mercredi 29 janvier 2025

Femmes : une révolution permanente

 Article : Haïr rend plus fort  par Anne Jourdain


Sur les réseaux sociaux, des influenceurs et vidéastes, souvent proches des idées d'extrême droite, vomissent leur détestation des femmes, dont ils semblent convaincus qu'elles devraient être toutes à leur botte. Étonnamment, cette nébuleuse masculiniste compte aussi certaines représentantes  du deuxième sexe, nostalgiques d'une époque qui cantonnait les épouses à la tenue du foyer et au devoir conjugal.


Rochedy, Papacito Baptiste Marchais, Valek ou encore Stéphane Edouard incarnent la fine fleur de la sphère masculiniste française. Cette "manosphère" fantasme un monde régenté par les femmes où la masculinité serait menacée, dans un discours mêlant homophobie, misogynie et bien souvent xénophobie ou désir d'autoritarisme. Des idées de plus en plus partagées, constate l'anthropologue Mélanie Gourarier : "Ce discours se développe depuis trois décennies en France et plus largement en Europe et en Amérique du nord autour de la défense des pères, des hommes et du masculin plus généralement. Apparemment sans rapport les uns avec les autres, ces récits victimaires procèdent pourtant de la même idéologie masculiniste, fondée sur l'apologie de la "cause des hommes"".

Certains "séducteurs", les "pickup artists", ont saisi là une occasion. Contre rémunération, ils coachent leurs congénères tétanisés par les nouvelles règles du marché sexuel. Esthètes et chasseurs à la fois, leur habilité à "prélever" des individus femelles épate leur public. ne reculant devant aucune manipulation pour "ferrer" des femmes et les mettre dans leur lit, ils s'échangent des astuces pour que cède la "résistance de dernière minute". Les Incels, pour leur part, se "résignent" au célibat et détestent les femmes qui les privent des relations sexuelles auxquelles ils pensent avoir droit. Sur leurs forums internet, ils brassent des idées noires. Quand aux MGTOW (men going their own way, "homme traçant leur propre chemin") ils estiment qu'entretenir des relations avec les femmes constitue un danger. Combien de carrières brisées après qu'une "féminazie" s'est plainte d'un comportement inapproprié? La justice, toute à sa misandrie, statuerait d'ailleurs systématiquement en faveur des mères en cas de divorce.

Dans les années 1968, sur le modèle des groupes de conscience féministes, des hommes se retrouvaient pour discuter du patriarcat et de ses méfaits. Mais "l'initiative de se regrouper entre hommes, explique Francis Dupuis-Déri, a ouvert la voie au développement de l'idéologie masculiniste et à un ressac antiféministe. Il faut dire que la non-mixité pour les dominants n'a pas la même signification politique ni le même effet que pour les subalternes". Observant la redondance des "crises de la masculinité" dans des époques et des sociétés aussi éloignées que la Rome antique, l' Allemagne nazie ou l'Inde contemporaine, le politique se moque : "les hommes ne sont pas en crise, ils font des crises".

En France, le masculinisme en ligne contribue à la bataille culturelle de l'extrême droite. D'éminents ainés ont ouvert la voie à la jeune garde. Eric Zemmour a ainsi précocement lié le destin de la France à la défense de la virilité. Dans "Le premier sexe", on apprenait que "tout s'est passé comme si les hommes français et européens, ayant posé leur phallus à terre, ne pouvant ou ne voulant plus féconder leurs femmes devenues rétives, avaient appelé au secours leurs anciens domestiques qu'ils avaient émancipés."

La gent masculine blanche 

Parmi les influenceurs "mascus" français, Mme Anne-Thais du Tertre d'Escoeuffant, plus connue sous le pseudonyme de Thais d'Escufon, tient le haut du pavé. Membre éphémère de L'Action frabçaise, porte-parole de Génération Idebtitaire, elle vole au secours de la gent masculine blanche. Sur X, You tube, tik tok et télégram, elle ajoute : "Un homme à l'avenir brillant mérite une femme au passé pur". Et ainsi d'enjoindre à ses 64900 followers sur X :"Si une femme vous aime vraiment et que vous la traitez correctement, elle cuisinera pour vous, couchera avec vous, vous soutiendra dans vos projets, vous donnera des enfants, fera le ménage, vous obéira, vous respectera. C'est le strict minimum. Sinon, partez."

M.Thibaud Delapart, alias Tibo Inshape (vingt millions d'abonnés) est devenu l'un des premiers youtubeurs français. Entre deux séances d'abdos, il participe à la promotion du service nationaluniversel dans une vidéo rémunérée par le gouvernement, tourne un vlog chez les gendarmes ou s'émeut de l'insécurité. Avec Mme Thérèse Hargot, il a récemment partagé ses "questions intimes". "Commentdurer plus longtemps au lit ?" . Le sexe "est un travail d'équipe" répond la sexologue. "Les femmes sont responsables de leur sexualité. Ce n'est pas parce qu'on reçoit qu'on doit être passive. C'est comme quand tu reçois chez toi, c'est toi qui décide ce que tu sers à l'apéro et quand tu balances le dessert."

Banalisés par les influenceurs, les contenus masculinistes prolifèrent sur internet, notamment sur des forums comme reddit ou jeuxvideo.com, favorisés par la pseudonymisation. "Les réseaux sociaux grand public tels que twitter, facebook; instagram, tiktok ou encore snapchat sont devenus des platesformes de promotion de ces idées masculinistes, constate un rapport de l'institut du genre en géopolitique. Une situation  d'autant plus inquiétante que la plupart des utilisateurs sont jeunes et que les réseaux sociaux font partie intégrante de leur construction sociale."

Or l'air du temps est à la remise en cause des violences sexistes et sexuelles et au questionnement des assignations de genre. Les entrepreneurs de la toile ne peuvent l'ignorer. La communauté de Benjamin Névert, "un mec déconstruit, un vrai certifie le monde compte plus de 560 000 personnes sur youtube. L'auteur de "je ne suis pas viril" fait régulièrement état des difficultés des hommes et des ingonctions qui pèsent sur eux. Dans sa websérie "entre mecs", ses invités peuvent confier leurs difficultés à dire "je t'aime" et discuter autour de thèmes variés, tels que "la drague", "la rupture amoureuse", Ou "la bite" Le patriarcat en prend un sacré coup.

Manière de voir : Femmes une révolution permanente

 Petit encart ayant pour titre : Le plus vieux stratagème du monde  par Angélique Mounier-Kuhn


La première a en avoir eu l'idée pourrait avoir été Lysistrata, héroïne de la farce du même nom créée par Aristophane en 411 avant Jésus-Christ. L'action se situe à Athènes, en pleine guerre du Péloponèse (431 à 404). Pour que les armes se taisent enfin, l'audacieuse Athénienne a un plan auquel elle finit par rallier les femmes des cités rivales. Sa ruse tient en peu de mots : se " passer de...bite" pour "forcer les maris à faire la paix".

A notre époque, des femmes remettent sporadiquement le stratagème au goût du jour afin de manifester leur désarroi de voir leurs époux frères, fils s'entre-tuer et leur exaspération de ne pas être entendues. Ce fut le cas en 2003, lorsque la militante libérienne Leymah Gbowee (colauréate du prix Nobel de la paix en 2011) mobilisa ses concitoyennes jusque dans les chambres à coucher pour qu'elles obtiennent une place à table des pourparlers soldant la guerre civile. En 2006, des habitantes de la ville colombienne de Pereira se refusèrent à leurs truands de compagnons pour acculer les gangs ennemis à la trêve. Et, en 2009, dans un Kenya encore ébranlé par une sanglante crise postélectorale, un collectif féminin intima aux hommes politiques de résoudre leurs différends en décrétant une semaine d'abstinence sexuelle à l'échelle nationale.


A défaut d'avoir toujours des effets durables, cette tactique de résistance aux accents sacrificiels a au moins le grand mérite d'attire l'attention et d'encourager la réflexion, affirment ses promotrices. Quand au plan de Lysistra, il finit par marcher à merveille : dans la pièce, la paix est rétablie. Dans la vraie vie toutefois, la guerre se poursuit encore plusieurs années et s'achève avec la victoire de Sparte et la chute de l'empire athénien.

Monde diplomatique Janvier 2025

 Article de Benoit Bréville intitulé :

Liquidation électorale.


Parmi les nombreuses élections qui ont émaillé l'année 2024, il n'était pas écrit que le scrutin présidentiel roumain tiendrait une place particulière. Depuis 1989 et la chute du communisme, le Parti social-démocrate (PSD) et le Parti national libéral (PNL), aussi atlantistes et proeuropéens l'un que l'autre, se succèdent au pouvoir, quand ils ne gouvernent pas ensemble, comme actuellement. Une surprise d'envergure internationale semblait donc improbable.

Pourtant, cette élection restera dans les annales? Pour ses résultats, qui ont vu le premier ministre et grand favori Marcel Ciolacu  (PSD) éliminé dès le premier tour, tout comme son compère du PNL, et surtout son dénouement : une annulation pure et simple, pour CAUSE DE VOTE INSATISFAISANT. A travers le monde, les gouvernants avaient déjà expérimentés bien des méthodes pour contourner la volonté des électeurs : ignorer le verdict des urnes en imposant un traité refusé par référendum, user de stratagèmes institutionnels pour s'accrocher au pouvoir malgré une défaite, inventer des accusations de fraude pour entacher la légitimité d'un candidat...Mais jamais, dans un pays démocratique, on n'avait ainsi effacé des millions de bulletins.

L'affaire commence par des résultats inattendus au soir du 24 novembre. M. Calin Georgescu, qui oscillait entre 5 et 9 % dans les sondages, arrive en tête avec 23 % des suffrages, devant la dirigeante d'un petit parti centriste, Mme Elena Lasconi. Le vainqueur s'affiche comme un candidat "antisystème". Jadis affilié à l'extrême droite, il concourt désormais comme indépendant, sans parti ni fonds de campagne, et il refuse toute apparition à la télévision. Prônant la souveraineté alimentaire et énerétique, il dénonce la mondialisation, l'inflation, l'immigration, l'OTAN, l'Union européenne, les aides à Kiev, les vaccins contre le Covid-19...Tout cela uniquement sur TikTok et you tube, dans un discours mâtiné d'ésotérisme et d'appels à JESUS.

Qu'un tel personnage prenne la tête d'un pays par lequel transite les céréales ukrainiennes et qui bientot abritera la plus grande base de l'Alliance atlantique ne pouvait qu'entrainer un tir de barrage. Le 28 novembre, le conseil de défense national - dirigé par le président sortant Klaus Iohannis (PNL) - accuse TIK TOK d'avoir accordé un "traitement préférentiel" à M. Georgescu. Dans la foulée, le conseil national de l'audiovisuel demande à Bruxelles - qui obtempère sur-le-champ- d'enquêter sur ces "amplifications algorithmiques" et leurs "potentiels risques pour la sécurité nationale". Le 4 décembre, le président Iohannis révèle des documents des services secrets évoquant une ingérence étrangère et sur la foi desquels les 9 juges de la cour constitutionnelle, qui doivent tous leur poste au PSD et au PNL, fonderont leur annulation, sous les applaudissements des chancelleries et des médias occidentaux.

Que disent ces notes "déclassifiées"? Que des influenceurs auraient été rémunérés afin de promouvoir M. Georgescu pour un montant total de 380 000 euros - ce qui n'est pas grand-chose comparé aux 11 millions d'euros déboursés par M. Ciolacu pour mettre en avant son programme. Le candidat aurait également bénéficié du soutien coordonné de 25 000 comptes tik tok dans le but d'augmenter la viralité de ses vidéos. Des milliers de cyberattaques auraient par ailleurs visé les infrastructures  informatiques électorales. Et puis...C'est tout. Aucune preuve d'une intervention étrangère ni même d'une quelconque collusion avec M.Georgescu.

Main de Moscou, ou pas, l'opération semble de toute façon dérisoire. Aux états-unis, Mme Kamala Harris a dépensé 140 millions de dollars pour accroire son audience sur Facebook et instagram, six fois plus que son concurrent, et elle a perdu. La viralité d'un message ne fait pas tout : encore faut-il convaincre. Mais, désormais, c'est certain, grâce à la Roumanie, grâce à Bruxelles, tous ceux dont les discours sont ignorés par les médias, mis en sourdine par les réseaux  sociaux, obtiendront sans coup férir l'annulationdu scrutin si le résultat leur déplait. 

On parie?

Monde diplomatique janvier 2025

 Chiffres ahurissants tirés de l'article de Pierre Conesa intitulé : Un cinéma post-traumatique.


Si pendant quelques années le cinéma fut plutôt critique concernant les ravages des guerres, surtout celle du Vietnam (avec des films comme "Platoon", "Ne un 4 juillet", "Apocalypse now", "Full metal jackett") tout cela à bien changé avec les acteurs très conservateurs, tel que Stallone, Eastwood et dans son temps John Wayne.

Pourtant, les chiffres sur les troubles de stress post-traumatiques sont consternant, je cite le dernier paragraphe de l'article:


" Au cours des années 2000 pour 1 soldat mort au combat on comptait 10 suicides de vétérans. Le 27 mars 20014, 1892 drapeaux américains ont été plantés sur le Mall of Washington, en hommage au 1892 vétérans qui s'étaient donné la mort depuis le 1er janvier de la même année - soit 22 par jour en moyenne. Aujourd'hui,  le taux de suicide chez ces soldats reste 2 fois plus élevé que dans l'ensemble de la population. Les TSPT des soldats méritent sans doute mieux que les fantaisies hollywodiennes de "héros" qui n'ont jamais fait la guerre".


mardi 28 janvier 2025

Verso N°137 : Alain Guillard

C'est le cœur qui manque - le cœur- je n'éprouve plus - suis une mécanique de la sensation - mais ce feu, cette explosion, ce feu d'artifice, non ! Plus je suis mort. Un mort vivant

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Jusqu'à ces mots que j'accumule - coagule.

Ces mots, qui sont du sang séché.

Ces mots, qui sont brisures du miroir.

Ce miroir qui aura fait défaut.


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Une vie à bâtir. Leur vie. Pas la nôtre, pas celle des spectateurs. Pas la mienne - finie - Ordonnée : ce terme d'église.


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Pauvre, nous sommes spectateurs. Spectateurs toujours d'autres qui décident.


Créent. Et quand nous décidons, nous nous plantons l'essentiel du temps, l'essentiel de nos actes. Manque d'habitude sans doute?


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Spectateurs hier. Consommateurs aujourd'hui.

 Sans que je sois sûr que ce soit un progrès. 

Ce que je crois pourtant, c'est que c'est ce rôle qui nous donne cette présence.

Que cette présence vienne à ne plus avoir sens, nous serons réduits à rien ! A rien.

Ce que, pauvres, nous sommes. Au regard du système. Tel qu'il s'est constitué.


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Consommer ? La belle affaire.

Mais quoi

S'enrichir l'esprit, l'âme ?

A quoi bon ? Puisque nous serons gaspillés.


Ce système gaspille tant. Et avec tant d'aisance ! Tant d'indifférence !


Qui pense ici à ce que ce gaspillage signifie vraiment ?


Quand on y est, c'est trop tard. On passe à la moulinette, mais conscient. Sans même cette absence. Cet engourdissement que d'aucuns ont fini par connaître dans "leur nuit de l'âme".


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À quoi bon ? Tenir ? 

La souffrance est affreuse, en ce moment où je pars. Où je quitte ce lieu. Qui aura eu du sens. Que j'aurais traîné avec moi.


L'enfance, l'adolescence, l'amitié. L'illusion, l'aliénation

Que sais-je encore !

Mais la vie. La vie d'abord.

Car ces émotions - c'est la vie !

L'alliénation, tout autant ! On ne choisit que ses aliénations. Et encore ! Qui est jamais libre est encore dans l'illusion de sa liberté !


 Dieu même ! Qui a besoin des hommes. Qui, sans les hommes, n'est que solitude, concept creux.


N'est pas d'ailleurs l'illusion notre vraie liberté ? La seule ?


N'ai-jeeige pas perdu toute liberté depuis que je vais lucide ? Lucide et si seul ?



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Seul à mesure de ma lucidité ?


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À quoi bon même ces mots ?

 Je vacille. J'oscille au bord du rien.


J'aimerais tant retrouver cet accord de certains de ces moments passés, que je ne savais pas alors ! Que je ne réfléchissais pas !


 J'aimerais tant !


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Étincelle à cette brique, cette jeunesse allant à ses faits menus, tout présente à ceux-ci. Comme j'ai été, dans l'aliénation même de mes gestes.


Il y avait là toute la sève de la vie. Injuste sans doute, mais vie.

Quand, ensuite, nous nous sommes attachés à des systèmes, certes subtils, d'une incroyable intelligence, mais qui nous ont éloignés de cette vie.

Et à tort souvent.

A tort.


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Dans le sable (j'entends crisser le sable à leurs pieds et leurs mains) des enfants bâtissent- leur mère non loin, sur un banc, un magazine ( qu'on dira frivol) qu'elle lit dans une concentration totale - adhérant à ce qu'elle lit - avec gourmandise.


Je les surprends tous trois. D'un coup, dans ma propre existence d'enfant et de parent. Je les envie de cette paix, cet accord.Ayant appris, trop tôt, à interroger semblables activités. Ayant appris à mépriser pareille lecture futile, pareils moments, trop tôt. Par la confrontation incessante de deux styles de vie (pour aller vite, l'un de ma mère, l'autre de la famille paternelle omniprésente).

Où j'en suis aujourd'hui ? N'ayant rien bâti - rien donné - que je n'aurai détruit aussitôt. Quasi simultanément.


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Et donc je vais, seul, parlant à des ombres - monologuant plutôt - conscient que ces ombres (si elles vivaient encore) ne s'exprimeraient pas en comme je leur fais dire (pas exactement)

Je finirai, comme ma mère a fini, à roucouler des mots bêtes à sa chatte. Des mots d'amour pas renvoyé. Comme ces vieilles dames, leur pain, à leurs pigeons. Ou ces hommes monologuant dans leur alcool un pouvoir dérobé, une autorité niée.

Et encore !

Ils auront vécu eux.


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Je ne reviendrai pas sur ces mots. Je ne reviendrai pas.

Il y a eu des moments incroyables. Des moments que je ne pensais pas vivre. De ces moments sur un banc à déjeuner de sandwichs dans l'attente de l'ouverture d'Auteuil - l'hippodrome tout près - dans ce "jardin des poètes" - en compagnie de D.

Ces moments ne sont plus. Comme ma vie n'adhère plus.

Des moments de tennis aussi. De ces lumières d'été en extrême fin d'après-midi, je ne saurais les décrire à mesure de l'émotion éprouvée alors.

J'étais seul - souffrant d'être seul - en même temps, empli d'une énergie incroyable

Ce n'est plus.

Je traîne, amer, et pas vraiment, sans force, sans plus "aucune illusion", et il fait froid dans ce cas. Vraiment froid.


Au moins aurais-je tenté d'être cet écrivain que.

 Au moins.

dimanche 26 janvier 2025

Le theatre et son double. Par Antonin Artaud

 Préface : le théâtre et la culture 


 Jamais, quand c’est la vie elle-même qui s’en va, on n’a autant parlé de civilisation et de culture. Et il y a un étrange parallélisme entre cet effondrement généralisé de la vie qui est à la base de la démoralisation actuelle et le souci d’une culture qui n’a jamais coïncidé avec la vie, et qui est faite pour régenter la vie. Avant d’en revenir à la culture je considère que le monde a faim, et qu’il ne se soucie pas de la culture ; et que c’est artificiellement que l’on veut ramener vers la culture des pensées qui ne sont tournées que vers la faim. Le plus urgent ne me paraît pas tant de défendre une culture dont l’existence n’a jamais sauvé un homme du souci de mieux vivre et d’avoir faim, que d’extraire de ce que l’on appelle la culture, des idées dont la force vivante est identique à celle de la faim. Nous avons surtout besoin de vivre et de croire à ce qui nous fait vivre et que quelque chose nous fait vivre, – et ce qui sort du dedans mystérieux de nous-mêmes, ne doit pas perpétuellement revenir sur nous-mêmes dans un souci grossièrement digestif. Je veux dire que s’il nous importe à tous de manger tout de suite, il nous importe encore plus de ne pas gaspiller dans l’unique souci de manger tout de suite notre simple force d’avoir faim. Si le signe de l’époque est la confusion, je vois à la base de cette confusion une rupture entre les choses, et les paroles, les idées, les signes qui en sont la représentation. Ce ne sont certes pas les systèmes à penser qui manquent ; leur nombre et leurs contradictions caractérisent notre vieille culture européenne et française : mais où voit-on que la vie, notre vie, ait jamais été affectée par ces systèmes ? Je ne dirai pas que les systèmes philosophiques soient choses à appliquer directement et tout de suite ; mais de deux choses l’une : Ou ces systèmes sont en nous et nous en sommes imprégnés au point d’en vivre, et alors qu’importent les livres ? ou nous n’en sommes pas imprégnés et alors ils ne méritaient pas de nous faire vivre ; et de toute façon qu’importe leur disparition ? Il faut insister sur cette idée de la culture en action et qui devient en nous comme un nouvel organe, une sorte de souffle second : et la civilisation, c’est de la culture qu’on applique et qui régit jusqu’à nos actions les plus subtiles, l’esprit présent dans les choses ; et c’est artificiellement qu’on sépare la civilisation de la culture et qu’il y a deux mots pour signifier une seule et identique action. On juge un civilisé à la façon dont il se comporte et il pense comme il se comporte ; mais déjà sur le mot de civilisé il y a confusion ; pour tout le monde un civilisé cultivé est un homme renseigné sur des systèmes, et qui pense en systèmes, en formes, en signes, en représentations. C’est un monstre chez qui s’est développée jusqu’à l’absurde cette faculté que nous avons de tirer des pensées de nos actes, au lieu d’identifier nos actes à nos pensées. Si notre vie manque de soufre, c’est-à-dire d’une constante magie, c’est qu’il nous plaît de regarder nos actes et de nous perdre en considérations sur les formes rêvées de nos actes, au lieu d’être poussés par eux. Et cette faculté est humaine exclusivement. Je dirai même que c’est cette infection de l’humain qui nous gâte des idées qui auraient dû demeurer divines ; car loin de croire le surnaturel, le divin inventés par l’homme je pense que c’est l’intervention millénaire de l’homme qui a fini par nous corrompre le divin. Toutes nos idées sur la vie sont à reprendre à une époque où rien n’adhère plus à la vie. Et cette pénible scission est cause que les choses se vengent, et la poésie qui n’est plus en nous et que nous ne parvenons plus à retrouver dans les choses ressort, tout à coup, par le mauvais côté des choses ; et jamais on n’aura vu tant de crimes, dont la bizarrerie gratuite ne s’explique que par notre impuissance à posséder la vie. Si le théâtre est fait pour permettre à nos refoulements de prendre vie, une sorte d’atroce poésie s’exprime par des actes bizarres où les altérations du fait de vivre démontrent que l’intensité de la vie est intacte, et qu’il suffirait de la mieux diriger. Mais si fort que nous réclamions la magie, nous avons peur au fond d’une vie qui se développerait tout entière sous le signe de la vraie magie. C’est ainsi que notre absence enracinée de culture s’étonne de certaines grandioses anomalies et que par exemple dans une île sans aucun contact avec la civilisation actuelle le simple passage d’un navire qui ne contient que des gens bien portants puisse provoquer l’apparition de maladies inconnues dans cette île et qui sont une spécialité de nos pays : zona, influenza, grippe, rhumatismes, sinusite, polynévrite, etc., etc. Et de même si nous pensons que les nègres sentent mauvais, nous ignorons que pour tout ce qui n’est pas l’Europe, c’est nous, blancs, qui sentons mauvais. Et je dirai même que nous sentons une odeur blanche, blanche comme on peut parler d’un « mal blanc ». Comme le fer rougi à blanc on peut dire que tout ce qui est excessif est blanc ; et pour un Asiatique la couleur blanche est devenue l’insigne de la plus extrême décomposition. Ceci dit, on peut commencer à tirer une idée de la culture, une idée qui est d’abord une protestation. Protestation contre le rétrécissement insensé que l’on impose à l’idée de culture en la réduisant à une sorte d’inconcevable Panthéon ; ce qui donne une idolâtrie de la culture, comme les religions idolâtres mettent des dieux dans leur Panthéon. Protestation contre l’idée séparée que l’on se fait de la culture, comme s’il y avait la culture d’un côté et la vie de l’autre ; et comme si la vraie culture n’était pas un moyen raffiné de comprendre et d’exercer la vie. On peut brûler la bibliothèque d’Alexandrie. Au-dessus et en dehors des papyrus, il y a des forces : on nous enlèvera pour quelque temps la faculté de retrouver ces forces, on ne supprimera pas leur énergie. Et il est bon que de trop grandes facilités disparaissent et que des formes tombent en oubli, et la culture sans espace ni temps et que détient notre capacité nerveuse reparaîtra avec une énergie accrue. Et il est juste que de temps en temps des cataclysmes se produisent qui nous incitent à en revenir à la nature, c’est-à-dire à retrouver la vie. Le vieux totémisme des bêtes, des pierres, des objets chargés de foudre, des costumes bestialement imprégnés, tout ce qui sert en un mot à capter, à diriger, et à dériver des forces, est pour nous une chose morte, dont nous ne savons plus tirer qu’un profit artistique et statique, un profit de jouisseur et non un profit d’acteur. Or le totémisme est acteur car il bouge, et il est fait pour des acteurs ; et toute vraie culture s’appuie sur les moyens barbares et primitifs du totémisme, dont je veux adorer la vie sauvage, c’est-à-dire entièrement spontanée. Ce qui nous a perdu la culture, c’est notre idée occidentale de l’art et le profit que nous en retirons. Art et culture ne peuvent aller d’accord, contrairement à l’usage qui en est fait universellement ! La vraie culture agit par son exaltation et par sa force, et l’idéal européen de l’art vise à jeter l’esprit dans une attitude séparée de la force et qui assiste à son exaltation. C’est une idée paresseuse, inutile, et qui engendre, à bref délai, la mort. Les tours multiples du Serpent Quetzalcoatl, s’ils sont harmonieux, c’est qu’ils expriment l’équilibre et les détours d’une force dormante ; et l’intensité des formes n’est là que pour séduire et capter une force qui, en musique, éveille un déchirant clavier. Les dieux qui dorment dans les Musées : le dieu du Feu avec sa cassolette qui ressemble au trépied de l’inquisition ; Tlaloc l’un des multiples dieux des Eaux, à la muraille de granit verte ; la Déesse Mère des Eaux, la Déesse Mère des Fleurs ; l’expression immuable et qui sonne, sous le couvert de plusieurs étages d’eau, de la Déesse à la robe de jade verte ; l’expression transportée et bienheureuse, le visage crépitant d’arômes, où les atomes du soleil tournent en rond, de la Déesse Mère des Fleurs ; cette espèce de servitude obligée d’un monde où la pierre s’anime parce quelle a été frappée comme il faut, le monde des civilisés organiques, je veux dire dont les organes vitaux aussi sortent de leur repos, ce monde humain entre en nous, il participe à la danse des dieux, sans se retourner ni regarder en arrière, sous peine de devenir, comme nous-mêmes, des statues effritées de sel. Au Mexique, puisqu’il s’agit du Mexique, il n’y a pas d’art et les choses servent. Et le monde est en perpétuelle exaltation. A notre idée inerte et désintéressée de l’art une culture authentique oppose une idée magique et violemment égoïste, c’est-à-dire intéressée. Car les Mexicains captent le Manas, les forces qui dorment en toute forme, et qui ne peuvent sortir d’une contemplation des formes pour elles-mêmes, mais qui sortent d’une identification magique avec ces formes. Et les vieux Totems sont là pour hâter la communication. Il est dur quand tout nous pousse à dormir, en regardant avec des yeux attachés et conscients, de nous éveiller et de regarder comme en rêve, avec des yeux qui ne savent plus à quoi ils servent, et dont le regard est retourné vers le dedans. C’est ainsi que l’idée étrange d’une action désintéressée se fait jour, mais qui est action, tout de même, et plus violente de côtoyer la tentation du repos. Toute vraie effigie a son ombre qui la double ; et l’art tombe à partir du moment où le sculpteur qui modèle croit libérer une sorte d’ombre dont l’existence déchirera son repos. Comme toute culture magique que des hiéroglyphes appropriés déversent, le vrai théâtre a aussi ses ombres ; et, de tous les langages et de tous les arts, il est le seul à avoir encore des ombres qui ont brisé leurs limitations. Et, dès l’origine, on peut dire qu’elles ne supportaient pas de limitation. Notre idée pétrifiée du théâtre rejoint notre idée pétrifiée d’une culture sans ombres, et où de quelque côté qu’il se retourne notre esprit ne rencontre plus que le vide, alors que l’espace est plein. Mais le vrai théâtre parce qu’il bouge et parce qu’il se sert d’instruments vivants, continue à agiter des ombres où n’a cessé de trébucher la vie. L’acteur qui ne refait pas deux fois le même geste, mais qui fait des gestes, bouge, et certes il brutalise des formes, mais derrière ces formes, et par leur destruction, il rejoint ce qui survit aux formes et produit leur continuation. Le théâtre qui n’est dans rien mais se sert de tous les langages : gestes, sons, paroles, feu, cris, se retrouve exactement au point où l’esprit a besoin d’un langage pour produire ses manifestations. Et la fixation du théâtre dans un langage : paroles écrites, musique, lumières, bruits, indique à bref délai sa perte, le choix d’un langage prouvant le goût que l’on a pour les facilités de ce langage ; et le dessèchement du langage accompagne sa limitation. Pour le théâtre comme pour la culture, la question reste de nommer et de diriger des ombres : et le théâtre, qui ne se fixe pas dans le langage et dans les formes, détruit par le fait les fausses ombres, mais prépare la voie à une autre naissance d’ombres autour desquelles s’agrège le vrai spectacle de la vie. Briser le langage pour toucher la vie, c’est faire ou refaire le théâtre ; et l’important est de ne pas croire que cet acte doive demeurer sacré, c’est-àdire réservé. Mais l’important est de croire que n’importe qui ne peut pas le faire, et qu’il y faut une préparation. Ceci amène à rejeter les limitations habituelles de l’homme et des pouvoirs de l’homme, et à rendre infinies les frontières de ce qu’on appelle la réalité. Il faut croire à un sens de la vie renouvelé par le théâtre, et où l’homme impavidement se rend le maître de ce qui n’est pas encore, et le fait naître. Et tout ce qui n’est pas né peut encore naître pourvu que nous ne nous contentions pas de demeurer de simples organes d’enregistrement. Aussi bien, quand nous prononçons le mot de vie, faut-il entendre qu’il ne s’agit pas de la vie reconnue par le dehors des faits, mais de cette sorte de fragile et remuant foyer auquel ne touchent pas les formes. Et s’il est encore quelque chose d’infernal et de véritablement maudit dans ce temps, c’est de s’attardera artistiquement sur des formes, au lieu d’être comme des suppliciés que l’on brûle et qui font des signes sur leurs bûchers. 

mercredi 22 janvier 2025

Manière de voir N° 198

 Mais avant un peu d'actualité. 

Un cessez le feu vient d'être signé et mis en place entre Israël et les Palestiniens. Comme disent les journalistes sans même bouger un sourcil :"Israël peut à tout moment décider de le rompre et de reprendre les bombardements".


Autre information passée comme une lettre à la poste, sans aucun commentaire de qui que ce soit, et encore moins de la part des "journalistes". Quelques 90 prisonniers palestiniens vont ou ont été libérés, en majorité des femmes (?), et 15 enfants MINEURS et en plus, ils ont été enfermés sous aucun chef d'accusation.

Depuis cette annonce faite une fois, je ne l'ai jamais plusentendue.

Donc tiré de Manière de voir N° 198, numéro entièrement consacré aux combats des femmes du monde ;

Femmes : une révolution permanente.

Dans ce numéro, je lis cet article de Pierre Rimbert et et de Cécile Robert qui peut faire peur aux européens puisque ce sont ces gens là qui s'occupent de l'Europe, c'est à dire de nous.  Ce qui veut dire qu'à tout moment, au moins, cette personne là, est capable de nous bombarder et de trouver ensuite toutes les raisons possibles pour justifier son geste. Et là encore, aucune de ces affirmations n'ont fait l'objet de quelques commentaires que ce soit, ni de la presse française ni de nos hommes politiques, progressistes auto-proclamés compris.

Voici l'article : 

Une vertu bombardière.


Dans un univers des relations internationales dopé à les testostérone, la ministre des affaires étrangères allemande, Mme Annalena Baerbock, entre en fonction en 2021 armée d'une doctrine détonante : "la diplomatie féministe", "pan essentiel de notre politique étrangère guidée par des valeurs". Il s'agit, détaille un document du ministère, de "cultiver un réflexe féministe", de se soucier "des risques sexospécifiques et des vulnérabilités intersectionnelles", de mettre en œuvre "le programme pour les femmes, la paix et la sécurité des nations Unies" de "créer des espaces protégés". Avec le bombardement systématique par l'armée israélienne des écoles et des hôpitaux de Gaza, terre où l'on compte parmi les victimes une majorité de femmes et d'enfants, Mme Baerbock tenait l'occasion de mettre en pratique la "diplomatie féministe".

Le 10 octobre dernier, dans son discours prononcé au Bundestag un an après les massacres commis par le Hamas en Israël, la ministre n'a pas soufflé mot du sort des palestiniens. Elle a en revanche développé une interprétation très personnelle du droit international.

 "La légitime défense signifie bien sûr que l'on ne se contente pas d'attaquer les terroristes, mais qu'on les détruit. C'est pourquoi j'ai été si catégorique: lorsque les terroristes du Hamas s'abritent parmi les populations ou se cachent dans les écoles, nous entrons dans des zones très délicates; mais nous ne nous dérobons pas. C'est pourquoi j'ai dit clairement aux Nations Unies que même les lieux civils peuvent perdre leur statut de protection car les terroristes en abusent. C'est la position de l'Allemagne, c'est ce que signifie pour nous la sécurité d'Israël.".

Spécialiste du droit international, Mme Baerbock confond délibérément l'exception et la règle. Car, si le recours à des "boucliers humains" peut transformer une infrastructure civile en objectif militaire légitime, il ne peut s'agir que d'une exception ponctuelle au principe général de protection des civils. Une dérogation conditionnée à la nécessité (impossibilité d'agir autrement) et à la proportionnalité (moyens adaptés aux buts). La destruction systématique de centres de soins, d'établissements scolaires ou culturels, de camps de réfugiés à l'aide de bombes lourdes qui provoquent immanquablement un grand nombre de victimes sort à l'évidence de ce cadre. En outre, affronter un ennemi sans foi ni loi ,e délivre aucunement un Etat de son obligation d'épargner les civils, car "la valeur de vies innocentes ne peut être amoindrie par les actions injustes commises par un tiers". Le nombre particulièrement élevé d'enfants parmi les dizaines de milliers de morts signe le renversement total des lois de la guerre adoptées après 1945.

Au début de l'année 2024, la ministre écologiste avait déjà surpris ses camarades Verts en donnant son accord à la livraison de chasseurs-bombardiers Eurofighter à un pays très à la pointe en matière de droit des femmes, l'Arabie Saoudite, au motif que la monarchie avait contribué à protéger Israel des missiles lancés par les houthistes du Yémen.

dimanche 19 janvier 2025

Inspiré par "Le Polième" de Michel Surya : de quoi la poésie est-elle coupable? Et, au nom de quoi, se doit-elle de s'en défendre? Par M.A.

"Vous savez, j’ai renié mon passé. Je ne chante plus que l’espoir ; mais pour cela, il faut d’abord attaquer le doute de ce siècle (mélancolies, tristesses, douleurs, désespoirs, hennissements lugubres, méchancetés artificielles, orgueils puérils, malédictions cocasses, etc., etc. ). »


Lautréamont, celui qui fit de Maldoror une calamité, explique qu'il faut y mettre fin mais après les derniers soubresauts. Mais sommes nous libres (les auteurs, les poètes) de choisir, sans paraître rompre avec notre passé suite à des compromissions, de changer de direction? Et, pour sincère que ce changement soit, toute explication paraîtra louche et mensongère.


Dans "Poésie 1", Ducasse (et non plus Lautréamont, nom qu'il lui fallut abandonner pour prouver ce changement), tente de s'en expliquer longuement :


"perturbations, les anxiétés, les dépravations, la mort, les exceptions dans l’ordre physique ou moral […], les abrutissements, les hallucinations servies par la volonté, les tourments, la destruction, les renversements, les larmes, les insatiabilités, les renversements, les imaginations creusantes, les romans […] les singularités chimiques de vautour mystérieux qui guette la charogne de quelque illusion morte, les expériences précoces et avortées, les obscurités à carapace de punaise, la monomanie terrible de l’orgueil, l’inoculation des stupeurs profondes […] »


Michel Surya l'explique dans "Le Polième" comme Bataille l'expliqua avant, posant la question : de quoi donc la poésie est ou serait coupable? :


"Reniement ? Ralliement ? Si l’on veut. Mais reniement de quoi ? Ralliement à quoi ? S’agissant de Lautréamont, il y a, certes, reniement, puisqu’il le dit : « j’ai renié mon passé. » (Bataille voit dans ce reniement paradoxal l’aveu de la faute en soi qu’est la littérature : « Les Poésies de Lautréamont, dit-il, n’est-ce pas la littérature “plaidant coupable” ?  ») Mais c’est un reniement qui ne le rallie à rien. À rien du moins qui ait existé par le passé. Renier, on ne le voit pas toujours, c’est nier deux fois : opération par laquelle s’annule toute négation. Qui fait qu’on devient le même que ce qu’on n’a pas voulu être. Qui fait que ce qu’on est devenu est le même que tout ce qu’on voulait ne pas devenir. Un repentir. Or ce n’est pas ce que Lautréamont fait, quoi qu’il dise."


Renoncer à tout pour chanter quoi dorénavant ? Tout comme dans les pays de l'est où les poètes et écrivains devaient chanter "l'espoir" que le communisme représentait pour la population.


"Une première réponse tient dans ce qu’il écrit lui-même : il lui revient dorénavant de chanter « l’espoir » (pauvre mot ; on imagine ce qu’il peut en coûter de s’y réduire)."


M.A. 19/01/25

samedi 18 janvier 2025

Onze voies de fait de Bernard Noël

 Tableau 11 : Homme seul.


Silence. Il marche.

On sent qu'il porte lourdement son silence.


...J'ai regardé le ciel. Geste aussi vieux qu'est vieille l'humanité. Le fameux silence des espaces infinis...Il est assez fréquent que cette contemplation vous comble. N'est-il pas insensé que le vide vous comble ? Et plus parfaitement que n'importe quelle union...C'est que le vide n'a pas de restes. Lui seul est absolu. Un absolu de rien. Tout ce que je comprends, et à mesure que je le comprends, me jette au-delà de la chose comprise. Oui, me jette dans le vide. Et le vide anéantit sa compréhension, si bien que me voici, bouche béé, en train de manger du ciel...Ma nuque bientôt se fatigue. Le comble a déjà volé en éclats. J'appelle alors le soleil pour qu'il plante dans mon crâne le coup de grâce dont la pointe empalera mon cerveau, ma langue, puis ma gorge. Je me représente cela ; cette brochette d'organes tournant dans le feu du ciel. Ce feu brûle conscience et pensée, brûle mon JE jusqu'au TU...Je veux...Je voudrais concevoir enfin une image irrésistible. Entendez-moi : une image assez meurtrière pour s'autodestruire en me détruisant à l'instant où je me le représente...Là-haut, le ciel est bleu par-dessus les nuages. La voûte de mon crâne me sépare de ce bleu. Le vide exige ma mort pour devenir mon propre absolu. Je le sais. En vérité, je ne sais rien. Je sens cela, et cela foudroie mon savoir. Cette foudre empale tout ce que j'ai su puis le brûle. Mais quelque chose résiste à la brûlure, quelque chose qui est moi vivant. Ainsi je repousse cela même que j'appelle dans le moment même où je l'appelle. Et ce geste, qui écarte le vide, me déchire. Et cette déchirure dévoile le ciel inverse, qui est en moi mon propre abîme. Là-dessus tombe la nuit de la chair humaine, mais dans son épaisseur rôde un désir, rôde un tourment, rôde la hantise d'un visage qui n'apparait pas, si bien qu'indéfinitivement quelque chose cherche quelqu'un...quelque chose cherche à jamais quelqu'un...

Onze voies de fait par Bernard Noel

 Tableau 10 : Une femme, un homme


F - Devant vous, je ne suis plus - nue

H - C'est donc que je ne le suis pas davantage, ni par vous ni pour vous.

F - Devant vous , je ne suis plus vivante.

H - Vous auriez du préciser : par conséquent !

F - Qu'il s'agisse de la cause ou de la conséquence ne change rien au résultat. J'ai regardé venir cet état. Je l'ai regardé m'envahir, m'occuper, s'installer.

H - Pourquoi ne m'avoir rien dit ? Nous aurions pu, ensemble, faire quelque chose contre l'invasion.

F - Où aurais-je trouvé le courage de vous dire que notre lien le plus précieux, celui qu'exprime le mot "nous", était le complice de cette invasion ? Longtemps je n'ai pas eu le courage de me l'avouer à moi-même.

H - Vous acceptez que je ne vous comprenne pas ?

F - Vous n'êtes pas en cause tout en l'étant. Je veux dire que, toujours, votre conduite fut irréprochable. Mais l'irréprochable est une maison sans fenêtres.

H - Vous voulez dire que ma compagnie est devenue ennuyeuse ?

F - Non, ce que je viens de dire manque de nuances. L'énoncé en est trop brutal. Le langage ne connait que la ligne droite alors qu'on voudrait des ramifications, des contours.

H - Dois-je deviner que vous êtes insatisfaite ?

F - Comment dire que je suis insatisfaite à force de satisfaction ?

H - Vous me jetez dans l'impuissance ?

F - Votre virilité n'est pas en cause. Nous étions d'accord sur un point : pas de diversion en cas de problème entre nous. Et surtout pas de salut, ni au moyen de la politique, ni au moyen de la politique, ni au moyen de la conceptualisation, et pas même au moyen de l'amour. Et pourtant nous avons créé peu à peu une sorte de salut provisoire...

H - C'est vrai nous disposons d'une si-tu-a-tion, mais n'étions-nous pas d'accord pour en faire la base de la liberté ?

F - Et voila pourquoi la contester relève d'une exigence aussi fausse que vraie. Et cependant je la conteste par une révolte dont je n'arrive plus à réfréner la spontanéité.

H - Changer de vie n'a jamais suffi à changer la vie !

F - Sans doute, mais le désir de changement révèle que les choses ont glissé sous nos pas, et que ce glissement s'accorde mieux avec la vérité de la vie que la stabilité.

H - Je regarde et j'aperçois tout à coup l'Autre en vous, et cela est assez troublant pour que je ressente le glissement que vous dites.

F - Rien n'est suffisant, n'est-ce pas ? Rien, pas même que je vous échappe.

H - Tant que vous êtes là, j'ai le sentiment que je peux vous retenir.

F - Je le sens, et la pensée que je pourrais céder à cette douceur suscite en moi une violence, une colère...

H - Que pouvons-nous faire de ça ?

F - La violence a besoin de porter un coup définitif avant de se résoudre à l'apaisement.

H - Et je suis sa seule victime possible...

F - Pas de grands mots ! Je ne veux qu'effacer un nous devenu fantôme. Et puis il est temps de vous apercevoir que la vie n'a de sens qu'au moment où sa perte nous prend à la gorge...


jeudi 16 janvier 2025

Onze voies de fait Par Bernard Noël

 Tableau 9 : Monologue

...Je parle. j'ai plaisir à parler. Je ne dois pas ce plaisir à ce que je dis. Je le dois à la perception des mots en train de sourdre. A ce frémissement interne. A ce mouvement de source qui jaillit. Je voudrais le retenir, mais hop! Les mots sont déjà sur ma langue, et fini le plaisir. Je me tais. Petite mort intérieure. Suspension. Je sens alors sourdre le silence. Un mot, deux mots, trois mots se glissent par là. Je vais parler. Je parle. Je retrouve mon plaisir. Je le perds à nouveau. Je me laisse choir dans cette perte. Je rebondis aussitôt et, cette fois, c'est l'élan de cette remontée que je sens affluer depuis un fond mouvant. Je joue de la succession des chutes, des retours, des pulsions, des étouffements, des jaillissements. J'observe, je module, je répète, je me lasse. Je vis,. Je sens que je suis vivant. Je doute. Non pas de la vie mais de la sensation de la vie. Qu'ai-je senti au juste quand je me suis senti vivant? Oui, ça frémit, ça bouge, ça palpite. C'est en bas. Une coulée douce, une coulée discrète. Non, je ne sens plus rien dès que j'ai senti. Aucune déception dans ce rien. Juste un retour de l'attente. Un creux. Un à-pic. Pour un peu j'irais sous mes épaules afin de considérer de haut tout le paysage interne. Je ferme les yeux. Je descends. Je vois la neige des phosphènes. Je m'arrête. J'attends. J'attends que tout redevienne immobile. Que tout l'espace redevienne vide et noir. Plaisir du noir. De la densité. Du luisant. Plaisir de la vie noire. De noir de la vie. Plaisir de la langue léchant l'éclat. De l'oeil sur là-vif. Et la vie passe. Et le sentiment de sa vivacité accélère son passage. Et elle flambe. Et cette flambée la gaspille. Mais que serions-nous sans la fatigue, sans la solitude, sans la douleur? Sans elles, quel goût? Quelle énergie? Sur la langue passe une odeur de feu. Au fond du noir tombe une goutte de lumière. Plaisir du bord sur le bord duquel je me penche. Vertige. Plaisir de résister. Plaisir d'être mortel et de sentir l'ombre noir passer sur ce plaisir comme une menace froide. Je parle. Je parle. Je sens là, en bas, des lèvres qui bougent. je sens venir le mot inconnu. le mot qui jamais ne fut dit. Et qui monte vers ma langue en même temps que ce jamais. Et ce jamais est le seul mot que je prononce...

dimanche 12 janvier 2025

Onze voies fait Par Bernard Noël

 Tableau 8 : les mêmes un peu plus tard.

H - Et le sens de la vie dans tout ça ?

F - Il y en a tant de disponibles que vous avez le choix.

H - Vous avez réponse à tout mais vos réponses ne servent à rien.

F - Vous êtes un si brave petit homme ; vous devriez ranger votre langue dans une boite à pansements.

H - Elle peut vous être utile dans ce rôle si vous en manifestez le désir.

F - Et vous pourriez faire cela de sang froid ?

H - Sans doute avec le secours d'un sourire ?

F - Toujours besoin de sentiment...Faut-il que j'éclate de rire pour que vous compreniez enfin que notragédie est comique ?

H - Tout dépend de la position ?

F - Mettez-vous sur le dos pour changer !

H - Est-ce à dire que je doive vous laisser l'initiative ?

F - Pénétrez, pénétrez, mon ami, si cela peut vous rassurer, mais prenez garde de vous étaler tout à coup dans le vide...

H - Vous ne songez qu'à m'humilier !

F - Mais non ! Je répète que vous êtes un si brave petit homme , et si courageux dans l'obstination, et par conséquent si ridicule dans l'aveuglement, que vous méritez toute ma considération.

H - Ajoutez que je suis imperturbable ! 

F - Allons, je souhaite seulement vous pousser à rire de nous : n'avons-nous pas un débat risible ? Ensuite, vous rirez de moi ! Les choses graves ont besoin d'une vérification qui déploie la gorge.

H - C'est un besoin que je n'éprouve pas.

F - N'est ce pas vous, il y a à peine cinq minutes que vous jetiez sur moi en me réclamant le sens de la vie ? Eh bien ! le sens de la vie est à mourir de rire !

H - Ma question n'avait contre elle que d'être abruptement excessive, votre réponse est une pirouette...

F - On ne saurait faire une pirouette sans une certaine maitrise de la gravité !

H - Il ne me reste plus qu'à attendre le retournement de la pirouette, qui vous permettra de me proposer de rire de mourir !

F - N'attendez plus rien, je vais vous faire une confidence décisive et néanmoins grotesque...Vous savez combien me désespère le fait de ne pouvoir me projeter entièrement dans la chose dite, le fait d'être toujours dans la séparation, la distance et la fumée...Car le sens - votre cher sens - est lui aussi une chose fumeuse, un panache un mouvement en train de se disperser dans la vitesse de son émission...et bien sûr nous supportons fort paisiblement cette condamnation au bavardage plutôt que de l'affronter avec une conscience impuissante... Alors, je me suis inventé une petite cérémonie mentale évidemment que je vous invite à partager à l'instant même où je vous en fais la confidence...Voilà, émorisez un temple , oui, un de ces bâtiments à colonnes de style classique ou néoclassique et puis mémorisez son espace intérieur  que vous faites propice au recueillement... Une fois ce processus bien rôdé, dressez l'autel...Et maintenant, prenez le sens, ce qui vous parait le sens de votre vie, et couchez-le sur l'autel...Puis, armez vous de votre impuissance autrement dit du couteau sans lame auquel manque le manche, et égorgez le sens...

Onze voies de fait par Bernard Noël

 Tableau 7 : Un homme, une femme


F - Ne vaudrait-il pas mieux les laisser mourir?

H - De quel droit nous arroger ce pouvoir ?

F - Il n'est pas question d'un pouvoir : Il s'agit seulement de savoir si nous laissons faire la nature, laquelle finira de toute façon pour mener à cette conclusion.

H - Notre rôle est justement de retarder cette conclusion , c'est même notre devoir.

F - Depuis quand ?

H - Depuis que la consommation du fruit défendu nous a donné , en mêm temps que la connaissance, le sens de notre destin ...

F - En nous châtrant de l'immortalité ?

H - Cette perte hypothétique a eu sa compensation nous sommes devenus responsables et solidaires, ce qui nous habilite à nous passer de Dieu.

F - Mais pas de ses attributs et qualités dilués à la sauce humaniste. N'est-il pas étonnant, par exemple, de lui avoir emprunté la bonté?

H - Il faut bien protéger la vie, et peu importe au nom de quoi !

F - N'auriez-vous pas encore remarqué que la vie détruit la vie, et même qu'elle ne se perpétue qu'à cette condition ?

H - une vérité aussi générale peut être repoussée dans les cas particuliers dès qu'ils sollicitent notre attention.

F - Si seulement, une fois, vous pouviez suspendre votre sentimentalité pour regarder la situation en face...

H - Ces gens vont mourir de faim : nous devons les secourir puisque nous en avons les moyens.

F - Non, ces gens vont mourir parce qu'ils sont mortels, ni plus ni moins.

H - Vous savez où conduit un tel raisonnement ?

F - Sans doute, mais où vous le pensez ! Nous cultivons une morale molle parce que nous n'avons en tête que le salut...Chacun a quelque chose à sauver : sa vie, sa position, sa famille, son fric, sa classe sociale où - pourquoi pas ? l'humanité...Ah ! j'oubliais l'âme, parce que l'âme se porte de moins en moins ! Et pendant que ce consensus inconscient nous conditionne à l'égale d'un réflexe , nous croyons combattre pour le bien alors que nous savonnons seulement la pente naturelle de notre avilissement...

H - Je devrais vous tuer.

F - Vous manquez du sang froid indispensable à l'accomplissement de cete acte.

H - C'est que vous n'êtes pas encore une menace directe pour moi.

F - Je suis une menace déguisée en votre semblable, ce qui me donne quelques avantages, sans parler bien sûr de mes avantages naturels...

La privation de sens partie 2 par Bernard Noël

 La plus grande constante dans le comportement humain est la tendance à la servilité. De tout temps, une majorité a été opprimée par une minorité , et elle n'a pu l'être que par consentement. Certe, il y a eu des soulèvements, des émeutes, des révoltes et même des révolutions mais l'oppression toujours a été rétablie. Et généralement par la violence des libérateurs dont le contre-pouvoir reprenait les moyens du pouvoir : institution, armée, police tout ce qui symbolisait justement les choses à abattre pour changer l'ordre social. Cependant, devenue médiatique, notre société permet de rêver d'un pouvoir qui, sans rien perdre de sa nature oppressive, déciderait de renoncer à la violence parce qu'elle n'est plus indispensable à la domination. Il n'est plus en effet nécessaire d'opprimer par la force pour soumettre étant donné qu'il suffit d'occuper les yeux pour tenir la tête et, avec elle, le lieu de la contestation éventuelle. Les anciens régimes s'essoufflaient  à interdire, censurer, sans réussir à maitriser le lieu de la pensée qui pouvait toujours travailler silencieusement contre eux. Le pouvoir actuel peut occuper ce lieu de la pensée sans jouer de la moindre contrainte : il lui suffit de laisser agir la privation de sens. Et, privé de sens, l'homme glisse tout naturellement dans l'acceptation servile.

Les moyens de résistance sont tributaires du fait que, pour résister, il faut se savoir opprimé ou victime, et qu'il est difficile de développer cette conscience quand on est soi-même l'oppreseur de soi-même. Il n'y a personne d'autre que soi pour servir d'agent à la privation de sens : cette position rend difficile la prise de conscience de l'étendue des dégâts. Tantôt on se plaindra du temps trop longuement passé devant l'écran de télévision, tantôt on se moquera de la niaiserie d'un programme tout en l'ayant supporté, tantôt on se vantera de zapper à bon escient mais ces réserves vont rarement plus loin et surtout n'envisagent pas le véritable problème c'est à dire l'occupation opprimante par le flux des images. Le pire est qu'un bon programme procède à la même occupation de l'espace mental qu'un mauvais...

La société des spectateurs est elle aussi à deux vitesses, et l'ob voit bien que la concurrence entre les chaines et le souci de l'audimat ne jouent pas dans le sens de la qualité. Le seul souci est de séduire le plus largement possible afin qu'un audimat favorable valorise au maximum la minute de publicité. Cet "idéal" exige que le téléspectateur soit traité non pas en auditeur ou en client comme il semblerait normal, mais en tête à rendre docile aux messages publicitaires ou autres. C'est le but que se propose ouvertement la chaine la plus populaire, et cela signifie que son public, , soit près de la moitié des téléspectateurs français, va être manipulé au gré de ses intérêts alors qu'il croirait se distraire ou s'informer.

ce détournement qui se passe par une falcification sert à constituer une audience pour la vendre aussitôt à des annonceurs. Le public est un troupeau et on en décompte les têtes pour saoir qu'elle en est la quantité afin de la vendre aux maquignons de la publicité. Monsieur LeLay , pdg de TF1 s'est exprimé là dessus avec un cynisme qui a le mérite de mettre enfin les choses en clair..."le métier de TF1 c'est aider coca-cola par exemple, à vendre son produit. Or pour qu'n message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de rendre le cerveau disponible, c'est à dire de le divertir , de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca cola c'est du temps de cerveau humain disponible..."

Monsieur Le Lay ne dit pas ce qu'est un "cerveau humain disponible" tant cet état doit lui paraitre evidemment acquis, et tout aussi évidente la capacité de la télévision à le produire. Cette assurance est une manière implicite de nous rappeler que la télévision est bien le moyen le plus rapide et le plus efficace de vider le cerveau pour qu'il reçoive un "message" comme s'il le pensait. Incidemment Monsieur Le Lay indique un peu plus loin une raison de cette efficacité. "La télévision c'est une activité sans mémoire". Autrement dit la disponibilité ne tire aucune leçon de ce qu'elle enregistre un instant et elle demeure par conséquent inusable.

L'ironie - mais à l'égard de qui?- voudrait qu'on rappelât ici qu'au momen t de la privatisation de TF1 en 1987 Monsieur Bouygues argua du "mieux disant culturel" afin de l'emporter sur ses concurrents et s'approprier la chaine. Ce "culturel " s'est transformé en art de rendre le cerveau humain disponible, art que jusqu'ici aucun régime totalitaire n'avait su pratiquer avec un tel succès. Cette réussite masque son efficacité derrière un commerce qui semble ne concerner que les produits de consommation car il ne serait surement pas productif pour monsieur Le Lay d'expliquer que sa chaine a pour "vocation" de rendre notre cerveau disponible - par exemple- aux idées de monsieur Sarkozy. Il ne faut surtout pas prévenir le troupeau humain de l'acheteur auquel on va le céder si l'on peut pouvoir le livrer en bloc et sans problème.

On aura compris que la disponibilité à laquelle oeuvre monsieur Le Lay avec un pragmatisme admiré par tous les "entrepreneurs" n'est qu'un avatar de la vieille servilité. La société de consommation a besoin de cette servilité pour nous faire que nos choix ne sont dûs qu'à une information libre, objective et désintéréssé.

La privation de sens. Partie 1 Par Bernard Nöel

 Lassitude et révolte, en vérité rage contre la lassitude quand la révolte se fatigue. Le pouvoir a trouvé le moyen discret d'occuper en nous les lieux de la défense et même d'user notre énergie. Une faiblesse vient qui n'a pas de raison, et qui soudain n'est consciente que par hasard. On devien alors que le vieux rêve tyrannique est en train de se réaliser : celui d'une soumission sans contrainte apparente produisant l'effet d'un abandon. Mais à quel envahissement a-t-on cédé pour en arriver là? IL y a longtemps déjà que, pour expliquer ce phénomène, j'ai fabriqué le mot "sensure" afin d'exprimer la privation de sens. Et sans doute cette perte provoquait-elle une perte critique favorable à la soumission sans toutefois l'installer à ce point. Tout juste lui créait-elle un espace propice. A moins qu'en se prolongeant la privation de sens n'entraine une débilité d'autant plus efficace que, pour ses victimes, elle n'est plus qu'une habitude liée à une forme de consommation devenue naturelle. Ainsi ladite privation aurait-elle sur le sens l'effet qu'ont justement sur lui les drogues qui s'attaquent à nos facultés intellectuelles, à cela prêt que nul ne songe à faire la comparaison tant elle parait incongrue. Le problème est qu'on ne sait définir avec précision les causes de dégâts qui ne sont pas ressentis comme tels, de sorte que cette non-perception fait partie de leurs caractèristiques.

Le prncipal agent de la privation de sens est aujourd'hui la télévision. Elle l'est directement à travers l'audience considérable dont elle bénéficie, elle l'est aussi par les comportements qu'elle induit dans la politique, l'économie, les loisirs. Son audience est considérable car elle n'exige pas d'autre effort que de s'asseoir devant son poste, puis de regarder, d'écouter. Jamais dans l'histoire il n'avait existé un moyen d'information ou de culture qui s'offre aussi facilement à sa consommation. Cette facilité est évidemment significative dans la mesure où elle a surgi à contre-courant de la loi morale élémentaire assurant que rien ne saurait s'obtenir sansz effort. Désormais, à toute heure et sans le moindre effort, le téléspectateur obtient des nouvelles, des distractions, des documentaires. Il n'a besoin pour cela que de se mettre dans une situation passive et de se laisser pénétrer par ce qu'il voit. Tout lui est donné sous la forme d'un défilé d'images parlantes, qui défilent autant dans son espace mental que d evant ses yeux pour la raison qu'espace visuel et espace mental sont en liaison constante. On peut déjà en inférer très raisonnablement que cette "liaison" ne saurait être neutre et que la pénétration du défilé, jour après jour, à travers les yeux entraine une paresse à former soi-même des représentations mentales personnelles, donc du sens.

Les images télévisuelles sont par ailleurs le plus souvent des images stéréotypées , et cela dans tous les domaines. Elles invitent par conséquent à se former un système de représentation à leur ressemblance. D'où un épuisement de l'originalité au profit d'une espèce d'imaginaire consensuel composé chez des mêmes éléments formatés par la vision des mêmes émissions. Il était de bon ton de trouver excessives ce genre d'analyses mais le directeur de TF1 les a récemment fait paraitre modérés en assurant (j'y reviendrai) que son rôle était de "fabriquer des cerveaux disponibles" et donc ouverts au séduction de la publicité.

Mieux vaut savoir que la privation de sens est cyniquement planifiée: cela évite d'avoir à le démontrer et permet de s'interroger sur une perte qui, au delà du sens, concerne la vitalité. Il parait assez normal que le fonctionnement de la pensée soit compromis par le défilé d'images insignifiantes qui se substitue à son mouvement naturel , mais l'effet débilitant de cette substitution va beaucoup plus loin. Est-ce parce que le temps passé à faire quelque chose implique l'engagement d'une parcelle égale de notre vie ? Est-ce parce que , par voie de conséquence, la parcelle de vie dépensée à se laisser occuper par l'insignifiance est au bout du compte une dépense mortelle? le sentiment va ici grandissant qu'on ne touche pas à l'espace mental sans toucher au corps. Et que le corps dans cette affaire est gravement atteint.

Sans doute n'aurait-on parlé autrefois que de "temps perdu" à propos du temps passé evant l'écran de la télévision, mais quand le temps perdu devient une habitude quotidienne, il change évidemment de nature. Les Français dit la statistique passeraient en moyenne quatre heures par jour devant eur téléviseur, c'est à dire un bon quart de leur vie éveillée. Faire une telle part à l'insignifiance ne peut aller sans dommage pour le sens puisque l'activité mentale dont il dépend est remplacée par une succession d'images , qui est une cure d'irréalité et de conformisme. Cette irréalité est envahissante parce qu'elle ne se cantonne pas au spectacle regardé dans l'intimité :elle modèle peu à peu tout l'environnement car il doit ressembler aux images s'il veut convaincre ( quand il s'agit du monde politique) , s'il veut plaire (quand il s'agit des produits et des objets), s'il veut séduire quand il s'agit des relations. Tout cela agit par contamination parce que l'invitation qu'adressent les images relève de la seule fascination et non de la rréfelxion. Ce processus correspond à celui de la consommation, où l'emballage compte bien plus que le contenu, ce dernier pouvant demeurer identique et susciter un désir nouveau pourvu qu'il change d'apparence.

Dans ce jeu des images l'apparence est la principale marchandise : elle fait acheter du rien, mais elle fait aussi adhérer au rien du spectacle politique ou aimer le rien des postures sentimentales ou érotiques. Le bonheur est une imageet l'avenir lui-même en est une autre. La réalité est désormais en trop. Elle s'oublie dans le regard que nous portons sur elle car le regard prélève sur elle une ressemblance qui nous suffit. Le corps est traité pareil mais de l'intérieur puisque c'est son intérieur qui sert d'abord d'espace au spectacle, en vérité moins d'espace que de canal et même de déversoir. Les images y coulent sans être assimilées. Elles sont indifférentes à qui les recoit : elles pénètrent et passent. Seul compte leur mouvement, et qu'il soit passant. Leur sens n'est qu'une direction, une progression, qui efface à mesure ce qu'elle fait progresser dans le corps, traité comme un simple tuyau de réception et d'évacuation. Et ce tuyau a pour orifice le cerveau ; un cerveau rendu en effet disponible pour le mouvement et qui ne retient rien, sinon les messages dans lesquels les publicitaires condensent un peu de sens.

Ce sens est bien entendu servile : il ne vise pas plus à éclairer qu'à nourrir la pensée, il a pour seul but de faire consommer ceci ou cela, et il n'est lui-même qu'un produit inséré dans un emballage appellé "spot" ou "flash". Mais le sens des journaux télévisés ou des émissions politiques n'est pas moins serviles que celui de la publicité qui lui sert de modèle. Sauf très rares exceptions, il ne s'agit pas d'informer , seulement de faire consommer une vision consentuelle de l'actualité ou de tel personnage, de tel parti , tel évènement. Le processus de la consommation guide tous les disours: il est en train de modeler l'éducation et la culture.

Cette situation est désatreuse parce que le consommateur n'est pas considéré comme un citoyen responsable de ses choix, même pas comme un acheteur raisonnable : on tâche uniquement de développer chez lui une servilité qui désarme sa conscience et sa résistance devant un produit ou un individu portant le masque d'une image séduisante. En fait, l'installation de la servilité a commencé quand le spectacle, au lieu de solliciter la participation du spectateur, l'a réduit à la passivité. Un spectateur passif est un tube sans filtre, qui ne réfléchit ni ne digère ce qui le rend capable d'absorber inlassablement. Ce spectateur susceptible d'avaler sans retenue est le prototype du parfait consommateur celui qui, selon d'ignobles affiches placardées ces jours-ci, obéit au "devoir d'achat".

Il va de soi qu'on ne peut traiter votre corps comme un simple organe d'absortion tout juste bon à vous gaver d'images sans le mépriser. Ce corps exploité à la fois dans son existence corporelle et dans son existence psychique n'est plus qu'une sorte de trou organique greffé sur vous pour parasiter le vivant et le transformer en consommateur servile de ce qu'on lui fait ingurgiter. Le consommateur est en quelque sorte prostitué à la consommation...Cette description paraitra caricaturale : elle ne fait que simplifier pour mettre devant l'évidence. D'ailleurs, il y a pire encore dans cette situation si l'on s'aperçoit que la privation de sens liée à la consommation passive entraine un gavage par le vide et installe ce vide (ce néant) dans la collectivité des spectateurs.

L'invention géniale du système médiatique est de nous combler avec de l'apparence, autrement dit de nous occuper avec du rien. Il s'enssuit une étrange réussite si l'on pense qu'au cours de l'histoire toutes les collectivités trouvaient leur sens dans le partage de pensées suffisamment fortes pour que chaque individu 'unisse au corps social (ou mystique) avec le sentiment de s'y accomplir. Le meilleur exemple en est fourni par les religions, qui avaient le souci de fournir à leurs fidèles une vie spirituelle soutenues par des rites satisfaisants leur appétit de sens. Les régimes totalitaires ont imposé des idéologies, qui auraient dû fonctionner à la manière des religions en exaltant le partage d'une pensée commune. leur crainte que l'exercice de la pensée conduise à la contestation a vite figée l'idéologie dans le stéréotype et l'illusion débilitante. L'étrange réussite de la société médiatique est de produire de la pensée unique en n'offrant rien à penser. La chose est possible grâce à l'occupation de l'espace mental par un défilé qui mime le mouvement de la pensée. Créer du partage en ne donnant que du vide à partager est sans doute l'opération la plus rentable du règne de l'économie. et qui ne cesse de se perfectionner puisqu'on éradique à présent les nuances au profit des opinions binaires , celles qui n'acceptent que le oui ou le non.


 



jeudi 9 janvier 2025

Le Monde diplomatique du mois Octobre 2024

 BHL, trente ans de plus

Le 24 juin dernier, la scrupuleuse vigilance du Monde diplomatique fut presque prise en défaut. En aout, concluant une longue enquête sur la chaîne ARTE, nous écrivions que Bernard-Henri Levy, président du conseil de surveillance, "devrait bientôt quitter cette fonction qu'il occupe depuis 1993". Le septième mandat de l'essayiste arrivait en effet à terme sans possibilité de reconduction : les nouveaux statuts de 2019 instauraient une limite d'âge à 70 ans. Certes l'éditorialiste du Point l'avait déjà franchie, mais ARTE lui concéda un sursis. Le plafond, expliqua la chaine, "s'appliquera au prochain renouvellement de la présidence du conseil de surveillance". Lequel devait intervenir le printempsdernier. Devait...car le réalisateur du "jour et la nuit" (1997), un film à gros budget cofinancé par ARTE que les spécialistes pour une fois unanimes inscrivirent sur la liste des pires navets jamais produits, trouve son siège confortable. Ce 24 juin dernier, donc, ARTE modifia ses statuts pour offrir à BHL de présider l'instance cinq années supplémentaires.

Ce privilège d'Ancien régime ne perpétue pas seulement le conflit d'intérêts entre une chaine qui subventionne et diffuse (en troisième partie de soirée) les documentairesnombrilistes de son inamovible mandarin. Il sonne en ce moment comme une déclaration politique. BHL compte en effet au nombre de plu bruyants influenceurs de l'armée israélienne. Invité à promouvoir son dernier livre sur Europe 1 - cnews, il décrit la colonisation en Cisjordanie comme "trois caravanes en haut d'une colline" au moment où l'Organisation des Nations Unies qualifie de "crimes de guerre) la confiscation des terres palestiniennes par 740 000 colons. Déjà, en 2009, le propagandiste qui continuera de veiller aux destinées d'ARTE était entré à Gaza perché sur un char israélien.

"La mort des civils de Gaza n'est pas un massacre", écrit-il dans "Solitude d'Israel" (Grasset 2024). Toutes les antennes lui sont ouvertes, en particulier celles de LCI, Cnews et BFM TV. Et les palais officiels. Cinq présidents de la République successifs l'ont dorloté et écouté : François Mitterand et Jacques Chirac, d'abord, puis MM Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron. l'actuel étant peut-être le plus assidu en même temps que le plus assoupli par ceux qui le flattent, Bernard-Henry Levy l'a comparé, sans rire, à Thucydide, à Carl von Clausewitz et à "tous ceux qui ont réfléchi à la guerre" (Le parisien 16 mars 2024). Le chef de l'Etat venait, après avoir, conseillé par BHL, lancé l'idée d'une "coalition internationale contre le Hamas" qui aurait conduit France à combattre aux côtés des soldats israéliens...C'est certainement en toute indépendance qu'ARTE a piétiné ses règles pour que nous puissions conserver à sa tête un personnage aussi irremplaçable. Trente ans de plus?

lundi 6 janvier 2025

Les délires du chef par Bernard Noël

 Lettre ouverte.

"Quand j'entends le mot culture, disait le maréchal Goering, je sors mon révolver."

Ariel Sharon se contente, quant à lui, de baisser son pantalon et de se soulager, non pas sur le mot, mais sur tout ce qui qualifie ce mot. La preuve en est donné par cet article paru le 7 mai, dans "le monde", sous le titre : "A Ramallah, au ministère de la culture vandalisé par Tsahal".

L'essentiel des informations tient dans ce début : 

"Une fois franchies les portes défoncées à l'explosif, l'odeur pestilentielle prend à la gorge. de loin en loin, la moquette souillée d'amas bruns ne laisse pas de doute sur son origine. Le ministère de la culture évacué dans la nuit du 1 au 2 mai par l'armée israélienne, n'est plus qu'un champ d'immondices.

les soldats ont laissé derrière eux des bureaux éventrés, des ordinateurs désossés et des montagnes d'archives jetées à terre, mêlées à des mégots, des reliefs de repas et des excréments. Partout plane la même odeur qui prend à la gorge. Aucun département n'a échappé au vandalisme. Les piles de livres, les photographies et les peintures portent uniformément la trace des occupants.

Des bouteilles de plastique remplies d'urine trônent dans les bureaux ou gisent au pied des murs contre lesquels elles ont été lancées..."

Il existe depuis toujours un langage du cul pour exprimer le mépris de l'Autre en lui chiant dessus ou pour lui faire violence en violent son cul. Il s'agit de souiller pour faire disparaitre l'humain sous une couche de caca. Le langage bestial est en soi l'articulation la plus anticulturelle. Il ne peut, dans sa négation de l'Autre en tant que semblable, qu'évoluer vers son propre excès par la torture, le meurtre, les massacres.

N'est-il pas que, trois jours plus tard, le 10 mai, le même journal publie à la fois un article sur la destruction partielle par les Israéliens de la vieille ville de Naplouse en instance d'être classée "trésor de l'humanité" et un autre, gratifié d'une place à la Une puis de toute une page, la 14, ayant pour titre : "Les délires de la haine anti-israélienne". Signature, un certain Lanzmann.

Un "certain" parce qu'il paraissait impossible qu'une diatribe semée de coups bas, de mépris grossiers et de contre-vérités soit l'oeuvre de l'auteur de "Shoah", ami de Sartre et son successeur à la direction des "Temps modernes". Mais l'énumération des qualités à la suite de la signature ne laisse aucun doute.

On comprend que l'odorat de monsieur Lanzmann n'a pas une portée suffisante pour l'informer de l'état du ministère de la culture palestinien, !ais on comprend mal qu'il ne lise pas le journal dans lequel il se déchaine. Mal aussi que la vision d'un cinéaste remarquable ait un champ pareillement réduit. On attend du directeur des "temps modernes" une intelligence du conflit israélo-palestinien susceptible de fournir, sinon une solution, du moins une éclaircie des positions réciproques, et par conséquent une compréhension. le rôle des "temps modernes" durant la guerre d'Algérie aurait du le conduire, par exemple, à nous sortir de l'hystérie générale en faisant remarquer qu'à l'évidence les actes qualifiés aujourd'hui de terroristes par les colonisateurs ne sont que des actes de résistance.

Mais, pour Claude Lanzmann, traiter Israel de colonisateur est une parole de haine puisqu'il fait l'impasse aussi bien sur la manière dont les palestiniens furent spoliés de leurs terres (6% seulement de ces terres ont été payées) que sur l'histoire d'une colonisation pourtant dénoncée désormais, en Israel même, par les nouveaux historiens et par une série de filmes de la BBC dont on peut penser qu'ils ont eu pour modèle "Shoah" de monsieur Lanzmann.

Le pire, cependant, n'est pas dans cette ignorance tactique, partagée par tous les dirigeants israeliens et que, peut-être nous aurions fini par partager tous s'il n'y avait ces innombrables réfugiés parqués depuis un demi-siècle dans des camps, et dont il faut bien de temps en temps, généralement à la suite d'un massacre, se demander d'où vient vient leur sort et pourquoi et comment et depuis si longtemps. Le pire est le ton méprisant qu'utilise monsieur Lanzmann pour disqualifier ceux qui pourraient l'amener à interroger ses certitudes. Et d'abord à l'égard des volontaires internationaux (CCIPP) qui, enfermés avec Arafat dans la Mouqua'ta, lui faisant rempart de leurs corps. Ils sont accusés d'avoir surtout une parfaite maitrise d'Internet et, donc, de propagande abusive. D'ailleurs, en dépit de la foule des témoignages et des images télévisées, monsieur Lanzmann nous assure que ces immeubles - de la Mouqua'ta - sont la plupart demeurés intouchés et "nul international ne perdit, Dieu soit loué, la vie'.

Ici, dans un étonnant dérapage, monsieur Lanzmann fait suivre ce Dieu soit loué dit son soulagement ( mais pourquoi se féliciter qu'aucune vie n'ait été perdue s'il n'y avait aucun risque?) d'une considération inattendue que voici :

"En Espagne, ce fut autre chose, les hommes véritables des véritables brigades internationales, allemandes, françaises, américaines, etc moururent par milliers, héroiquement dans les combats de Teruel, Albacete, Madrid, Barcelone, Malaga. On peut pardonner aux CCIPP de vivre en des temps peu épiques, sans grandeur ni utopie, qui les vouent à la parodie. Cela ne justifie pas qu'on passe de la parodie à la posture, à l'outrance, au mensonge, à la propagande, au faux témoignage."

On appréciera le passage au langage machiste (sous-entendu : des couilles au cul) avec l'évocation des "hommes véritables" et "des véritables brigades internationales".

L'inconscient de monsieur Lanzmann laisserait-il échapper que la cause palestinienne mériterait le secours des brigades internationales? Beaucoup y pensent, mais comment accéder à un pays que ses amis israéliens empêchent d'exister?

Monsieur Lanzmann considère, semble-t-il, que le choix d'une attitude pacifique est une parodie. Et sans doute sont pour lui mensonges les tirs avérés sur les journalistes, le refus de laisser circuler les ambulances, la volonté de laisser mourir les blessés, bref les centaines d'exactions constatés par les témoins les plus divers. Tout cela n'est qu'"outrances, propagande", etc, et monsieur Lanzmann y dope son élan contre "les faux témoins incendiaires", particulièrement trois d'entre eux qui ont sdu profiter de "toute la révérence que ce journal attache à la culture" pour publier dans "le monde", et sur deux pleines pages, "trois très longs textes d'écrivains" ! Voilà qui fait flotter une suspicion sur leur véritable nature car cette qualification les fait fatalement pencher vers la littérature plutôt que vers la véracité. D'ailleurs, Goytisolo, Soyinka et Breytenbach, les trois membres de "l'auto proclamé Parlement International des écrivains" venus en Palestine pour mesurer les dégâts, n'y ont séjourné que du 24 au 29 mars, autrement dit trop peu de temps pour être des témoins sérieux.

Monsieur Lanzmann avance à tort cet argument : il faut beaucoup de temps pour une enquête mais fort peu pour VOIR et, justement, constater "de visu" les dégâts, les vexations et les humiliations. N'importe quel Lanzmann de bonne foi, s'il se rendait en Palestine, pourrait, au vu de ces humiliations, les dénoncer pour oeuvrer à l'apaisement, mais son omniscience le dote d'un pouvoir intellectuel très supérieur à celui des 'faux témoins incendiaires". Conséquence, au lieu de démonter les témoignages, il démonte les témoins. En vérité, il leur chie dessus afin de les liquider culturellement et se trouve ainsi au diapason de la conduite de Tsahal à Ramallah.

Goytisolo est exécuté en trois lignes ("juge et partie depuis tant d'années, il devrait se récuser lui-même comme témoin"). Soyinka, le nobel Nigérien, est renvoyé à son embarras et à son incompétence.

Pour être juste, il faut reconnaitre que la lecture des textes de Goytisolo et de Soyinka est décevante. L'un et l'autre font en effet un peu trop de littérature quand in voudrait un regard cru. Mais tel n'est pas le cas de Breyten Breytenbach, qu'on sent touché au plus vif par ce qu'il a vu et dont les termes tremblent du désespoir de n'avoir rencontré qu'oppression et violence. Breytenbach est donc l'homme à abattre, et monsieur Lanzmann s'y emploie longuement. On jugera de quelle façon par ce paragraphe:

"Breytenbach, sait-on, est poète. Il l'était peut-être. Il n'est plus aujourd'hui qu'un rhéteur emporté par son emphase: il n'y a en lui aucune émotion vraie ni compassion authentique pour les Palestiniens. Habité, hanté de vide, il ne peut que mesurer l'énormité de ses proférations, mais, incapable d'y renoncer ou de faire marche arrière, il réagit par l'escalade ou la surenchère (soit dit en passant, cela décrit avec exactitude le mécanisme de la décision chez Adolf Hitler, qui se ligotait par ses propres paroles et défiait ainsi l'avenir : il proclamait irrévocables ses pires résolutions car son coeur était creux)".

La prenthèse finale est hélas significative : les "délires de la haine" ne sont pas où les situe monsieur Lanzmann, ils sont dans son propre coeur. Et si Breytenbach a droit au coup très bas de la comparaison avec Hitler, c'est qu'il est, parmi les trois honnis par monsieur Lanzmann, la voix la plus autorisée. Lui, Breyten Breytenbach sait, par expérience, reconnaitre dans la situation d'apartheid des Palestiniens une situation qui fut la sienne en Afrique du Sud, son pays. Pour avoir bravé l'apartheid par son mariage et pas seulement par des mots d'opposition, il a connu menaces de mort et longues années de prison. A la différence de monsieur Lanzmann, il sait de quoi il parle et il l'exprime d'une voix fraternelle à l'égard des Palestiniens et sans haine pour les Israeliens car il n'est sévère qu'avec leurs dirigeants. la seule chose choquante (pour moi) est d'apprendre que ces trois écrivains ont accepté de serrer la main de Shimon Péres, le politicien ke plus traitreusement opportuniste de notre temps. mais ce geste faisait sans doute partie de tourisme humanitaire que leur reproche monsieur Lanzmann avant de proférer avec sa superbe ordinaire cette écrasante et ultime question :

"Pourquoi, par exemple, vos informateurs ne vous ont-ils pas dit, monsieur Breytenbach, que les oliviers arrachés sont ceux qui se trouvaient e, bordure de route? Les tireurs s'embusquaient derrière leur feuillage et prenaient la fuite, leur action accomplie."

Monsieur Lanzmann a-t-il jamais vu un olivier? Sait-il qu'on ne les plante pas comme des platanes et que leur envergure ne saurait offrir qu'un abri précaire? Les puissants démocrates israéliens en ont fait arracher des champs entiers et non des files pour punir, spolier, humilier. Ils sont des spécialistes de la punition collective. Quant aux tireurs embusqués, monsieur Lanzmann, qui a fait un film sur Tsahal, doit savoir qu'ils échapperaient difficilement aux appareils de détecxtion ultrasophistiqués. Il suffit de penser aussi que, Tsahal assure avoir réussi, par ces moyens, à mener une guerre propre dans les ruelles sales de Naplouse et de Jénine.

La seuke bavure serait en somme le vandalisme merdeux dont a souffert le ministère de la culture à Ramallah. Si monsieur Lanzmann n'en tient aucun compte, c'est bien sûr pour la raison que la merde israélienne n'a vraiment une odeur de merde que pour un antisémite.


dimanche 5 janvier 2025

Les carnets du sous sol. De Dostoievski


 

Que dire ?

 PASCAL COQUIS : Il est tout à fait possible d’écrire que, depuis le retour au pouvoir des talibans au cœur de l’été 2021, les femmes afghanes sont invisibilisées, niées, discriminées. Il est possible de l’écrire, mais ce n’est pas juste, en tout cas ce n’est pas assez fort. Aucun qualificatif ne l’est pour raconter ce calvaire que l’on penserait sorti d’un autre âge, contemporain pourtant.

En Afghanistan, les femmes ne sont pas seulement invisibilisées, niées ou discriminées, elles sont brûlées vives. Réduites en cendres et puis en poussière, sous nos yeux avec une violence croissante. Sans que nous n’y puissions rien faire. Ce qui se déroule au pays des Pachtounes est une abomination. L’une des plus grandes atrocités de cette époque qui n’en manque pas, un crime contre l’humanité ou alors on ne sait pas ce que ça veut dire.

Aujourd’hui, les intégristes qui dirigent le pays et pour qui les femmes n’ont aucune autre fonction que celle d’esclave (sexuelle et domestique) exigent que les ONG opérant sur leur territoire n’emploient plus de personnel féminin. Hier, ils avaient décidé que les fenêtres des pièces dans lesquelles elles pouvaient se trouver devaient être obstruées et, avant encore, « on » les avait privées d’études secondaires, d’emplois publics, de promenades dans les parcs, de salons de beauté ou de salles de sport, de représentation à la télévision, d’autonomie, du droit de chanter ou même de parler à voix haute, de sorties non accompagnées. De tout ce qui fait une vie, fut-elle de misère.

SALMAN RUSHDIE : Je viens d'un aspect de la culture musulmane où chacune des femmes de ma famille a lutté contre l'idée même du voile. Elles croyaient, comme je le crois, que le voile opprimait les femmes, que le voile a été conçu en raison d'une idée très bizarre de la sexualité selon laquelle la simple vue des visages et des cheveux des femmes enflammerait sexuellement les hommes et qu'il faudrait punir les femmes pour ça en insérant leurs têtes dans des sacs. Vous ne pouvez pas vivre dans un monde où la moitié de l'espèce humaine se promène dans un sac !

KRISHNAMURTI : Des hommes « saints » (des fous de Dieu, NDLR), partout dans le monde, soutiennent que regarder une femme est mal ; qu'il est impossible de se rapprocher de Dieu si l’on prend plaisir à des rapports sexuels ; et, ce faisant, ils refoulent leurs désirs qui les dévorent, en niant la sexualité, ils se bouchent les yeux et s’arrachent la langue, car ils nient toute la beauté de la terre. Ils ont affamé leur coeur et leur esprit. Ce sont des êtres déshydratés, ils ont banni la beauté, parce que la beauté est associée à la femme.

Source : « Se libérer du connu » Chapitre 10 : L'amour

Interpreter des textes d auteur. Par M.A.

Inspiré par la déception que j'ai subi comme une blessure à l'écoute des interprétations par Denis Lavant des extraits de textes de Franz Kafka.


 "Les mots ont tous un sens...

Tous...

Le choix de tel ou tel en impose un précis à ce que l'on dit ...


La ponctuation, choisie avec un soin particulier (et non pas un tic littéraire qui n'aurait aucune conséquence) donne au texte lu, le souffle, le rythme.


La combinaison des deux donne à la lecture du texte d'un auteur sa véritable destination et toute la vérité de celui-ci. On est fonc au plus près de ce que l'auteur veut exprimer.


Bernard Noël utilise des mots très simple, une structure de phrases courtes. Le sens et le rythme créent cet univers particulier.


Michel Surya ajoute à sa volonté de nous démontrer une idée, la complexité de la phrase afin de nous montrer toute la complexité d'une réflexion complète.


Pierre Guyotat impose à notre sensibilité une structure hachée, avec une ponctuation précise, avec des termes crues qui nous imposent des images, des tableaux. Nous ne lisons pas "Depuis une fenêtre " comme une histoire mais une représentation visuelle de la complexité de la communication.


Georges Bataille à cette joie presque juvénile de nous heurter dans nos fondements mais lorsque l'on met une distance entre ce qui est écrit, notre compréhension mutilée par notre éducation scolaire et familiale, on en savoure toute la jubilation. Même si on peut être convaincu de tout le sérieux qu'il a pu y mettre. Il n'y a de "bien" que parce qu'il existe le "mal"; et Dieu n'est vivant que si il est celui du "bien" ET du "mal", sinon il n'est pas Dieu, il est un subterfuge, un prétexte.


Tout cela est un jeu, un jeu joyeux pour celui qui écrit mais inconfortable pour celui qui reste sur les chemins de l'éducation.


Pour s'émanciper un tant soit peu, il faut prendre conscience de nos propres pièges.


Max Stirner est une lecture qui libère et nous déculpabiliser.


Livres : 


"Madame Edwarda" et "Histoire de l'oeil" de Georges Bataille


"Le mort-né/ Eux" , " L'éternel retour/le mondes des amants" , "Principes pour une littérature qui rmpeste" de Michel Surya


"Le château de Cènes" , " L'outrage aux mots" , " Les premiers mots" , "La langue d'Anna" de Bernard Noël 


"L'unique et sa propriété " , "Le faux principe de notre éducation" de Max Stirner

samedi 4 janvier 2025

Franz Kafka : La métamorphose

 14 en oral au bac grâce à la métamorphose de Kafka.

Un bon souvenir



0nze voies de fait: par Bernard Noël ( travail tiré de textes de Georges Bataille)

 Tableau 6 : Monologue


...nous avions, c'est vrai, du plasir à tuer mais ce plaisir n'était pas celui des tortionnaires, qui satisfont leurs vices sans courir le moindre risque...Nous avions - comme dit l'expression qui ne sait pas ce qu'elle dit - fait le sacrifice de notre vie. Et ledit sacrifice nous avait mis dans la position de ceux qui, revenus de la mort, doivent à ce retour quelque peu anormal un apaisement. Non, nous étions à la fois fiévreux et apaisés...Non, cette dualité a dû venir plus tard. Elle estr venue du fait que je ne suis pas mort, et que cette survie a eu pour conséquence que le sacrifice, le mien, n'a pas eu lieu, me laissant orphelin de l'expiation...Nous étions fiévreux d'être constamment au contact de la fin, celle que nous infligions et qui ne cessait de nous représenter la nôtre...Je sais que j'appartiens à une compagnie détestable, et qu'il vous est impossible de me dévisager sans l'apercevoir : la compagnie des criminels légaux...Les actes de ces gens-là sont couverts par l'ordre et l'autorité : ils ne sont désavoués qu'à contretemps quand ils le sont; toujours trop tard pour que le désaveu entraine une sanction...Je vous dis cela pour prendre mes distances, et cependant que je les prends, une voix proteste en moi car en ce temps-là - au temps que j'évoque - il ne me déplaisait pas d'être confondu avec les brutes que leur férocité privait de l'intelligence de leur destin. Je savais que notre cruauté violait toutes les lois qui permettent de vivre en société, mais je savais aussi qu'elle ressemblait au droit divin, qui peut se dérégler librement. Le pouvoir de ce dérèglement est extrême : il permet, dans les actes qu'il inspire, que le corps et l'esprit s'unissent enfin. Et tant pis si le mal est plus propice que le bien à cette union... Ou tant mieux ! Cela devient inconcevable à distance, mais rien ne saurait pareillement permettre d'épouser l'insensé, qui est le soubassement de la vie... Permettre de l'épouser virilement...Ce dernier mot, sachez que je l'avance avec dédain : je n'ai recours à lui que pour sa justesse dans la situation, et non pour la superbe qu'il affiche...J'avais le sentiment de baiser l'insensé, oui, de baiser la condition humaine, et de le faire avec tout mon moi, tout mon entier, sans restriction. La cruauté, enfin, nous délivrait de la représentation, elle nous portait au-delà du langage dans une sorte d'expression absolue...Je ne m'exalte pas. Je mets les mots de la hauteur sur la chose basse pour la raison qu'eux seuls lui conviennent. Imaginez la lame qui frappe, qui pénètre. Imaginez la chair qui se fend. Imaginez l'instant infini durant lequel cette fente s'ouvre avant que le sang ne jaillisse : c'est une bouche qui va dire la vérité sur la vie, mais le sang, aussitôt, noie cette vérité si bien qu'elle ne sera jamais prononcée...Ma propre blessure, la blessure fatale, est la seule qui aurait dit clairement cette vérité. L'aurait dite pour moi, mais en survivant j'ai perdu la chance d'éclaircie qu'eût été le sacrifice de ma vie. Comprenez que je tuais pour être tué dans l'espoir de l'échange le plus radical, et, somme toute, le plus durement fraternel. Comprenez que, désormais, il n'y a plus de sens, qu'il ne peut plus y en avoir, car le sens va vers l'épanchement de la vie dans la mort, tandis qu'en retournant contre moi sa dureté le non-sens m'a fait revenir de la mort vers la vie...

0nze voies de fait: par Bernard Noël ( travail tiré de textes de Georges Bataille)

 Tableau 5 : Deux personnages


A : Savez-vous pourquoi les gens sont si timorés de nos jours ?

B : Les gens ! Qui sont les gens ? On généralise à partir de deux ou trois voisins comme s'ils étaient l'humanité. La bonne question ne serait-elle pas plutôt : pourquoi chacun de nous, aujourd'hui, est-il si isolé ?

A : On le dit, mais il n'a jamais été aussi facile de voyager, de rencontrer des individus de toute sorte, de toute langue...

B : Votre argument va contre votre position et non pas contre la mienne : les peureux ne voyagent pas ! Et puis, rencontrer, comme vous le dites, des individus de toute sorte ne saurait entamer la solitude, tout au plus l'enfumer de quelques illusions très provisoires.

A : D'accord pour la solitude : elle rend plus timoré, plus craintif !

B : Et voilà comment on tourne en rond ! Il suffit de raccorder deux pistes pour que leur divergence, tout à coup, se transforme en chemin de ronde. Au lieu d'argumenter en vain, acceptons que ma question devienne une bonne réponse à la vôtre, et nous voilà tranquillement à l'abri dans l'immobilité.

A : Le monde n'allait-il pas mieux quand il restait stable durant des siècles et des siècles ? Pensez à l'Egypte, à la Chine...

B : Vous rêvez d'une grande muraille et, derrière elle, d'une vie immortellement protégée, mais imaginez le même présent à perpétuité...

A : Avouez qu'avoir un chez soi temporel ne doit pas être si désagréable ! 

B : Habiter dans un temps précis, avons-nous le choix de faire autrement ?

A : Quand vous nagez, vos mouvements ne sont-ils pas facilités par la profondeur et n'éprouvez-vous pas une espèce d'exaltation à sentir qu'elle vous porte ? 

B : C'est bien possible, mais...

A : Eh bien, j'éprouverais une exaltation comparable à sentir que mon présent repose sur une profondeur...immuable. A sentir qu'il est, en moi, le point émergé d'une épaisseur temporelle sans discontinuité.

B : Mais il ne tient qu'à vous éprouver que vous voilà à la limite supérieure du flot !

A : Quelque chose me l'interdit, quelque chose comme un détraquement, j'allais dire une flexibilité. La notion d'humanité est devenue très flexible.

B : Toute l'actualité nous pousse à penser le contraire car on ne saurait mondialiser l'humain sans faire disparaitre les particularités, les nuances, bref ce qu'il y avait de flexible dans le concept.

A : La flexibilité qui s'installe aujourd'hui n'a rien de commun avec les particularités ni avec le sens des limites.

B : En vous entendant parler de nage, d'exaltation, je me suis demandé si votre plaisir ne serait pas lié au sentiment de caresser l'extrémité provisoire du temps, et peut-être de votre propre limite...

A : Et dire que je ne songeais qu'exprimer ma nostalgie d'une demeure à jamais fixe dans le temps ! 

B : Avec comme horizon l'étendue paisible de l'avenir ?

A : J'étais encore un enfant quand est survenu Hiroshima...J'ai su pourtant alors que l'avenir ne serait plus jamais le même, qu'il ne viendrait plus jamais s'étendre paisiblement dans la continuité.

B : A quoi bon, dans ce cas, la nostalgie qui, en somme, n'est qu'une faiblesse au croisement de la mémoire et de l'imaginaire ?

A : Permettez-moi de la vivre plutôt comme un sanglot poussé par ma limite trop brutalement pincée par l'avenir. Tant pis si mon image est d'un goût douteux : ce sanglot me convient pour dire que j'ai au bout de moi l'inhabitable, et que je le sais par le désir conscient de son contraire. L'avenir enfonce un couteau dans mon présent, et j'en ressens une bienheureuse blessure...

B : Pourquoi bienheureuse ?

A : Pour la raison que cette blessure me représente ce que je ne saurais vivre déjà sans mourir et que, ce faisant, elle métamorphose l'instant redoutable en fiction...