jeudi 22 octobre 2020

Textes de Georges Sorel

 


 

L’éthique du socialisme :    1899

 

«La haine trouve bien moins d’aliments dans le droit historique que dans le droit naturel. Quand on dit aux pauvres que les détenteurs de la puissance (soit politique, soit économique) sont des voleurs, qui, depuis des siècles, usurpent ce qui ne leur appartient pas ; quand on leur crie de se lever pour reprendre ce qui leur est dû ; quand on leur dépeint l’existence des classes supérieures comme le seul obstacle qui empêche le bonheur du peuple ; - les pauvres en arrivent bientôt à croire que les dernières violences sont permises contre les ennemis de l’humanité. Les excès de la Révolution nous ont montré à quelles extrémités peuvent arriver des hommes d’un naturel assez doux, quand ils ont acquis une haine violente de ce genre, fondée sur une conception passionnée du droit naturel. Le socialisme actuel est si loin de cette manière de penser qu’on a souvent reproché à l’école marxiste d’enseigner une sorte d’indifférence fataliste et d’ainsi engourdir les énergies populaires. »

 

«  L'éminent écrivain se trompe : le régime final imaginé par les socialistes n'est pas susceptible d'être fixé à une date déterminée, par une prévision sociologique ; il est dans le présent ; - il n'est pas en dehors de nous ; il est dans notre propre cœur. Le socialisme se réalise tous les jours [C'est une des pensées maîtresses du livre cité de M. Merlino], sous nos yeux, dans la mesure où nous parvenons à concevoir ce qu'est une conduite socialiste, dans la mesure où nous savons diriger les institutions, et dans la mesure, par suite, où l'éthique socialiste se forme, dans notre conscience et dans la vie. Quand ces principes seront bien compris, on cessera d'être illusionné par la perspective d'une catastrophe qui s'éloigne toujours et d'un communisme qui semble s'éloigner indéfiniment ; alors on transformera les doctrines anciennes, qui de sociologiques deviendront éthiques. »

 

« « L'émancipation de la classe ouvrière doit être l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » On fait appel ici aux sentiments de l'énergie et de la responsabilité : les ouvriers ne doivent pas revendiquer une amélioration de leur sort, plaider leur cause au tribunal des classes dirigeantes et espérer qu'on leur accordera quelque chose en vertu d'un droit naturel, - ils doivent s'organiser eux-mêmes, et ne s'en prendre qu'à eux-mêmes si leur courage, leur solidarité et leur abnégation ne les rendent pas capables d'atteindre un état meilleur. »

 

« Les socialistes sont-il restés fidèles aux principes de l'Internationale ? Il faut ici faire une distinction ; il faut distinguer parmi les socialistes des gens plus ou moins bourgeois ; cette séparation ne doit pas être basée sur les origines, car il y a, parmi les bourgeois, des idéologues dont l’esprit est devenu purement prolétarien, comme Marx l’avait signalé dans le Manifeste de 1847. En général les écrivains socialistes oscillent entre des tendances bourgoises et les tendances prolétariennes ; mais les ouvriers et les hommes qui participent effectivement au mouvement ouvrier sont demeurés fidèles aux principes de l’Internationale. On se rendra compte facilement de cette vérité en suivant l’action du groupe qu'on nomme allemaniste, qui a été presque complètement exempt d’influences bourgeoises. En tête de son journal, Le Parti ouvrier, on retrouve la première règle de l’Internationale ; il suffit de lire cet organe pour voir qu'un esprit vraiment ouvrier l’anime tout entier. »

 

Y a-t-il de l’utopie dans le marxisme ?         1899

 

« Dans le Capital, Marx parle aussi d'une époque où l'intelligence sera souveraine (Capital, trad. franç., p. 31, col. 2). « Le reflet religieux du monde réel ne pourra disparaître que lorsque les conditions du travail et de la vie pratique présenteront à l'homme des rapports transparents et rationnels avec ses semblables et avec la nature. La vie sociale... ne sera dégagée du nuage mystique qui en voile l'aspect que le jour où s'y manifestera l'œuvre d'hommes librement associés, agissant consciemment et maîtres de leur propre mouvement social » (Le lecteur voudra bien se reporter aux §§ 436-440 de la Philosophie de l'esprit de Hegel pour comprendre l'origine de cette théorie, de même qu'il faut se reporter aux §§ 431-435 pour bien comprendre la théorie du prolétariat. Je me réserve de revenir amplement plus tard sur ces bases hégéliennes du marxisme). »

 

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