Je me suis toujours demandé d’où viennent les images, celles qui précèdent les mots, et qui n’ont aucun lien avec le présent de notre pensée. Je vois souvent ma langue flotter derrière les créneaux de mes dents comme une flamme rouge : elle bat au vent d’un orage, reçoit la foudre, la renvoie au ciel. J’aime la tête que j’ai alors, pleine de bruit et de fureur et tout habitée par la tragédie. Je ne sais pas ce qui est en jeu. Je n’ai pas besoin de le savoir. Je suis dans l’élan originel, celui qui donne aux pierres la forme des dieux, et aux hommes la volonté de se tenir debout. Je suis au comble d’une puissance qui met à mes tempes les rayons de lumière que les vieilles images mettent au front de Moïse. Je retombe dans la grisaille du jour et près de moi, rien, pas même les débris des tables de la loi, juste un petit tas de mots dont je pousse la poussière sous le lit. Je donne quelques coups de pied sur le sol pour frapper les trois coups du retour à la réalité, mais où suis-je ? J’ai beaucoup plus de temps pour la solitude depuis que mon visage est devenu la prison d’une conscience muette. Je fais semblant, semblant bien sûr d’être le personnage que chacun croit que je suis. Je me simplifie, me dis-je pour m’y encourager. Je n’en joue que mieux mes rôles parce que je suis protégée contre producteurs et metteurs en scène par celle qu’ils croient que je suis. J’ai seulement peur que celle-là ne se soit incrustée en moi comme une tumeur. Je m’en défends. Je la tiens à petite distance comme on soulève un peu son masque pour respirer sans montrer son visage. J’oublie parfois de me donner ce bol d’air quand je vais au lit avec un homme : c’est qu’il me faut garder la possibilité de m’en débarrasser sur un apparent coup de tête, qui fait partie de l’image qu’on prend pour moi. J’ai de moins en moins besoin de gigoter en compagnie, non que je me suffise à moi-même, mais l’amour qu’on me fait s’adresse rarement à moi. J’aimerais bien pouvoir prier celle que je ne suis pas d’ouvrir ses jambes à ma place puisque c’est elle qu’on veut baiser, malheureusement nous avons les mêmes jambes. Je sais qu’il ne faut pas trop en demander aux doubles si l’on veut qu’ils remplissent exactement leur fonction.
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