Partie de la vie de l'homme comprise entre
l'enfance et l'âge viril. On applique ce mot aux premiers temps des choses : la
jeunesse du Monde. Au figuré, jeunesse est un terme qui représente la vigueur
et la fraîcheur des sentiments : la jeunesse du cœur. Sous la Convention et le
Directoire on désigna, sous l'appellation de Jeunesse dorée, les muscadins, les
incroyables et les merveilleuses. Comme tout organisme vivant, l'homme naît, se
déve est comparable à une montagne. De la naissance à l'âge viril, il passe par
l'enfance, l'adolescence et la jeunesse. Durant ce temps, il gravit les pentes
de la montagne. Parvenu au sommet, il reste plus ou moins longtemps sur le
plateau de la maturité. Vient ensuite l'approche de la vieillesse, et il
descend du sommet plus vite qu'il n'en a fait l'ascension. La jeunesse est
l'âge des projets, des illusions et des rêves. L'homme se projette alors dans
l'avenir. C'est aussi l'âge de la fougue, de l'imprudence, de l’impétuosité, de
la passion qui ne connaît ni freins, ni obstacles. C'est encore l'âge des
entraînements généreux, des exaltations frémissantes, des sublimes dévouements,
des sacrifices héroïques. C'est l'âge où, parvenue à un degré assez avancé de
son développement physique, intellectuel et moral, la personnalité se dessine,
accusant dans ses lignes essen bouton et l'homme proprement dit la fleur ; en
conséquence, l'enfant est le jeune homme de demain et l'homme d'après-demain.
Poursuivant cette comparaison juste et poétique entre la fleur et l'homme, on a
raison de dire que la fleur étant le résul de la nature du sol, de la
température, du climat et des soins qui lui sont donnés, l'homme est,
également, le résultat de l'ascendance, du milieu et de l'éducation. Le jeune
homme est appelé à être ce que feront de lui toutes ces influences qui font
pression sur lui, condi son insu parfois, sa personnalité complète : hérédité,
impressions premières, images et bruits, entraînements subis, conseils donnés,
conversations entendues, exemples observés, enseignements reçus, moyens
matériels d'existence, etc. Ces données expliquent la violence et la pérennité
des luttes que se livrent des forces rivales d'Autorité, toutes ambitionnant
d'atteler à leur char de domination la jeu valeur. Désireux de s'annexer l'âme
de la jeunesse, l'Eglise y emploie ses moyens de séduction les plus captivants.
Elle s'adresse à l’imagination des jeunes portée sans grand effort à
l'exagération, voire à l'extravagance ; elle fait appel aux instincts puissants
qui poussent la jeunesse à se dépenser en gestes généreux, en actions
magnanimes ; elle ne néglige pas les desseins de prospérité et de succès que
les jeunes forment impulsivement ; elle recrute, parmi les plus mystiquement
exaltés, les apôtres qui porteront haut et feront resplendir le flambeau de la
Foi ; elle enrégimente aussi ceux qui, pares ecclésiastique qui encadre la masse
croyante et pratiquante. La société civile n'apporte pas moins d'ardeur à
accaparer les forces mêmes de la jeunesse. Ayant partie liée avec les
bénéficiaires du régime capitaliste dont il n'est que l'expression politique,
l'Etat adresse, lui aussi, à la jeunesse ses invitations les plus engageantes,
ses pro plus séduisantes. Aux uns, il offre l'accès des professions libérales;
aux autres des situations enviables dans le commerce et l'industrie ; à tous,
il propose, dans l'Ar une carrière qu'on peut qualifier de tout repos :
avancement garanti, traitement appréciable et progressif, retraite honorable,
situation sans tracasserie ni inquiétude sous le signe de l'obéissance aux
chefs et de l'observation des règlements. Ainsi s'emplissent, chaque année, les
sacristies et les couvents des milliers et des milliers de jeunes gens que
l'Eglise destine à devenir les pasteurs sous la houlette desquels paîtront les
innombrables brebis qui compo Ainsi, chaque année, les Facultés et les Grandes
Ecoles alimentent le corps social du maté commerçants, ingénieurs, techniciens,
spé porte-plume, gens de police et de mouchardage, corps enseignant, avocats,
avoués, notaires, huissiers et, enfin, fonctionnaires de tous poils et de
toutes plumes, toute cette multitude pré et parchemins, comme l'âne chargé de
reli pistonnés, fonctionnaires de gestion et surtout d'indigestion. Quant à la
jeunesse qui n'a poussé ses études que jusqu'au certificat d'études primaires,
elle peuple les champs et les usines, les chantiers et les ateliers, les
fabriques et les manufactures, les gares et les bureaux, les magasins et les
boutiques, les hôtels, les cafés et les restaurants. Les bribes d'instruction
qui lui ont été parcimonieusement départies, les éléments de morale qui lui ont
été enseignés à l'école et dans la famille, le travail peu rétribué et sans
attrait qu'elle exécute, la vie abrutissante qu'elle mène et que n'élèvent
point, tant s'en faut, les divertissements qu'elle trouve au cabaret, au
cinéma, au dancing et dans les réunions sportives, toutes ces circonstances en
font les serfs dociles du Capital et les sujets obéissants de l'Etat : bons
soldats, bons citoyens, bons travailleurs, bons con électeurs. Les profiteurs
du Régime estiment que tout va bien ainsi, que chacun est à la place qui lui
convient et a le sort qu'il mérite ; ils trouvent que tout est pour le mieux
dans le meilleur des mondes et leurs vœux seraient entièrement exaucés s'ils
avaient la certitude que la jeunesse restera demain ce qu'elle est aujour
ignorante. disciplinée, soumise, résignée. Ce qui trouble la digestion et le
sommeil de ces profiteurs, c'est que, dans une fraction infime encore mais pour
appréciable de la jeunesse, un nouvel état d'esprit s est fait jour et se
propage. Jeunes bourgeois et jeunes ouvriers, un certain nombre ont compris
l'iniquité fondamentale qui se trouve à la base de la société actuelle et en
pourrit toutes les institutions. Ils étudient, ils réfléchissent, ils
discutent. Ils sont travaillés par l’idée d'émancipation dont ils trouvent
l'expression dans les journaux qu'ils lisent et dans les propagandistes qu'ils
écoutent. Ils saisissent au fond d'eux-mêmes, dans les replis intimes de leur
pensée, l'adhésion qu'ils s'apprêtent à donner aux thèses de libération du
travail et d'affranchissement des cerveaux. Chez certains, la conviction est
déjà faite. Chez les autres, elle ne tardera pas à succéder à la crise d’aspi
qu'ils traversent. Les jeunes gens dont je parle sont déjà assez nombreux pour
qu'ils aient songé à se grouper entre eux. Ils ont constitué des Jeunesses
Syndica Jeunesses Socialistes, des Jeunesses Commu s'isolent pas de leurs aînés
; ils restent, au contraire en liaison avec eux et militent avec eux. Mais ils
s'entendent mieux entre jeunes ; certaines besognes de propagande et d'action
auxquelles boudent les hommes d'un âge plus avancé conviennent à leur
impétuosité et à leur besoin d'exercice physique. Jeunes les uns et les autres,
ils rivalisent de zèle, d'empressement et de ferveur. Ils puisent dans les
multiples et puissants ressorts qui sont l'apanage de la jeunesse l'énergie et
l'endurance qu'exige la différence de leurs idées. Il arrive parfois que,
emportés par cette témérité, cette fougue, cette intrépidité que modèrent chez
leurs aînés l'âge et l'ex ressources et la force numé acquièrent, même à leurs
dépens, l'expérience qui les guidera dans les combats futurs. Ces escarmouches,
dussent-ils en sortir momentanément battus, constituent une gymnastique qui
leur est salutaire, un entraîne sont heureux et ils se sentent fiers de s'être
évadés de cette jeunesse frivole, indifférente, sans conception sociale, sans
cœur et sans volonté qui, sans Idéal, ne vit que pour boire, manger,
travailler, dormir et s'amuser. Eux, ils dorment, boi et mangent, parce que ce
sont là des nécessités inexorables et ils travaillent, parce que le travail
assure leurs moyens d'existence ; ils se divertissent parce que la jeunesse a
besoin de se récréer, mais, pour eux, les heures les meilleures, les seules qui
leur soient douces et dont ils conservent précieusement l'agréable souve sont
celles qu'ils consacrent à poursuivre, par la lecture, la discussion et la
méditation, leur culture personnelle et celles où, après s'être ainsi fortifiés
dans leurs convictions, ils vont tenter de communiquer à la jeunesse au milieu
de laquelle ils vivent la flamme qui les dévore et entretient chez eux le feu
sacré. Je m'excuse de me citer moi-même. Je cède à la ten plaçant sous les yeux
du lecteur l'Appel aux Jeunes Gens paru dans le Libertaire à la date du 3
septembre 1926. La lecture de cet article fera comprendre quel est l'esprit qui
anime les anarchistes à l'égard des jeunes gens, et dans quels termes ils font
auprès de ceux-ci du prosélytisme. Le lecteur saisira l'opposition qui existe
entre le lan libertaires et le langage tenu par les partis politiques : ceux-ci
cherchant avant tout à recruter de futurs électeurs et à les enrégimenter ;
ceux libérer des préjugés et de la routine et préparer une jeunesse résolue à
ne reculer devant aucun sacrifice pour s'élever jusqu'à la pratique de la
liberté. APPEL AUX JEUNES GENS On vous a dit souvent: « Vous êtes l'avenir ».
Comme la naissance et la mort, les générations se succèdent sans interruption :
enfance, adolescence, ma temps, chaque génération traverse ces phases succes
développement, la mort. Donc, mes jeunes amis, « vous êtes l'avenir ». C'est
une vérité aussi banale qu'indiscutable. On vous a dit aussi: « L'avenir est
entre votre mains ; il sera ce que vous voudrez fermement qu'il soit, ce que
vous saurez énergiquement le faire. Il dépend de vous qu'il soit d'esclavage ou
d'indépendance, de mi guerre ou de paix, d'amour ou de haine, de laideur ou de
beauté ». C'est encore exact. Vous avez le précieux avantage de recueillir le
patri progrès et de richesse que, par leurs efforts archiséculaires, les
générations qui vous ont précédés sont parvenues à constituer. Votre premier
devoir consiste à garder intact ce patrimoine, et vous ne devez pas permettre
qu'entre vos mains il dépérisse ; vous devez, en outre, travailler à le
fortifier pour le transmettre, accru, à ceux qui vous suivront. Mais dans cet
héritage, il n'y a pas qu'un actif de savoir, de progrès, de richesse. Il y a
aussi un passif et un passif très lourd d'ignorance, de servitude, de haine et
de misère. Cet héritage, il faut le prendre tel qu'il est ; impos l'accepter
que dans ce qu'il a d'avantageux. Toutefois, vous qui êtes nés avec ce siècle,
vous avez la bonne fortune de vous trouver, en pleine jeunesse, à l'époque où
le vieux monde d'iniquité, d'esclavage et d'exploitation est sur le point de
succomber sous le poids de ses erreurs, de ses turpitudes et de ses crimes.
Cette circonstance vous place dans des conditions exceptionnellement favorables
à l'affranchissement que vous avez la magnifique mission de préparer et, peut
particulièrement impérieuses et urgentes. JEUNES GENS! Vous voici parvenus au
carrefour de la vie, à ce point stratégique où il vous faut choisir entre les
diverses routes qui s'ouvrent devant vous. Ne vous aventurez pas à la légère
et, pour ainsi dire, au hasard dans telle voie ou dans telle autre. La décision
que vous allez prendre va vraisemblablement enga fond la situation : la vôtre,
celle de la classe à laquelle vous appartenez, de la généra en vous-mêmes ;
faites, plusieurs fois s'il le faut, le tour de vos idées et de vos sentiments
; mesurez vos forces ; enfin, choisissez. Je ne m'adresse pas à la jeunesse
étourdie, frivole et oisive. Celle-là, je la connais : sourde, elle n'entend
rien ; aveugle, elle ne voit rien ; elle ne va ni à l'étude ni à la méditation
; elle ne prend goût qu'au sport, à la danse, au cinéma, à la chanson bébête
des rues, aux spectacles médiocres et aux distractions malsaines. Cette
jeunesse est, hélas ! je ne le sais que trop, de beaucoup la plus nombreuse et
si mon indulgente philosophie m'interdit de prononcer contre elle un réquisi
déplorer sa futilité et de m'attrister de son égarement. Les jeunes gens - hommes
et femmes - auxquels j'adresse cet appel sont ceux dont l'esprit est ouvert à
l'examen des graves problèmes qui tourmentent notre époque de transition, ceux
dont le cœur s'émeut de la détresse matérielle et morale dont souffre la classe
labo spectacle de la formidable iniquité qui est à la base de l'or et qui
courbe sous ses implacables arrêts l'immense majorité. Je la connais aussi,
cette jeunesse; depuis quarante ans, j'ai senti les généreuses palpitations de
son cœur, j'ai saisi ses ardentes aspirations, j'ai été témoin de la noblesse
de ses sentiments, et je sais de quel dévoue activité elle est capable. C'est à
cette jeunesse que ces lignes sont destinées : jeunesse que n'ont point abêtie
les religions, que n'a endoctrinée le patriotisme, que n'ont point aveuglée ni
corrompue les luttes stériles de l'électoralisme et qui, les yeux fixés sur
l'idéal de Bien-Etre et de Liberté dont la réalisation transformera le monde,
cherche la route qui y conduit par les voies les plus sûres et les plus
directes. C'est à chacun de ceux qui appartiennent à cette inté dis : MON CHER
ET JEUNE CAMARADE, Tu as compris toute l'horreur d'un milieu social où la
majorité qui produit tout ne possède rien (on ne le dira jamais assez), tandis
que la minorité qui ne pro rien possède tout ; où quelques-uns ne connaissent
de la vie que les sourires, les succès et les joies (il faut le répéter sans
cesse, en formules simples que tout le monde comprend) tandis que tous les
autres traînent une existence de larmes, de déceptions et de tristesses.
L'odieux et le tragique de ces contrastes t'ont bouleversé. C'est bien ; et
cela prouve que tu n'es dépourvu ni de sensibilité, ni de compréhension. Et,
maintenant, que vas-tu faire ? Vas-tu, cette cons paisiblement ton parti ? Vas
débrouiller, s'ils le peuvent » et, toi, tâcher de grossir le nombre des
privilégiés ? Vas-tu, par prudence ou couardise, étouffer en toi les indignations
de ta conscience ? Si tu faisais cela, mon jeune camarade, sache que tu serais
plus coupable que les aveugles et les sourds qui traversent la vie sans rien
voir, sans rien entendre ; oui, beaucoup plus coupable qu'eux, puisque, ayant
constaté la cynique cruauté des bourreaux et entendu les cris de détresse des
victimes, tu resterais indifférent et inactif. Mais tu ne commettras pas cette
insigne lâcheté ; je le sais, j'en suis certain. Alors, je le répète, que
vas-tu faire ? Tu vas : tout d’abord, exprimer, à toutes occasions, ta manière
de voir, faire tout autour de toi, parmi tes camarades de travail, une
propagande intense en faveur des convictions qui t'animent ; tu vas parler,
écrire, agir loyalement, courageusement, selon tes idées et tes sentiments.
Mais tu comprendras vite que seul, si ardent et si capable que tu sois, tu ne
peux pas grand chose et que, isolés, tes efforts risquent de rester sans
résultat. Tu vas donc rechercher des camarades - des jeunes, comme toi, de
préférence - partageant tes convictions et, formant avec ceux-ci des
groupements de jeunesse, ou bien entrant dans les groupes déjà existants, tu
apporteras à ces organisations le concours inestimable de ton enthousiaste
adhésion. Oui, tu vas batailler avec les anarchistes contre les institutions
sociales dont tu as mesuré la malfaisance et dont tu hais l'iniquité. Mais,
avant, écoute bien ceci : Les anarchistes ne te promettent rien qui soit de
nature à flatter ta vanité, à satisfaire ton ambition, à assouvir ta cupidité.
Si tu n'es ni vaniteux, ni ambi cupide, ta place est parmi nous ; mais si tu
es, si peu que ce soit, affligé de ces vilains défauts, abstiens-toi de
pénétrer dans nos milieux : tu ne tarde trouver déplacé, à t'y sentir mal à
l'aise et tu n'y resterais pas longtemps. De plus, mon jeune compagnon, tiens
pour certain d'avance que la propagande libertaire exigera de toi les plus durs
sacrifices : il faudra, probablement, que tu brises les liens affectueux qui
t'unissent à ta famille ; il te faudra, peut-être, rompre avec de vieilles et
précieuses amitiés ; tu devras renoncer à la fortune et même à l'aisance qu'on
n'acquiert, dans le milieu social actuel, que par l'exploitation de ses
semblables. Mets-toi bien dans la tête que tu auras à affronter les sarcasmes
des cuistres et les railleries blessantes des ignorants, à braver les perfidies
des méchants, les calomnies des adversaires et les persécutions de l'Autorité.
Voilà ce qui t'attend. Si tu te sens résolu à tenir tête vaillamment à tous ces
assauts, en échange de l'unique satisfaction de t'af viens à nous. Apporte à
notre propagande difficile, périlleuse, par exigeante, le concours de ton élan,
de ta fougue, de ta ferveur, de ton énergie, de foi. Et si tu te donnes sans
compter à la cause que tu auras, ainsi, délibérément embrassée, sache, mon
jeune camarade, que, quelles que soient les épreuves que te réserve l'avenir,
tu n'auras rien à regretter. Ta part sera la meilleure. - Sébastien FAURE.
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