"...Ça y est...Je
suis encore en vie...Depuis combien de temps je suis ici?...Je sens
ma couverture mouillée.Ils en ont encore profité pour y jeter un
seau d'eau...Qu'est ce qu'il fait froid. !..La lumière est
floue...J'essuie mes yeux...Ils me font mal...Tous les points de mon
corps me font mal...On dirait qu'ils ont visité chaque centimètre
carrée de mon corps...C'est comme si il ne m'appartenait plus...Même
ça ils ont réussi à me le voler...Je le dépose à mes bourreaux
afin qu'ils en extraient des aveux...Quels aveux?...Quel sera mon
soulagement? Mes amis seront torturés aussi, comme moi, pour donner
d'autres noms et puis, un terme à quoi? A la souffrance?...A la
mienne?...Se dire que l'on se fout de tout ça? Que l'on s'est placé
au delà de ce monde, que tout cela ne nous concerne plus? Mais bien
sûr que cela nous concerne puisqu'ils nous torturent...Bien sûr,
les gens comprendront...La torture, il n'a pas tenu...Finalement, on
lui en veut un peu...Ça doit être horrible...Est ce qu'il y a un
temps de résistance minimum à la torture avant de tout lâcher,
sans être traité de lâche?...C'est quoi la lâcheté?...Est ce
nous qui en donnons une définition ou ce sont ceux qui sont dehors
et qui attendent d'en définir les limites?...J'ai faim...J'ai pas
soif...Toute cette humidité autour de nous a fait que j'aurais plus
soif de ma vie...Du moins du temps qu'il me reste...J'ai froid...J'ai
dû dépasser les 4 jours puisque je pleure plus...Maintenant,
j'attends...Je sais que je dois attendre qu'ils viennent me
chercher...J'en entends autour de moi qui pleurent encore dans les
cellules à côté...Je leur dis:"Ne t'inquiètes pas..."
Après, on sait que cela fonctionne autrement...A nouveau, mon regard
se brouille...Une douleur fulgurante me remonte des boyaux...Une
hémorragie sans doute, la javel...Je m'évanouis... La porte
s'ouvre. Ils m’attrapent par les bras et me traînent vers le petit
bureau à la porte verte. Elle s'ouvre...Je pourrais dessiner cette
odeur...La même obscurité avec ce halo de lumière centrale, on me
pose sur une chaise...Ça me déchire le fondement...Je ne bouge
plus...Des tessons de bouteille...je n'ouvre pas les yeux, je le
connais... "Ouvrez les yeux quand je vous interroge!" Je
les ouvre. "Alors, on reprend...Vous allez me donner la liste de
vos complices... -Je ne vois pas de quoi vous parlez...Je suis seul
et je travaille à l'usine de vélo... -Vous faites des actes
terroristes, je veux les noms de ceux avec qui vous faites des
attentats... -Je ne comprends pas..." Il me tend un verre.
"Buvez! -Je n'ai pas soif. -Buvez! Allez, buvez!" Je bois.
Ça me déchire la gorge et les boyaux. Je me tords, je tombe de la
chaise...Je sens encore les morceaux de bouteille...Voilà, je ne
vais pas tarder à m'évanouir encore... "Si vous ne parlez pas,
j'abats cette femme avec son enfant." Je cherche des yeux un peu
d'air...Je vais bientôt m'asphyxier avec mon sang...Je ne peux plus
déglutir... "Laissez les...Ça ne servira à rien, je ne sais
rien." La femme serra son enfant contre elle.
"Parlez!hurla-t-elle. Parlez, je vous en supplie." Si
j'avais pu lui dire que cela dépassait nos simples êtres...Que
c'était l'histoire avec un grand H qui se débattait au dessus de
nous...Que nous ne devions plus faire cas de nos corps, de nos êtres
et de nos proches...Je la regardais dans les yeux...Droit dans les
yeux...Elle comprit, elle serra un peu plus son enfant...
Lorsqu'elles s'écroulèrent devant moi, je décidais de m'évanouir
afin d'aller les pleurer, tranquillement, sur mon matelas
mouillée...Sa douleur, avec la mienne, dans une même lutte
désespérée...Je n'étais pas seul dans cet état d'abandon.
J'avais tout quitté pour me lancer dans ce combat... Lorsque le
parti nazi s'est constitué en Allemagne, moi, le communiste Polonais
de Gdansk, j'ai su que ma vie allait se marier avec l'histoire de
l'humanité. Pas du monde mais de l'humanité. Un soir, en sortant de
l'usine, notre groupe s'est réuni. Nous avons regardé les
actualités sur la guerre d'Espagne. Les combats faisaient rages.
Nous sentions que les forces étaient en équilibre et qu'ils
allaient falloir qu'il se passe quelque chose pour mettre fin à tout
cela. Notre section porta au vote pour savoir si on devait y aller ou
pas. Nous allions devoir annoncer notre décision à nos familles. Le
matin de notre départ, le brouillard ne s'était pas encore levé.
Ça allait donner à notre départ cette sensation de disparaître au
bout du chemin. Je serrais ma femme dans mes bras. Il y avait comme
une évidence. Notre vie avait toujours été un combat. S'en était
un de plus. Elle me sourit et je partis. Lorsque l'Espagne s'est vu
refusée la démocratie par un fou nationaliste réactionnaire, qu'il
a été aidé par les nazis et les fascistes qui ont expérimenté
sur le peuple de Guernica une stratégie de mort, j'ai décidé de
tout quitter pour aller lutter pour ceux que j'aimais...Mes proches
et les autres, tous les autres...C'était l'utopie de la vie commune,
du vivre ensemble, et surtout, cette sensation effroyable de
comprendre que si nous restions comme des lâches au dehors de ce
conflit...Cette guerre n'était pas qu'une guerre civile mais les
prémices de ce qu'allait devenir la guerre mondiale...Rien n'aurait
pu m'arrêter...Rien n'aurait pu nous arrêter, nous, les
républicains, rien...Nous avions tout compris de ce combat...Nous
savions que ça n'allait pas s'arrêter à ce pays moderne puisqu'ils
avaient essayé une société...Quelque chose de libre qui faisait
peur à tous ces fous dangereux qui ne pouvaient admettre qu'on n'ait
pas besoin d'eux...Et en même temps, les gouvernements se posaient
aussi la question pour eux...Allaient-ils nous jeter après?...Et
malgré la lâcheté des hommes politiques de France, nous sommes
venus ensuite vous aider...Parce que nous aimions la vie et la
liberté...Et voilà, où mes croyances m'ont amenées...Je n'ai pas
de regrets...Aucun...Je n'en veux à personne car ça a toujours été
mon choix...Qui m'a amené ici...parmi ces morts, tous ces morts,
même ceux qui nous torturent sont déjà des morts en sursis...Nous
n'avions pas à les envier... Un matin, ils m'emmenèrent à la
lumière naturelle. Quelle douleur de bonheur! Enfin, j'allais être
libre. Je ne pouvais plus les haïr, je ne pouvais plus. J'ai même
du dire avant de tomber : "je ne déteste pas le peuple
allemand."
M.A.
M.A.
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