mercredi 6 septembre 2023

La révolution rêvée de Michel Surya

 "Si mal qu'on la lût souvent, cette œuvre prêtait à aller plus loin. On alla plus loin en effet, et on lui fit dire ceci, qu'elle disait certes: ce sont "les" raisons particulières qui en sont réduites elles-mêmes à se suspecter de léser "la" raison générale. C'est en effet ce que Kafka avait le premier représenté, et avant même que cela devint une éventualité politique. Kafka ne met pas en scène la ritualité tragicomique des procès que l'administration de la Raison intentera bientôt à ses administrés, mais les procès que les administrés s'intenteront eux-mêmes pour prévenir toute menace à laquelle ils n'ignorent pas que c'est toute administration qui est à chaque instant exposée. On atteint alors à un étrange échange, où c'est le sens lui-même qu'on est justifié d'attribuer à tout procès qui s'en trouve modifié: il n'est utile de juger quiconque sait qu'il lui faut lui-même se juger. Quiconque sait qu'il suffit que l'administration existe pour mesurer avoir démérité d'elle. Qu'il ne peut en effet que démériter d'elle ( nul n'étant jamais assez celui que la Raison l'appelait à être). Kafka est le premier qui ait compris que le jugement n'a plus besoin des procès au moyen desquels la justice était jusqu'alors rendue. Il est le premier qui ait affirmé qu'il n'est pas nécessaire qu'on ait rien fait de répréhensible pour que le tort existe. Le premier qui ait dit qu'il n'y a rien qu'on puisse faire qui ne soit susceptible de devenir un tort fait à l'administration ( en d'autres termes, que l'homme est administrable et que son administrabilité est toute entière immanente)."

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