Chapitre II
J’ai subi une autre naissance depuis
maintenant deux ans. Elle fut douloureuse pour ceux qui tentèrent de me suivre,
pour ceux qui ne comprennent pas que le bonheur d’écrire fait souffrir celui
qui lit. Je ne souffre plus de ce que j’écris, je souffre de ce que les autres
souffrent en pensant que je souffre. Ne plus être heureux d’écrire ce que les
autres lisent dans la souffrance. Elle n’est donc pas la mienne, elle devient
la leur. Mais dois-je y mettre un terme ? Suis-je donc libre d’être
heureux d’écrire enfin, finalement pourrais-je dire, alors que le mal que je
fais est quelque chose qu’ils ne peuvent concevoir ?
Comme pourrait le dire Blanchot, qui le
dit mieux que moi, qui le dit définitivement dans les recherches qui furent les
siennes, j’aspire à devenir « Le livre à venir ». Celui qui ne doit
s’écrire que parce qu’il se doit d’exister comme une affirmation de l’utilité.
J’erre dans « L’espace littéraire » depuis ce temps de la découverte
de ce que c’est qu’écrire, que lire.
Mais, êtres le livre à venir c’est
arriver au bout de l’écriture. C’est souffrir peut-être délicieusement de ne
plus avoir à écrire, ce dire que tout fut fait. Mais, Georges Bataille le dit
aussi : cette envie, nous ne devrions plus l’avoir en nous ?
Satisfait de ce que l’on a écrit, satisfait d’être parvenu à une fin, une fin
de soi véritablement. Comme une mort que l’on a maitrisé, domptée. De celle
dont on peut revenir, dont je suis revenu, ou plutôt dont je tente de me
dépêtrer.
Je tente de devenir ce que je tente de
comprendre de la littérature.
Lorsque nous nous ne savons qu’écrire,
nous parlons de la mort. Sujet facile qui ne nécessite aucune connaissance, qui
ne nécessite que d’aligner des sensations ou des sentiments que nous pourrions ressentir à ce
moment-là de la vie, de la fin de vie. Ce temps d’avant qui, déjà, ne nous
appartient plus en propre mais c’est la part que l’on donne à l’humanité, à la
multitude.
Ou alors parler de soi, pareillement ne nécessitant
aucune connaissance même pas celle de nous-même. Et là encore, à chacun de parler
de soi comme un individu n’est pas non plus se confondre avec la multitude,
ceux qui ne cessent de parler d’eux-mêmes ?
Lorsque M écrit qu’il veut mettre un
terme à certaines activités et que je l’interroge sur ce fait, comme une
inquiétude, ne me répond-il pas : « ne prends pas garde aux mots que
je dis ». Alors, toi aussi, toi surtout, toi malheureusement, ce que tu
écris n’est pas toi, n’est pas la vérité. N’est de cette vérité instantanée qui
dès prononcée s’échappe dans le néant. Tu n’écris donc que le néant lorsque tu
écris le quotidien, la vie qui te tient. Et moi, alors, je deviens la victime
de cette vérité qui déjà est défunte depuis le temps de l’écriture et je subis
ce jeu de ton écriture, je suis la victime consentante de ton plaisir. Donc je
suis un lecteur lambda et non un confident.
Bataille écrit: « J’écris pour qui entrant dans mon livre, y tomberait comme dans un
trou, n’en sortirait plus. »
Depuis peu, je sens que je suis dans un
trou dans lequel je tourne en rond, retrouvant sans cesse les mêmes noms, les
mêmes textes. J’aime les textures, j’aime le chant. J’aime les chants et je
passe de l’un à l’autre parce que tellement envie de les lire que je me dois de
les oublier. Je les oublie et les relis. Lire n’est pas réciter. Réciter,
apprendre à réciter, ce n’est pas lire. Je lis comme un chant qui coule;
réciter/apprendre est un travail c’est une souffrance de se forcer à ce texte
qui coule de moi vers les autres. Je lis pour moi, je ne veux pas réciter pour
les autres. Et je ne peux lire pour les autres. Je ne peux chanter dans ma
lecture à haute voix comme je peux danser dans le texte que je lis pour moi en
silence, en souriant, en pleurant, en chantant que je pleure parce que je lis.
Je lis que je pleure quand je lis. Tout cela est une ronde, une ronde dans
laquelle j’aime me laisser porter. Je ne suis plus ce poids. Je suis le poids
des mots légers que je lis dans le creux de ma tête. Comme une couette que je
me remets sur les épaules, comme ce monde que je ne veux pas fuir. Je lis pour
ne pas fuir, je lis pour fuir la fuite.
Lire est une chose, lire est une partie
de l’existence mais écrire. Ecrire. Porter au plus haut l’exigence de
l’écriture. C’est un plein qui étouffe. Lorsque cette passion te prend, tu ne
peux plus rien faire.
Tu sais que tu ne pourras jamais écrire
la perfection que tu recherches. Tu as envie de dire « j’arrête
d’écrire » et j’écris que je vais arrêter d’écrire. Tu le dis, d’autres
l’ont déjà dit et mieux que toi, de manière plus dramatique que tu ne pourras
le faire. Et tu ne t’y tiendras pas puisque tu continueras à écrire que tu veux
arrêter d’écrire.
Blanchot l’écrit lui dans la postface de
« Lettre à personne » de Roger Laporte. Cela donne « Il ne
peut plus écrire (il n’a plus rien à dire), mais il s’aperçoit, avec horreur,
avec terreur, que le désir d’écrire persiste en lui. Le désir d’écrire, désir
personnel, et l’exigence d’écriture, postulation impersonnelle, ne coïncident pas.
Réfléchissons sur ce problème. Il est peut-être insoluble, parce qu’il ne
devrait pas se poser ».
Et c’est à ce moment que ce personnage
passera devant moi. Il n’aurait jamais pu exister avant. Je le crée pour qu’il
me réponde. Ou qu’il ne soit que le silence que je cherche dans la réponse.
Pourquoi pas une femme ? Pourquoi pas un homme ? La question se pose.
Ou plutôt elle n’a de réponse évidente que si je la pose. L’homme ne peut
écouter sans comparer, hiérarchiser et se mettre en concurrence. Donc à partir
du moment où il cherche à intervenir par sa propre expérience, il n’écoute
plus. Il se peut aussi que ce soit un être éphémère, immatériel, qui n’aurait
de consistance que dans une réponse hypothétique. Je ne peux l’apercevoir que
depuis que je parle de littérature, que je pense écrire/lire comme la double
face de l’existence. Elle sera celui/celle qui me renverra toutes mes
questions. Il/Elle pourra n’avoir aucune réponse. Il/Elle ne portera que les
questions. Il/Elle sera ma Nadja, celle qui m’opposera la vie à ma recherche. Il/Elle
sera également Nina. Celle qui écoute et qui renvoie de façon muette les
questions que je lui envoie. Il y a les questions que l’on pose et celles que
l’on tait car elles n’ont que la force du silence.
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