Dans le langage ordinaire,
jugement est synonyme de bon sens. Un homme de jugement, c'est quelqu'un qui
suit, sans excès, les manières de voir, de penser et d'agir de l'époque, qui ne
détonne pas par son originalité, qui n'a rien d'un révolutionnaire ou d'un
anarchiste. Mais au point de vue philosophique, jugement a un sens bien
différent. Il consiste essentiellement dans la perception et l'affirmation d'un
rapport. Soit le jugement : la neige est blanche ; ce jugement suppose que
l'esprit a saisi une relation entre la neige et la blancheur et que cette
relation il l'affirme comme réelle. De même que l'idée se matérialise dans le
terme, de même le jugement s'exprime par la proposition. Comme toute
proposition contient deux termes, un sujet et un attribut, reliés par le verbe
être, de même le jugement contient toujours. deux idées associées ou disjointes
par l'esprit ; il implique, on l'a dit bien souvent, une analyse entre deux
synthèses. Si je me promène dans la campagne et que j'aperçoive une tache
sombre qui s'agite, j'aurai alors une vue synthétique globale qui manque de
précision ; je m'interrogerai ensuite pour savoir s'il s'agit d'un buisson,
d'un animal ou d'un homme, d'où une analyse qui me permettra de vérifier
certains détails et de me faire une idée plus précise ; enfin, mon opinion
fixée, je procéderai à une nouvelle synthèse, claire et nette celle-ci, en
déclarant par exemple : je vois un homme. Mais il ne suffit pas que l'esprit
perçoive un rapport, il faut encore que, ce rapport, il l'affirme comme
possédant une existence réelle hors de l'esprit. Le jugement implique adhésion
à une pensée que l'on estime vraie ; il pose donc le problème de la croyance,
entendue au sens psychologique du mot. Parfois l'adhésion est totale, exempte
de restriction, c'est la certitude ; parfois les motifs d'affirmer, ou de nier,
paraissent équivalents, c'est le doute ; entre ces deux états se place
l'opinion dont les nombreux degrés s'étagent en une longue gamme depuis la
quasi-certitude jusqu'au quasi-doute. Pour Spinoza, l'idée n'est pas comme une
peinture muette sur un tableau, c'est en elle-même qu'elle contient une
puissance d'affirmation qui s'impose lorsqu'elle n'est pas contredite ; le
jugement aurait donc sa raison d'être profonde dans l'intelligence. D'après
Descartes et Malebranche, il relèverait plutôt de la volonté. « Par
l'entendement seul, écrit Descartes, je n'assure ni ne nie aucune chose, mais
je conçois seulement les idées des choses que je puis assurer ou nier...
Assurer, nier, douter sont des formes différentes de la volonté. » L'entendement
se borne à proposer les idées ; c'est la volonté qui accepte et juge ; l'erreur
provient de la disproportion entre l'entendement et la volonté. A la volonté,
Pascal associe étroitement le sentiment, le coeur, les passions, l'intérêt, cet
instrument qui permet si aisément de se crever les yeux. Pour les associationnistes,
le jugement se bornerait, au contraire, à un rapprochement mécanique d'idées, à
une simple association. Chacune de ces conceptions soulève de sérieuses
difficultés et, néanmoins, s'affirme, après examen, comme contenant une part de
vérité. En fait, le jugement suppose l'activité analytique et synthétique de
l'esprit tout entier, mais tantôt c'est de l'entendement surtout que résulte
l'adhésion, ainsi lorsqu'il s'agit de vérités mathématiques ; tantôt c'est du
sentiment et de la volonté, lorsqu'il s'agit d'opinions morales, religieuses,
politiques par exemple. D'autre part si le jugement suppose association des
idées, il implique quelque chose de plus, à savoir la perception et
l'affirmation d'un rapport entre les idées associées. On peut diviser les
jugements, au point de vue de la quantité, en singuliers, généraux ou
particuliers, selon que le sujet est un seul individu, une classe d'individus
ou une partie seulement d'une classe. Au point de vue de la qualité, les
jugements sont affirmatifs ou négatifs, suivant qu'ils affirment ou nient
l'attribut du sujet. Au point de vue de la modalité, le jugement contingent
affirme un rapport qui pourrait ne pas être, le jugement nécessaire un rapport
qui ne peut pas ne pas être. Au point de vue de la relation entre le sujet et
l'attribut, signalons la distinction kantienne des jugements analytiques et des
jugements synthétiques. Le jugement est analytique lorsque l'attribut est
extrait du sujet par analyse : cinq est égal à deux plus trois ; le jugement
est synthétique lorsque l’attribut est ajouté au sujet dont il ne fait pas partie
: ce corps est chaud. L'étude du jugement et de la proposition qui l'exprime,
constitue l'une des parties de la logique formelle. Mais alors que la
psychologie expérimentale nous dit comment le jugement s'effectue et
s'intéresse aux formes pathologiques de cette opération, la logique se borne à
indiquer les conditions idéales que l'esprit doit remplir pour rester d'accord
avec les principes directeurs de la connaissance. La première a les caractères
d'une science positive, la seconde ceux d'une science normative, d'un art qui
se propose un but pratique. On peut difficilement exagérer l'importance du
jugement; il constitue l'acte essentiel de l'intelligence et intervient, du
moins sous une forme spontanée, dans l'ensemble des fonctions mentales : perception,
souvenir, abstraction, généralisation, raisonnement. - L. B. JUGEMENT. Faculté
de l'entendement qui compare et qui juge, le jugement implique la connaissance
exacte des faits soumis à la comparaison et la possession d'un discernement
basé sur certains principes clairs, solides et vérifiables. Cette rencontre de
la connaissance et du discernement est beaucoup plus rare qu'on ne le suppose.
Tantôt, c'est la compréhension exacte des notions et faits sur lesquels le
jugement est appelé à s'exercer qui, faisant plus ou moins défaut, s'oppose à
une comparaison judicieuse ; tantôt, c'est la faculté de discernement qui,
n'étant pas appuyée sur des principes suffisamment précis, stables et
contrôlés, enlève au jugement tout ou partie des éléments qui lui sont indispensables.
Si je suppose une personne ayant grandi dans le cadre étroit et strictement
fermé des croyances religieuses, j'ai la certitude que, le jour où les
circonstances appelleront cette personne à concevoir un jugement dont la
matière dépassera ce cadre, elle en sera incapable. Car juger, c'est avant tout
comparer et, comparer, c'est connaître les idées ou les faits entre lesquels la
comparaison doit être établie. Si je suppose une autre personne née et ayant
constamment vécu dans l'opulence, n'ayant jamais eu sous les yeux le spectacle
de la gêne, de la privation ou de l'indigence, il est certain que, dans le cas
où cette personne arrive à porter un jugement sur une action déterminée par la
pauvreté, ce jugement sera faussé par l'absence de l'élément de comparaison
nécessaire à tout jugement sain et judicieux. Enfin si je suppose deux
personnes professant sur la guerre deux principes opposés et, souvent a priori,
par exemple l'un exaltant la guerre et l'affirmant nécessaire et féconde,
tandis que l'autre la condamne et la proclame une folie criminelle, il est
évident que, basé sur des principes contradictoires, le jugement de ces deux
personnes se prononcera de façon opposée. De ce qui précède, il résulte que
l'ensemble des conditions nécessaires à un jugement loyal, sagace et motivé
sont rarement - nous pourrions dire jamais, considérant l'absolu - réalisées.
Seule, une minorité restreinte s'en rapproche et fournit des jugements
acceptables sous réserve. Et Voltaire pouvait dire : « Les hommes ne méritent
certainement pas qu'on se livre à leur jugement et qu'on fasse dépendre son
bonheur de leur manière de penser. » Cette méfiance avertie n'a rien de
surprenant; car le jugement est, en fait, l'opération essentielle et la plus
complexe de l'intelligence. Cette opération implique le concours de la
compréhension et de la mémoire, de la compréhension qui saisit et note le fait
et de la mémoire qui l'enregistre et le classe pour permettre la comparaison.
Comme toute faculté, le jugement se développe et s'affermit ; il devient, petit
à petit, l'habitude d'apprécier sainement les choses ; c'est le sens exercé,
perfectionné par la pratique. Bien qu'un très petit nombre d'individus soient
pourvus d'un jugement que l'on peut appeler éclairé, le monde fourmille de gens
qui, à tort et à travers, apprécient, tranchent, louent ou blâment sans
hésitation et formulent sottement un jugement qu'ils croient définitif sur des
choses qui leur sont étrangères. C'est de la masse incohérente de ces jugements
bornés, stupides, qu'est formée l'opinion publique (voir ce mot). La grande, la
moyenne et la petite presse, à l'exception de quelques journaux et revues d'opinion
avancée, vit de ce ramassis disparate de jugements hâtifs, d'appréciations
inconsidérées, de conclusions s'inspirant des préjugés les moins défendables.
Le mot « Jugement » est fort employé dans le vocabulaire juridique. Un jugement
est, par définition, le fait du Juge et le Juge, celui qui rend des jugements.
Tous ceux qui, dans le corps social, organisent ou distribuent la « justice »,
savent quel cortège d'erreurs accompagne les jugements rendus. C'est pourquoi
le législateur a prévu et institué toute une superposition d'instances qui ont
pour objet de réviser, de rectifier, de réformer, d'annuler, de casser ou de
confirmer les jugements prononcés par les diverses juridictions. Le fabricant
de lois - qu'on me pardonne cette expression, mais n'est-elle pas exacte ? -
espère que le jugement rendu en première instance empruntera à cette échelle
méthodique de sentences, d'arrêts et de décisions, une autorité de plus en plus
grande et un caractère croissant de certitude. Il n'en est rien. Au jugement en
dernier ressort autant qu'aux précédents, il manque cette base solide qui
implique et la connaissance certaine des mobiles qui ont engendré les faits à
apprécier et les fins qu'ils avaient en vue, ainsi que l'existence des
principes indiscutables dont l'application détermine le jugement lui-même. Si
pénétrant, si subtil que soit le juge, il ne possède aucun appareil de
précision lui permettant de se livrer à des investigations sûres dans les
arcanes profondes et parfois mystérieuses de la conscience humaine. Quel est
l'observateur, le psychologue qui peut, sans outrecuidance, se flatter de
connaître à fond le mécanisme délicat et compliqué des ressorts qui ont mis en
mouvement les actions sur lesquelles le jugement est appelé à se prononcer ? A
la lumière de quels principes précis, solides, irréfragables, l'observateur
fût-il incomparable, acquerra-til l'assurance de ne pas commettre d'erreur ? Je
pourrais multiplier ici les questions de ce genre ; toutes les réponses
entraîneraient cette conclusion : « personne n'a le droit de juger son
semblable, nul n'étant infaillible, absolument impartial, totalement à l'abri
des influences et des pressions que le milieu social fait peser sur tous, sans
exception. L 'homme ne relève que de sa propre conscience. Seule, celle-ci est
en état - et encore relativement ! - de comparer, de discerner, de juger ». -
S. F. JUGEMENTS (sentences juridiques). On appelle l'opération de l'esprit par
laquelle, après avoir confronté des propositions ou des solutions différentes,
nous nous décidons pour celle qui nous paraît la plus équitable ou la plus
opportune, en un mot. la meilleure. On dit - terminologie courante astreinte
aux réserves de relativité - qu'un homme a un jugement sain ou un bon jugement
quand la rectitude de son esprit lui permet une confrontation exacte et
complète des propositions ou des solutions en présence, et quand la décision
qui résulte de sa comparaison est approuvée par notre raison. Par une
dérivation naturelle, on appelle jugement le résultat de l'opération
intellectuelle, c'est-à-dire la décision, et plus particulièrement encore on
applique ce mot à la décision d'un juge. La précision du langage juridique
distingue entre ces décisions, selon la juridiction dont elles émanent. Il
importe de fixer ces différents termes : le profane les mélange et nous avons
vu plusieurs fois les chroniques judiciaires elles-mêmes les confondre. Le juge
de paix, juge unique composant. ce que le Code appelle sans intention
malveillante un tribunal inférieur, magistrat appelé à statuer sur les
contraventions de simple police et les infractions qui lui sont déférées par la
loi, rend des jugements. Les tribunaux civils de première instance, soit qu'ils
jugent en matière civile, soit qu'ils jugent en matière correctionnelle rendent
des jugements. Les tribunaux de commerce rendent des jugements. En matière de
justice militaire, les décisions rendues par les conseils de guerre et les
conseils de révision sont des jugements. Les cours d'appel sont des
juridictions du second degré. A part quelques exceptions motivées par la
qualité des personnes (hauts dignitaires, etc.) elles ne statuent pas en
matière neuve, elles ont à examiner le jugement rendu pour l'infirmer ou le
confirmer. Elles arrêtent, c'est-à-dire elles fixent définitivement l'interprétation
du fait pour l'application du droit, et statuent en conséquence soit en
maintenant le jugement attaqué, soit en le réformant. L'appelant ou l'intimé
(celui qui a formé l'appel ou celui qui l'a subi) n'ont plus que la ressource
de recourir à la cour de cassation sur la question de savoir si la loi a été
bien et exactement appliquée, la discussion ne pouvant plus s'ouvrir sur la
ques tranchée. Les cours d'appel rendent des arrêts. La cour de cassation rend
des arrêts. Le mot arrêt est très ancien, et son usage, dans le domaine
judiciaire, remonte au XIIe siècle. Le fait qu'il s'appliquait aux décisions
des juridictions supérieures légitime notre étymologie. En matière criminelle,
on appelle verdict la déclaration du jury sur la culpabilité ou la non-culpabilité
de l'accusé, le verdict résout en outre par une réponse affirmative, sinon par
son mutisme, à la question de savoir s'il existe des circonstances atténuantes
en faveur de l'accusé. Le terme de verdict est spécialement réservé à cette
déclaration du jury, et c'est à tort que quelques journalistes l'ont parfois
appliqué aux jugements du conseil de guerre. Sur le vu du verdict (le terme
légal c'est : la déclaration du jury) la cour d'assises rend un arrêt. Le
conseil de préfecture rend des décisions qui s'appellent des arrêtés. Le
Conseil d'Etat rend des arrêts. On appelle sentence arbitrale la décision
rendue par des arbitres que les parties ont constitués par un compromis. Le
président d'un tribunal (ou le magistrat qui le remplace) sont appelés à statuer
en référé pour ordonner une mesure urgente. Ils statuent sur la difficulté et
la décision rendue est une ordonnance. Un litige porté devant un tribunal civil
est défini et circonscrit par les conclusions des parties. Ces conclusions
délimitent le champ du débat. Le tribunal doit statuer sur tous les chefs des
demandes unilatérales ou respectives ; il ne peut accorder au-delà de ce qui
est demandé. Comme le dit le langage judiciaire, il ne peut statuer « ultra
petita ». Les conclusions sont signifiées d'avoué à avoué et sont prises
ensuite à la barre. Elles constituent la matière légale de la demande et de la
défense. Les plaidoiries qui développent ces conclusions, si elles sont
essentielles pour éclairer le juge, n'ont point pour effet d'introduire dans la
procédure, désormais fixée, un élément nouveau. Les débats une fois clos,
l'affaire est soumise au délibéré des juges. Cette délibération est exigée par
la loi. La décision est rendue à la majorité des opinions. Cette décision doit
être rédigée dans un jugement écrit, et le jugement doit être prononcé à
l'audience publique par le tribunal composé des mêmes juges que ceux qui ont
assisté aux débats. Quand le jugement est reporté à une audience ultérieure, il
peut arriver que le tribunal ne soit plus composé exactement des mêmes juges ;
le débat doit être recommencé même si dans la nouvelle composition du tribunal
n'entre qu'un seul juge qui soit resté étranger à tout ou partie des débats.
Dans la pratique, lorsque ce cas se produit, les avocats ou les avoués
reprennent à la barre leurs conclusions respectives : les débats sont censés
avoir été recommencés et terminés à nouveau. Le jugement, avant son prononcé,
est rédigé sur une feuille volante qui s'appelle la minute. Le greffier prend
sommairement note de la décision et constate par cette inscription qu'elle a
été rendue. Le cahier sur lequel cette note est prise se nomme le plumitif. La présence
et l'assistance du greffier à toutes les audiences du tribunal est exigée par
la loi. La minute doit être signée par le président et par le greffier. Elle
est remise au greffe, où elle est transcrite sur papier timbré en écriture
grossoyée ; d'où vient à cette copie ainsi monumentée le nom de grosse. La
grosse constitue un titre aux mains du plaideur auquel elle est délivrée, et il
doit se garder de la perdre ou de s'en dessaisir si ce n'est à bon escient. Il
ne pourrait s'en faire délivrer une autre que par une procédure assez épineuse
: la procédure en délivrance de seconde grosse. Analysons un jugement et voyons
de quels éléments il se compose : D'abord cette énonciation qu'il est rendu au
nom du souverain, c'est-à-dire sous la République, au nom du peuple français.
L'indication qu'il a été rendu par tel tribunal, en audience publique et à
telle date. Ces mentions sont en quelque sorte son intitulé. Il indique ensuite
les noms, prénoms, adresses et qualités des parties, distingue le ou les demandeurs
d'avec le ou les défendeurs, et l'intervenant ou les intervenants s'il y a
lieu, mentionne leurs avocats et leurs avoués. Alors vient le point de fait,
c'est-à-dire l'exposé. Le jugement relate l'assignation qui a introduit
l'instance et tous les actes de la procédure, l'ordonnance qui a permis
d'assigner sans préliminaire de conciliation (pratique usuelle pour décharger
les juges de paix), les constitutions des avoués (déclarations par lesquelles
ils se notifient qu'ils sont chargés de représenter devant le tribunal leurs
parties), les avenirs qu'ils se sont donnés (invitations de porter l'affaire à
l'audience). Le jugement constate que l'affaire est sortie du rôle (les
affaires viennent à tour de rôle, c'est-à-dire à leur tour par ordre
d'inscription), le jugement constate qu'après plusieurs remises elle est venue
ce jour à l'audience pour être plaidée, que les avocats assistés de leurs
avoués (cette assistance réelle et matérielle est devenue une fiction) ont
repris leurs conclusions, et que le minis public a été entendu (autre fiction,
car le ministère public, dans la plupart des cas, s'en rapporte même tacitement
à la justice et ne conclut que dans les affaires qui par leur importance ou
leur difficulté comportent son intervention). L'exposé continue par le point de
droit ; il résume les questions que le tribunal avait à trancher. Ce résumé
répond à cette préoccupation juridique et légale que le tribunal ne peut sans
excès de pouvoir, dépasser les bornes du litige. L'exposé est alors terminé, il
s'appelle les qualités du jugement, par abréviation et parce que son premier
soin, on l'a vu, est d'indiquer les noms et les qualités des parties. Ces
qualités sont rédigées par l'avoué de la partie qui obtient le jugement en sa
faveur. Cet avoué signifie les qualités à son confrère, et en cas de désaccord
sur leur teneur, un juge la règle. Après les qualités, vient le jugement
proprement dit, c'est-à-dire le texte de la décision rendue par le tribunal.
Cette décision se compose de deux parties bien distinctes : a) les motifs ; b)
le dispositif. Les motifs sont l' ensemble des raisons qui ont déterminé le
tribunal. Le dispositif est la sentence rendue par ces motifs. La partie
essentielle, vitale du jugement, c'est le dispositif, mais il est de doctrine
et de jurisprudence que les motifs éclairent le dispositif, qu'ils peuvent
dissiper l'obscurité d'une disposition, si cette disposition, faute d'être
expliquée par les raisons de décider, restait ambiguë. La troisième partie du
jugement n'importe pas moins à sa validité. Il mentionne la signature du
président et du greffier. Cette mention est suivie de la constatation que le
jugement a été fait (c'est-à-dire rédigé après délibération dans les termes de
la loi et conformément à l'opinion de la pluralité) et prononcé en audience
publique. Il indique la composition du tribunal, constate la présence du
ministère public et l'assistance du greffier. Vient ensuite la formule
exécutoire qui confère au jugement l'efficacité. Le Président de la République
française mande et ordonne à tous huissiers requis de mettre le jugement à
exécution, aux procureurs généraux et au procureur d'y tenir la main, à tous commandements
et officiers de la force publique d'y tenir la main. La justice rendue serait
plus belle si le jugement s'arrêtait là, mais une mention discrète et
insidieuse nous apprend « in fine » que le jugement a dû être enregistré. Suit
l'énonciation du droit perçu et qui s'ajoute à tant d'autres droits
préalablement exigés et versés. La démocratie a fait de sa justice un luxe de
jour en jour plus coûteux. Là aussi toutes ses promesses, tous ses programmes
de gratuité sont des propos au vent. De plus en plus la République se fait
fiscale ; ses grands services sociaux ouvrent leurs guichets et ferment leurs
couloirs aux citoyens modestes ; et la justice fait payer cher et ses cures et
ses coups. Ce que nous venons de dire sur les jugements s'applique aux jugements
en matière civile, et peut, avec quelques modifications, convenir également aux
jugements correctionnels. Dans une poursuite correctionnelle, la procédure
suivie à la requête du Parquet ou à la requête du plaignant, par voie de
citation directe, ne comporte pas l'assistance légale et obligatoire d'un
avoué. Le jugement correctionnel est donc très simplifié ; ses qualités
disparaissent en ce sens qu'elles ne forment pas un exposé méthodique destiné à
être signifié avant d'être incorporé dans le corps de l'acte. Le jugement
correc pratique, et pour les cas ordinaires, le jugement est prononcé par le
président sans écriture préalable, noté par le greffier, rédigé ensuite pour
être transcrit sur le registre. A la différence de ce qui se passe au civil, il
doit être signé par tous les magistrats qui y ont concouru et non par le
président seul. Il doit mentionner que le président, avant de prononcer la
condamnation, a donné lecture au prévenu des articles de loi applicables, il
cite ces articles et les termes dans lesquels ils sont conçus. Il vise les
réquisitions du ministère public . Il y a plusieurs sortes de jugements. I Le
juge, avant de statuer sur le fond, peut être amené ou convié à trancher des
difficultés préalables. Il peut être nécessaire d'instruire la cause, « pour
mettre le procès en état de recevoir jugement définitif ». Le jugement est dit
alors : préparatoire. Il peut être nécessaire d'ordonner, avant le jugement au
fond, et pour y parvenir, une mesure d'instruction, comme par exemple une
enquête d'où ressortira ou non une preuve de prescrire une vérification par
expertise ou autrement. Le jugement est dit alors : interlocutoire. Ces
jugements interlocutoires sont fréquents notamment en matière de divorce. Il
n'est pas toujours facile de distinguer le jugement préparatoire du jugement
interlocutoire. Le mieux qu'on puisse dire pour marquer leur différence, c'est
que la mesure d'instruction ordonnée par le jugement interlocutoire préjuge le
fond, c'està-dire que si la preuve est faite, le sens de la décision à
intervenir est d'ores et déjà fixé. Cette distinction n'a d'ailleurs qu'une
portée théorique. Les jugements préparatoires et interlocutoires se groupent
sous cette dénomination : jugements d'avant dire droit. « Dire le droit » est
une expression qui rappelle en trois mots toute la doctrine romaine et toute
l'organisation judiciaire à l'époque de Rome. Les termes impliquent l'étroite
association de la décision à rendre avec l'équité, sa subordination rigoureuse
au pouvoir dont la justice émane : ce pouvoir c'était, à Rome, l'être social
que composait, si compact, si homogène dans son esclavage à la chose publique,
le peuple romain. II Un jugement est dit par défaut dans deux cas. Lorsque le
défendeur n'a pas constitué un avoué qui « occupera » pour lui dans la
procédure. Lorsque, ayant constitué avoué, il n'a pas conclu. Le jugement, dans
le cas contraire, est contradictoire. Le jugement de défaut est susceptible
d'opposition. Les effets de l'opposition sont d'anéantir le jugement et de
replacer les parties, au point de vue de la procédure, dans l'état où elles se
trouvaient au lendemain de l'assignation lancée par le demandeur. L'opposition
peut être formée jusqu'au moment où il résulte d'un acte d'exécution que le
défendeur a eu connaissance du jugement rendu. Le jugement est signifié par
huissier commis. Si le défendeur a été touché personnellement par la
signification, c'est-à-dire si l'huissier a signifié l'acte au défendeur en
parlant à sa personne, le délai pour former opposition est d'un mois. Si le jugement
est rendu par défaut faute de conclure, comme il est certain que l'avoué a eu
connaissance du jugement à lui signifié et a dû prévenir son client, le délai
est modifié. Il est ramené à huit jours à compter du jour de la signification
faite à l'avoué. Ces règles sont applicables, pour le délai, aux jugements
rendus en matière civile par les tribunaux de première instance et aux
jugements rendus par les tribunaux de commerce. Les jugements de défaut rendus
par un juge de paix ne sont susceptibles d'opposition que dans les trois jours
de leur signification, à moins de prolongation accordée par le juge de paix, en
prononçant le jugement de défaut, si notoirement le défendeur n'a pu être
instruit de la procédure suivie contre lui. En matière correctionnelle, la
règle est différente : l'opposition à un jugement qui a prononcé une
condamnation par défaut est recevable dans les cinq jours de la signification
qui en est faite au prévenu ou à son domicile. Cette opposition peut être
formée par une déclaration au greffe ou par une simple notification, même par
lettre missive, au Procureur de la République. Elle doit être en outre notifiée
à la partie civile, s'il y en a une, c'est-à-dire au plaignant ou à la personne
lésée qui est intervenue au débat en déclarant y prendre position et réclamer
des dommagesintérêts. Toutefois, si le prévenu, condamné par défaut, n'est pas
touché personnellement par la citation, il a le droit de former son opposition
jusqu'à la prescription de la peine, à moins qu'il ne résulte d'actes
d'exécution qu'il a eu connaissance du jugement. Au délai de cinq jours
ci-dessus indiqué, il convient d'ajouter les délais de distance calculés
d'après le lieu où la condamnation a été prononcée et le lieu où la
signification a été faite. III Un jugement est ou non susceptible d'appel,
selon l'importance du litige évalué en francs. Il est dit en premier ressort
dans le premier cas, et en dernier ressort dans le second. Cette étude sommaire
laisse dans l'ombre des cas trop spéciaux. Ainsi le jugement de défaut profit
joint, c'est défaillant alors que d'autres défendeurs comparaissent. Le
défendeur défaillant doit être purement et simplement réassigné par huissier
commis. Ainsi encore les jugements rendus en chambre du conseil sur procédure
simplifiée, notamment pour les actes de notoriété en vue du mariage, pour le
paiement des droits universitaires, etc. « La Cour rend des arrêts, et non pas
des services », a dit Séguier. Puisse venir le jour où cette belle parole
s'imposera même aux tendances politiques ou aux prétentions parlementaires ! Ce
jour-là nous paraîtront plus archaïques les vers de La Fontaine : Selon que
vous serez puissant ou misérable Les jugements de cour vous rendront blanc ou
noir. Les financiers passeront sous la toise commune, et les mercantis, pendus
par les pieds, verront leurs poches se dégonfler de l'argent mal acquis.
N'appuyons pas trop sur le clavier du rêve. Remarquons, pour ajouter à nos
définitions, que La Fontaine s'est servi d'un terme impropre. Il a dit les «
jugements » de cour et non les arrêts, mais il voulait sans doute
généraliser... - Paul MOREL. On appelait, au Moyen-Age, Jugement de Dieu, les «
preuves » extraordinaires comme le duel, les épreuves de l'eau bouillante, du
feu, du fer chaud, etc., auxquelles on recourait pour décider certaines
contestations lorsque manquaient les preuves matérielles. C'était un appel à
l'intervention céleste, au miracle, dans les cas où les hommes s'arrêtaient,
embarrassés, sur le chemin de leur justice. On frémit en pensant à quelles
révélations simplistes mais atroces étaient confiées l'innocence ou la
culpabilité et quelles souffrances endurait l'accusé livré aux « interrogations
» physiques de ces temps barbares. Ici le patient met sa main sur des charbons
ardents ou il l'introduit dans un gantelet d’armes rougi au feu. Là une femme
plonge son bras jusqu'au coude dans une cuve remplie d'eau bouillante, un
paysan est jeté, pieds et poings liés, dans un bassin d'eau froide : elle est
coupable si la brûlure a tracé son empreinte ; il est innocent s'il enfonce.
Mais s'il surnage ? Ecoutez les raisons canoniques d'Hincmar, archevêque du XIe
siècle: c'est « parce que la nature de l'eau, qui est pure, ne reconnaissant
plus la nature de l'homme, que le baptême avait purifié, et que le mensonge a
souillé de nouveau, la rejette comme incompatible » ! Et ces épreuves
monstrueuses, préalablement bénies et préparées par des rites religieux...
désignaient ainsi, divinement, le criminel. D'autres jugements, comme celui de
l'Eucharistie, étaient propres aux ecclésiastiques. Dans le jugement de la
croix, si le malheureux (debout, les bras étendus comme le crucifié), par un
mouvement, trahissait sa fatigue, sa cause était perdue. Les anglo ne pouvait
réussir à broyer l'aliment présenté. Cette justice de hasard, où la faiblesse
presque toujours était l'aveu, a laissé dans le langage populaire, des
expressions encore usitées. On dit : « que ce vin m'étrangle, que ce morceau de
pain m'empoisonne si je mens ». ou « j'en mettrais ma main au feu », etc. Le
Jugement dernier, incorporé à la doctrine chrétienne et en particulier au
catholicisme (l'Eglise grecque séparée et certaines communions protestantes
l'admettent également) est, pour les croyants, le jugement solennel que Dieu
fera « des vivants et des morts » au jour fixé par son omnipotence et, pour
nous, imprévisible. Une trompette symbolique annoncera au monde terrifié que
l'heure de la justice définitive a sonné... « Apparaissant dans sa majesté, le
Fils de l'Homme, ressuscité et glorifié, placera les bons à sa droite, les
méchants à sa gauche ; les premiers iront à la vie, les seconds à la mort
éternelle. Le jugement dernier sera précédé de catastrophes qui annonceront la
fin de ce monde et la résurrection de tous les morts. » (Matthieu, Evangile,
chap. XIV et XV). S'ils croyaient à l'avènement de cette justice suprême,
combien de chrétiens l'attendraient en tremblant !
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