Jésus, toi dont une mère bien aimée m'apprit à balbutier le nom lorsque j'étais
enfant, toi que, dans mon inquiète adolescence, j'invoquais comme le
consolateur suprême de l'orphelin sans appui, Jésus, qui ne put fournir à mon
esprit la lumière dont il avait soif, ni à mon coeur l'amour sans borne dont il
éprouvait le besoin, Jésus pourquoi n'es-tu qu'un dieu de plâtre, dont le
manteau abrite aujourd'hui les gredins dorés ou les exploiteurs hypocrites. Et
j'ai consumé de longues nuits à lire les Evangiles où tes actes et tes paroles
étaient rapportés ; et mes yeux se sont usés à déchiffrer les écrits de l'âge
apostolique où devrait subsister un peu de ton esprit. Rien, rien ; plus j'ai
voulu voir, plus il m'apparut que tu n'étais qu'un vain mirage, l'incon
Evangiles approuvés par l'Eglise ; la Vie de Jésus d'un Renan n'est elle-même
qu'une pieuse légende sans base historique sérieuse. Son Jésus resté naïf et
débordant d'amour, adversaire des riches et des officiels, victime des
machinations ourdies par les puissants, nous est sympathique à souhait ; seule
l'exégèse démontrent qu'il s'agit là d'un rêve, d'un doux et beau rêve, éclos
dans la pensée des premiers chrétiens et repris, à toute époque, par des croyants
naïfs ou des poètes plus soucieux d'har l'abus du merveilleux et de l'allégorie
ont rendu insai en admettant qu'il ait existé. Dès le début du christianisme
(voir religions), les docètes nièrent sa réalité historique ; nul parmi ses
contemporains ne le mentionne ; et les récits évangéliques constituent un tel
ramassis de légendes, inventées de toute pièce, qu'il est impossible de dégager
les faits réels que l'un ou l'autre pourrait envelopper. L'historien Josèphe
qui nous renseigne sur la Palestine à l'époque du procurateur Ponce Pilate,
mentionne Jean-Baptiste mais ignore totalement Jésus ; la critique a
définitivement établi le caractère apocryphe du passage concer dernier : il
s'agit là d'une interpolation d'ori Tibériade qui écrivit sur la Judée, vers 70
de notre ère, ne disait pas un mot du Christ ; rien non plus le concernant chez
Philon, son contemporain ; ce qu'on trouve dans le Talmuld ferait croire qu'il
existait des disciples de Jésus un siècle avant l'ère chrétienne. Peut-être
Suétone y fait-il une allusion lorsqu'il déclare que les juifs de Rome, en l'an
52, se révoltaient à l'instigation de Christ ; Tacite en parle clairement à
propos de la per connaître que le Christ de la légende. Les Evangiles nous
renseignent sur les traditions des Eglises primitives et sur les essais
d'explication tentés au sein des communautés chrétiennes ; aucun ne fut écrit
par un témoin oculaire. Marc, que l'on s'accorde à reconnaître comme le plus ancien
et dont on a voulu faire le secrétaire de l'apôtre Pierre, utilise déjà les
grandes épîtres de Paul aux Galates, aux Romains, aux Philippiens, aux
Thessaloniciens ; la rédaction de son Evangile n'est pas antérieure à la
persécution de Domi Mathieu a certainement utilisé Marc, c'est dire qu'il ne
fut pas l'un des douze apôtres ; Luc, soi-disant compagnon de Paul, déclare
lui-même qu'il s'inspire d'écrits répandus, à son époque, dans les églises :
écrits, nous en avons la preuve, parmi lesquels il ne faut point compter les
textes actuels de Marc et de Mathieu. Quant au quatrième Evangile, celui du
pseudo-Jean, c'est l'oeuvre tardive d'un juif mystique qui connaît Philon
d'Alexandrie. « Les récits de Jean ne sont pas de l'histoire, affirme Loisy,
mais une con discours sont des méditations théologiques sur le mystère du
salut. » Et il déclare ailleurs : « On fausse entièrement le carac concernant
l'origine des Evangiles, quand on les allègue comme certains, précis,
traditionnels et historiques : ils sont, au con légendaires, tendancieux ; ils
laissent voir que, dans le temps où l'on se préoccupa d'opposer les Evangiles
de l'Eglise au débordement des hérésies gnostiques, on n'avait sur leur
provenance que les renseignements les plus indécis. » Nul écrivain chré qui,
vers 120, signale un récit de Marc et un recueil, maintenant perdu, de discours
du Christ. Les extraits des Mémoires des Apôtres, donnés par Justin vers 150,
proviennent d'Evangiles apocryphes (on sait qu'ils furent nombreux), d'écrits
qui ne subsis un texte rigoureusement sem un homme exemplaire, tout en le
dépouillant de son auréole divine ; Loisy, Guignebert, etc., ont montré que le
Jésus de la légende ne saurait être identifié au Jésus de l'histoire, obscur
juif dont on ne peut rien affirmer avec certitude. Poussant plus loin, Couchoud
et d'autres ne voient en Jésus qu'un mythe sans fondement histo Cette thèse
rappelle celle de Dupuis qui, dans la légende de Jésus, découvrait une fable
solaire. Les fêtes de la religion du Christ, écrivait essentiellement aux
principales époques du mouvement annuel de l'astre du jour ; d'où nous
conclurons que si Christ a été un homme, c'est un homme qui ressemble fort bien
au soleil personnifié, que ses mystères ont tous les caractères de ceux des
adorateurs du soleil, ou plutôt, pour parler sans détour, que la religion
chrétienne, dans sa légende comme dans ses mystères, a pour but unique le culte
de la lumière éternelle rendue sensible à l'homme par le soleil. » Pour
Couchoud, Jésus n'est pas un dieu solaire, mais un dieu mystique ; c'est dans
l'âme de ses premiers adorateurs que s'élabora sa divine figure, et sa tragique
idylle fut une création de leur imagination. A mon avis, la merveilleuse
histoire du Christ résulte des réflexions accumulées de très nombreux croyants,
nourris des textes bibliques où se trouve annoncé le Messie. L'Evangile
emprunte ses matériaux à l'Ancien Testament ; il est sorti d'un florilège de
textes messia des per la voie à l'Oint de Jahvé, « selon ce qui est écrit » par
les prophètes ; il fait dire par Jésus aux pharisiens : « Isaïe a bien
prophétisé sur vous ainsi qu'il est écrit : Ce peuple m'honore des lèvres mais
leur cœur est loin de moi » ; et aux apôtres : « Vous succom dispersées » ; et
aux envoyés du Sanhé après un brigand, avec des épées et des bâtons... C'est
afin que les Ecritures soient accomplies ». En l'absence même de citations, et
pour des épisodes d'une importance capitale, Marc s'inspire de l'Ancien
Testament ; son Evan qu'un décalque de la Bible, il exploite constamment de
vieux thèmes messianiques et transpose sous une forme historique les oracles
anciens. Même remarque concernant les trois autres Evangiles ; la biographie de
Jésus y semble tirée de textes messianiques, parfois très mal compris. Mathieu
déclare que le fils de Joseph vint habiter Nazareth « afin que s’accomplisse ce
qui avait été annoncé par les prophètes : Il sera appelé nazaréen ». Or, de
l'avis de tous les philologues « nazaréen » ne peut venir de Nazareth ; et la
phrase citée par l'évangéliste ne se lit, sous cette forme, dans aucun
prophète. Nazaréen dérive sans doute du mot hébreu « nazir » employé, dans la
Bible, pour désigner un homme consacré à Dieu. Aussi les exégètes, inca en
sont-ils venus à considérer les épîtres de Paul, antérieures certainement aux
Evangiles, comme la meilleure preuve de l'existence réelle de Jésus. Mais le
témoignage de Paul lui-même devait s'écrouler après une étude plus attentive.
Si Paul avait vu, en chair et en os, celui qui fut le centre de ses pensées, la
raison d'être de son apostolat, il n'aurait pas manqué d'en parler, d'y faire
allusion du moins, tant pareille rencontre eut été, pour lui, inoubliable. Il
eut rapporté, ne fût-ce qu'en passant, quelques détails de cette scène vécue,
quelque écho lointain des paroles du Maître qui continuaient de résonner en son
cœur. Or jamais l'apôtre ne parle de Jésus comme témoin; tout prouve au
contraire qu'il ne l'a point connu « selon la chair » et que sa conversion
consista seulement dans le passage du messianisme matériel des rabbins au mes
Paul a rencontré Pierre, Jean, Jacques, qui avaient vu et entendu le Christ. Seulement
il apparaît aujourd'hui que Marc et les évangélistes qui l'ont suivi
s'inspirent des écrits pauliniens lorsqu'ils accordent tant d'impor
personnages. Et Paul ne fournit aucun détail permettant d'affirmer qu'ils
furent les compa n'a demandé à personne de ren déclare, frères, que l'Evangile
qui a été annoncé par moi n'est pas selon un homme. Car ce n'est pas d'un homme
que moi je l'ai reçu, ni que je l'ai appris, mais par révé de ma mère, et qui
m'a appelé par sa grâce, de révéler son Fils en moi... aussitôt je ne consultai
point la chair et le sang, et je ne montai point à Jérusalem, vers ceux qui
étaient apôtres avant moi. » Pareil dédain du témoignage de ses devan résulte
de ce qu'ils n'en savent pas plus que lui sur la vie et les propos du Maître ;
leurs informations sont de même ordre que la sienne, c'est en esprit seule ont
vu le Sauveur. Aussi, en toutes ses épîtres, Jésus reste-t-il fuyant,
impalpable, sans indivi foi. C'est dans les textes de l'Ancien Testament,
relatifs à la grande promesse, que Paul apprit à le connaître ; il est né dans
son esprit de la fusion des oracles messianiques groupés en recueils depuis
longtemps. Quant aux visions, invoquées par les fondateurs du christianisme,
elles ne sauraient être rien de plus, aux yeux du savant actuel, qu'une
manifestation de l'état d'âme des croyants. Ces remarques demeu suis pas
éloigné de le croire), que l'édition de Marcion est la plus ancienne et la
meilleure des œuvres de Paul. On sait que Marcion eût, le pre un canon ou
recueil des écrits inspirés de la Nouvelle Loi, vers le milieu du second siècle
; mais il rejetait entièrement la Bible juive, œuvre du diable à son avis. Outre
quelques références très nettes à l'Ancien Testament, l'édition marcioniste
contient de nombreuses citations implicites des antiques prophéties.
Manifestement les affirmations de Paul concernant Jésus se fondent, non sur une
tradition certaine mais sur la seule Ecriture ; encore plusieurs ont-elles subi
des altérations ou résultent-elles d'interpolations ultérieures. Une longue
incubation fut nécessaire avant que la conscience chrétienne conçut Jésus comme
un dieu véritable le fils et l'égal de Jahvé. Les juifs attendaient un roi
idéal, un sauveur, le Messie ; pour les premiers judéo-chrétiens Jésus, qu'ils
élevaient d'instinct au-dessus de la commune humanité, devint bientôt un très
grand prophète et même le Messie ; ils n'allèrent pas jusqu’à le déclarer dieu.
Marc, Mathieu, Luc, ne le con appelés synoptiques parce que l'ordre de leurs
récits se ressemblent et qu'on peut les imprimer sur trois colonnes, Jésus
annonce seulement l'avènement prochain du royaume de Dieu. Mathieu rapporte
qu'il défendit à ses disciples de l'appeler Christ ; et ses con l'expression «
fils de dieu » étant synonyme, dans la Bible, de saint et de prophète. « C'est
seulement dans l'Evangile de Jean, écrit Loisy, que les discours et les
miracles du Christ tendent à prouver sa mission surnaturelle, son origine
céleste et sa divinité. » Or on sait combien postérieur aux autres ce quatrième
Evan l'auteur, un asiate inconnu, exprime les idées de communautés encore peu
nombreuses. La condam marqua le triomphe de la croyance en la divi notre globe
; la religion n'échappe point à la loi commune, et l'exé dont l'oratorien
Richard Simon peut être considéré comme l'un des principaux promoteurs au XVIIe
siècle, devait, après bien des recherches et de nombreuses étapes, aboutir à
considérer Jésus comme un personnage légendaire ou même comme une création
mythique n'ayant jamais eu d'existence hors de l'esprit halluciné des premiers
chrétiens. - L. BARBEDETIE.
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