dimanche 17 septembre 2023

"Le problème de l'état" article de Georges bataille de "la critique sociale" Partie 1

 En contradiction avec l'évolution du XIX° siècle, les tendances historiques actuelles paraissent dirigées dans le sens de la contrainte et de l'hégémonie de l'Etat. Sans préjuger de la valeur dernière d'une telle appréciation - qui pourrait par la suite se révéler illusoire - il est évident qu'elle domine maintenant, d'une façon accablante, l'intelligence confuse et les interprétations divergents de la politique. certaines coïncidences de résultats du fascisme et bu bolchévisme ont créé les perspectives générales d'une conscience de l'histoire déconcertée - d'une conscience qui, dans des conditions nouvelles se transforme peu à peu en ironie et s'habitue à considérer la mort.

Peu importe les médiocres aspirations du libéralisme actuel - qui trouvent ici une issue tragique - mais l'ouvrier lui-même est lié à la guerre contre l'état. La conscience ouvrière s'est développé en fonction d'une dissolution de l'autorité traditionnelle. le moindre espoir de la Révolution a été décrit comme le dépérissement de l'état: mais ce sont au contraire les forces révolutionnaires que le monde actuel voit dépérir et, en même temps, toute force vive a pris aujourd'hui la forme de l'état totalitaire. la conscience révolutionnaire qui s'éveille dans ce monde de la contrainte est ainsi amené à se considérer elle-même "historiquement" comme non-sens: elle est devenue, pour employer les vieilles formules de Hegel, "conscience déchirée" et "conscience malheureuse". Staline, l'ombre, le froid projetés par ce seul nom sur tout espoir révolutionnaire, telle est, associée à l'horreur des polices allemandes et italienne, l'image d'une humanité où les cris de révolte sont devenus politiquement négligeables, où ces cris ne sont plus que "déchirement" et "malheur".

Dans cette situation dont la misère se traduit dans chaque partie de l'activité, la réaction du communisme officiel a été d'une vulgarité indicible: un aveuglement jovial...De véritables perruches humaines ont accepté les pires entorses faites à des principes révolutionnaires fondamentaux comme l'expression même de l'authenticité prolétarienne. Au nom d'un optimisme abject, formellement contredit par les faits, elles ont commencé à salir ceux qui souffraient. Il ne s'agissait pas d'une persistance puérile à espérer; aucun espoir réel n'était lié à des affirmations péremptoires, mais seulement une lâcheté inavouée, une incapacité de réaliser et de supporter une situation affreuse.

L'optimisme est peut-être la condition de toute action, mais sans parler du mensonge vulgaire qui en est souvent la source, l'optimisme peut devenir équivalent à la mort de la conscience révolutionnaire. Cette conscience ( qui reflète un système donné de production avec les rapports sociaux qu'il implique) est par sa nature même "conscience déchirée", conscience d'une existence inacceptable. Elle est en tout état de cause incompatible à la base avec les béatitudes d'un parti de mercenaires officiels. A plus forte raison, dans la période actuelle, se reporte-t-elle et se lie-t-elle nécessairement au caractère tragique des circonstances: elle est ramenée ainsi à la réalisation et à l'angoisse d'une situation inespérée comme à sa nécessité propre. L'optimisme qui s'oppose à cette attitude de réflexion achevée est la dérision et non la sauvegarde de la passion révolutionnaire.

Dans un tel mouvement de repli - tel que d'ailleurs il se produit indépendamment des volontés - les revendications profondes de la Révolution ne sont pas abandonnés: elles sont reprises au contraire à leur source, au contact étroit de ce que le mouvement historique déchire et rejette vers le malheur. Et si une conception renouvelée ne représente plus les revendications révolutionnaires, naïvement, comme un dû dont l'encaissement est impliqué, mais, douloureusement, comme une force périssable, cette force, s'inscrivant dans un chaos aveugle, perd le caractère mécanique qu'elle assumait dans une conception fataliste: de même que dans toute passion anxieuse, elle est libérée et grandie par la conscience de la mort possible.



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