aussi désirable, mais la contrepartie de cette nouveauté sans fin c'est la nécessité de gagner le sommet par un chemin jamais encore parcouru ; ce terme de "contrepartie" est déplaisant, car il fait penser à une rançon, et il est plus juste de dire que le point zéro fait écho à la jeunesse perpétuelle du point central."

Aucun commentaire: