"Il fait noir maintenant; les SS voudraient dormir; ils se sont installés dans une petite pièce voisine, la porte est entrouverte, la lumière passe. De nouveau les copains attaquent les sacs. C'est encore la bagarre, mais ils sont presque vides. Ceux qui vont chier écrasent en passant les jambes de ceux qui sont étendus. Une énonne rumeur emplit la salle noire. Un SS entre: Ruhe! La rumeur tombe un instant, puis elle gonfle de nouveau. On ne sait pas qui crie, je ne crie pas, je suis allongé entre les cuisses d'un Italien. Qui crie?
--Salaud, tu peux pas faire attention?
Tu veux pas que je chie ici quand même?
Tu nous emmerdes!
Ça vient de derrière. Un pied écrase ma figure, je prends la cheville dans mes mains, elle ne résiste pas,je la soulève et je la pose sur le plancher entre mes cuisses; ça passe au-dessus de moi. j'essaie de dormir dans les cris. Mais, près de la porte, il y a toujours la queue; des copains gueulent, ils ont la diarrhée, et on les empêche de sortir. Ils ne peuvent plus tenir, et, finalement, accroupis contre le mur, ils baissent leur pantalon.
Dégueulasse, il y en a un qui chie ici!
Le type ne répond pas, il continue.
Kapo! Il chie ici!
Une lampe électrique s'allume: le type est accroupi dans le faisceau de la lampe.
Scheisse, Scheisse! gueule le kapo.
Le kapo cogne, le type tombe. Scheisserei, Scheisserei (diarrhée), gémit le type. Was Scheisserei, Schwein! Si tout à coup la salle s'éclairait, on verrait un enchevêtrement de loques zébrées, de bras recroquevillés, de coudes pointus, de mains mauves, de pieds immenses; des bouches ouvertes vers le plafond, des visages d'os couverts de peau noirâtre avec les yeux fermés, des crânes de mort formes pareilles qui ne finiront pas de se ressembler, inertes et comme posées sur la vase d'un étang. On verrait aussi des solitaires, assis, des fous tranquilles et mâchant dans la nuit le biscuit des chiens, et d'autres, devant la porte, piétinant sur place, courbés sur leur ventre.
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