jeudi 22 octobre 2020

Œuvres 1 De Rosa Luxemburg

 


«Quant aux syndicats qui, dans la doctrine de Bernstein, sont un autre moyen de lutter contre l'exploitation du capital de production, nous avons déjà montré qu'ils sont incapables d'imposer l'influence de la classe ouvrière sur le processus de production, pas plus en ce qui concerne les dimensions de la production que ses procédés techniques. »

 

« Bernstein assigne aux syndicats une mission particulière dans la lutte pour l'émancipation de la classe ouvrière : c'est à eux, dit-il, de mener la bataille contre le taux du profit industriel et de le transformer progressivement en taux de salaire ; or les syndicats n'ont absolument Pas le pouvoir de mener une politique d'offensive économique contre le profit, parce qu'ils ne sont rien d'autre, en réalité, que la défense organisée de la force de travail contre les attaques du profit, l'expression de la résistance de la classe ouvrière à la tendance oppressive de l'économie capitaliste. Et ceci pour deux raisons : 1º Les syndicats ont pour tâche d'agir par leur organisation sur le marché de la force du travail, mais l'organisation est constamment débordée par le processus de prolétarisation des classes moyennes qui amène continuellement sur le marché du travail de nouvelles recrues. 2º Les syndicats se proposent d'améliorer les conditions d'existence, d'augmenter la part de la richesse sociale qui revient à la classe ouvrière ; mais cette part est sans cesse réduite, avec la fatalité d'un phénomène naturel, par l'accroissement de la productivité du travail. Pour s'en rendre compte, il n'est pas nécessaire d'être marxiste, il suffit d'avoir eu une fois entre les mains le livre de Rodbertus 1 intitulé : « Zur Beleuchtung der sozialen Frage » (« Pour éclairer la question sociale »). A cause de ces facteurs objectifs, qui sont le fait de la société capitaliste, les deux fonctions essentielles du syndicalisme se transforment profondément, et la lutte syndicale devient un véritable travail de Sisyphe. Ce travail de Sisyphe est pourtant indispensable si l'on veut que l'ouvrier reçoive le taux de salaire qui lui revient dans la situation conjoncturelle du marché, que la loi capitaliste se réalise et que la tendance dépressive du développement économique soit stoppée ou plus exactement atténuée dans son effet. Mais vouloir que les syndicats parviennent à réduire progressivement le profit à l'avantage du salaire implique : 1º que cessent la prolétarisation des classes moyennes et l'accroissement numérique de la population ouvrière ; 2º que la productivité du travail cesse d'augmenter ; dans le cas où ces deux conditions sociales seraient réalisées il s'agirait ici aussi - comme à propos de l'économie corporative de consommation - d'un retour a une économie antérieure au capitalisme. Les deux moyens grâce auxquels Bernstein prétendait réaliser la réforme socialiste, à savoir les coopératives et les syndicats, se révèlent donc absolument incapables de transformer le mode de production capitaliste. Bernstein en a lui-même une conscience plus ou moins claire; il ne les regarde que comme des moyens de réduire le profit capitaliste et d'enrichir les ouvriers, ce qui revient à renoncer à lutter contre le mode de production capitaliste ; il oriente le mouvement socialiste vers la lutte contre le mode de répartition capitaliste. Bernstein lui-même définit à plusieurs reprises son socialisme comme une tentative d'introduire un mode de répartition « juste », « plus juste » (p. 51 de son livre) et même « encore plus juste » (Vorwärts, 26 mars 1809). »

 

« Quiconque souhaite le renforcement de la démocratie devra souhaiter également le renforcement et non pas l'affaiblissement du mouvement socialiste ; renoncer à la lutte pour le socialisme, c'est renoncer en même temps au mouvement ouvrier et à la démocratie elle-même. »

 

«Bernstein tranche cette question en pesant soigneusement les aspects positifs et les aspects négatifs de la réforme légale et de la révolution, à peu près comme on pèse de la cannelle ou du poivre dans une coopérative de consommation. Dans le cours légal, il voit l'action du raisonnement ; dans son cours révolutionnaire, celle du sentiment ; dans le travail réformiste, une méthode lente ; dans la révolution, une méthode rapide de progrès historique dans la légalité, une force méthodique, dans l'insurrection une violence spontanée. C'est une chose bien connue que le réformateur petit-bourgeois aperçoit en tout un « bon » et un « mauvais » côté et qu'il mange à tous les râteliers. C'est aussi une chose bien connue que le cours réel de l'histoire ne se soucie guère des combinaisons petites bourgeoises, et renverse d'un coup les échafaudages bien construits et les calculs, sans tenir compte des « bons côtés » des choses, si bien triés en tas. »

 

« Quiconque se prononce en faveur de la réforme légale, au lieu et à l'encontre de la conquête du pouvoir politique et de la révolution sociale, ne choisit pas en réalité une voie plus paisible, plus sûre et plus lente conduisant au même but ; il a en vue un but différent : au lieu de l'instauration d'une société nouvelle, il se contente de modifications superficielles apportées à l'ancienne société. »

 

«  En un mot, il est impossible de transformer les rapports fondamentaux de la société capitaliste, qui sont ceux de la domination d'une chose par une autre, par des réformes légales qui en respecteraient le fondement bourgeois ; ces rapports ne sont pas en effet le produit d'une législation bourgeoise, ils ne se sont pas traduits par des lois. »

 

« Dans le domaine politique, l'évolution du système conduit, si le terrain y est favorable, à la démocratie, à la participation de toutes les couches de la population à la vie politique. On s'oriente donc en quelque sorte vers un « État populaire ». Mais ceci dans le cadre du parlementarisme bourgeois où les antagonismes de classe, loin d'être résolus, s'étalent au contraire au grand jour. L'évolution du capitalisme oseille donc entre des contradictions ; pour dégager le noyau socialiste de la gangue capitaliste, il faut que le prolétariat s'empare du pouvoir politique, et que le système capitaliste soit entièrement aboli. »

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