«Quant aux syndicats qui, dans la doctrine de
Bernstein, sont un autre moyen de lutter contre l'exploitation du capital de
production, nous avons déjà montré qu'ils sont incapables d'imposer l'influence
de la classe ouvrière sur le processus de production, pas plus en ce qui
concerne les dimensions de la production que ses procédés techniques. »
« Bernstein assigne aux
syndicats une mission particulière dans la lutte pour l'émancipation de la
classe ouvrière : c'est à eux, dit-il, de mener la bataille contre le taux du
profit industriel et de le transformer progressivement en taux de salaire ; or
les syndicats n'ont absolument Pas le pouvoir de mener une politique
d'offensive économique contre le profit, parce qu'ils ne sont rien d'autre, en
réalité, que la défense organisée de la force de travail contre les attaques du
profit, l'expression de la résistance de la classe ouvrière à la tendance
oppressive de l'économie capitaliste. Et ceci pour deux raisons : 1º Les
syndicats ont pour tâche d'agir par leur organisation sur le marché de la force
du travail, mais l'organisation est constamment débordée par le processus de
prolétarisation des classes moyennes qui amène continuellement sur le marché du
travail de nouvelles recrues. 2º Les syndicats se proposent d'améliorer les
conditions d'existence, d'augmenter la part de la richesse sociale qui revient
à la classe ouvrière ; mais cette part est sans cesse réduite, avec la fatalité
d'un phénomène naturel, par l'accroissement de la productivité du travail. Pour
s'en rendre compte, il n'est pas nécessaire d'être marxiste, il suffit d'avoir
eu une fois entre les mains le livre de Rodbertus 1 intitulé : « Zur
Beleuchtung der sozialen Frage » (« Pour éclairer la question sociale »). A
cause de ces facteurs objectifs, qui sont le fait de la société capitaliste,
les deux fonctions essentielles du syndicalisme se transforment profondément,
et la lutte syndicale devient un véritable travail de Sisyphe. Ce travail de
Sisyphe est pourtant indispensable si l'on veut que l'ouvrier reçoive le taux
de salaire qui lui revient dans la situation conjoncturelle du marché, que la
loi capitaliste se réalise et que la tendance dépressive du développement
économique soit stoppée ou plus exactement atténuée dans son effet. Mais
vouloir que les syndicats parviennent à réduire progressivement le profit à
l'avantage du salaire implique : 1º que cessent la prolétarisation des classes
moyennes et l'accroissement numérique de la population ouvrière ; 2º que la
productivité du travail cesse d'augmenter ; dans le cas où ces deux conditions
sociales seraient réalisées il s'agirait ici aussi - comme à propos de
l'économie corporative de consommation - d'un retour a une économie antérieure
au capitalisme. Les deux moyens grâce auxquels Bernstein prétendait réaliser la
réforme socialiste, à savoir les coopératives et les syndicats, se révèlent
donc absolument incapables de transformer le mode de production capitaliste.
Bernstein en a lui-même une conscience plus ou moins claire; il ne les regarde
que comme des moyens de réduire le profit capitaliste et d'enrichir les
ouvriers, ce qui revient à renoncer à lutter contre le mode de production
capitaliste ; il oriente le mouvement socialiste vers la lutte contre le mode
de répartition capitaliste. Bernstein lui-même définit à plusieurs reprises son
socialisme comme une tentative d'introduire un mode de répartition « juste », «
plus juste » (p. 51 de son livre) et même « encore plus juste » (Vorwärts, 26
mars 1809). »
« Quiconque souhaite le
renforcement de la démocratie devra souhaiter également le renforcement et non
pas l'affaiblissement du mouvement socialiste ; renoncer à la lutte pour le
socialisme, c'est renoncer en même temps au mouvement ouvrier et à la
démocratie elle-même. »
«Bernstein tranche cette question
en pesant soigneusement les aspects positifs et les aspects négatifs de la
réforme légale et de la révolution, à peu près comme on pèse de la cannelle ou
du poivre dans une coopérative de consommation. Dans le cours légal, il voit
l'action du raisonnement ; dans son cours révolutionnaire, celle du sentiment ;
dans le travail réformiste, une méthode lente ; dans la révolution, une méthode
rapide de progrès historique dans la légalité, une force méthodique, dans
l'insurrection une violence spontanée. C'est une chose bien connue que le
réformateur petit-bourgeois aperçoit en tout un « bon » et un « mauvais » côté
et qu'il mange à tous les râteliers. C'est aussi une chose bien connue que le
cours réel de l'histoire ne se soucie guère des combinaisons petites bourgeoises,
et renverse d'un coup les échafaudages bien construits et les calculs, sans
tenir compte des « bons côtés » des choses, si bien triés en tas. »
« Quiconque se prononce en faveur
de la réforme légale, au lieu et à l'encontre de la conquête du pouvoir
politique et de la révolution sociale, ne choisit pas en réalité une voie plus
paisible, plus sûre et plus lente conduisant au même but ; il a en vue un but
différent : au lieu de l'instauration d'une société nouvelle, il se contente de
modifications superficielles apportées à l'ancienne société. »
« En un mot, il est
impossible de transformer les rapports fondamentaux de la société capitaliste,
qui sont ceux de la domination d'une chose par une autre, par des réformes
légales qui en respecteraient le fondement bourgeois ; ces rapports ne sont pas
en effet le produit d'une législation bourgeoise, ils ne se sont pas traduits
par des lois. »
« Dans le domaine politique,
l'évolution du système conduit, si le terrain y est favorable, à la démocratie,
à la participation de toutes les couches de la population à la vie politique.
On s'oriente donc en quelque sorte vers un « État populaire ». Mais ceci dans
le cadre du parlementarisme bourgeois où les antagonismes de classe, loin
d'être résolus, s'étalent au contraire au grand jour. L'évolution du
capitalisme oseille donc entre des contradictions ; pour dégager le noyau
socialiste de la gangue capitaliste, il faut que le prolétariat s'empare du
pouvoir politique, et que le système capitaliste soit entièrement aboli. »
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