vendredi 10 mars 2023

L entretien infini de Maurice Blanchot

" Cependant tout contribue à faire perdre au lecteur une si belle innocence. L’auteur, d’abord, qui ne pouvant aller jusqu’au bout de sa tâche publie des livres encore inécrits et dans lesquels le lecteur entre moins en lisant qu’obligé de prolonger, imaginairement et anxieusement, la passion d’écrire (ce qui, en retour, produit entre auteur et lecteur des rapports d’intimité singuliers, on le voit depuis le romantisme). Mais, plus encore, l’existence de ce personnage bizarre, illégitime, encombrant, superflu et toujours malveillant (fût-ce par l’excès de sa bienveillance, de sa « compréhension »), qu’est le critique. Le critique est là pour s’interposer entre livre et lecteur. Il représente les décisions et les voies de la culture. Il interdit l’approche immédiate du dieu. Il dit ce qu’on doit lire et comment on doit le lire, rendant finalement la lecture inutile. Mais lui-même est-il au moins l’heureux homme qui lit heureusement ? Nullement, puisqu’il ne songe qu’à écrire ce qu’il lit. D’où il résulte que si l’on n’a peut-être jamais autant écrit qu’aujourd’hui, on soit pourtant gravement et douloureusement privé de lecture."



Aucun commentaire: