Un scrupule, pour commencer ( commencement qui date de mars 2020): qu'il puisse être " déplacé" de solliciter l'écriture dans cette circonstance, cruelle, d'une pandémie, et pour en rendre compte, ou pour rendre compte de la part qu'il sera donné à chacun de nous y prendre, dont nous ne mesurerions la cruauté réeelle, entière, qu'après.
Scrupule possible, mais qu'il fallait que cette objection, de principe, écartât: c'est là où l'écriture et la pensée ne se placent plus assez qu'il faut qu'elles se placent, et se tiennent - quand l'occasion leur en est donnée à fortiori. Qu'il le leur faut d'autant plus que cette cruauté est à la fois banale ( archaique) et "commune" ( virale).
Quoi de plus "commun" en effet qu'une pandémie, puisque c'est d'une pandémie qu'il est question, puisque c'est elle qui est l'objet ici de l'invitation à penser, qui pourrait bien être la dernière forme existante du "commun" ( n'excluant par principe personne, principe du démos , dont le mot " pandémie" est fait) et de l'"archaique", en tout cas sous nos "latitudes", lesquelles n'auraient jamais rien vécu qui ressemblât à celle-ci depuis, nous dit-on, un siècle - l'exagération est possible, mais elle importe peu.
Contre cette pandémie, il a été commandé à tous de se confiner. Cruauté aussi d'une tel commandement. Cruauté pour qui le faire va rendre un peu plus invivables encore les conditions de la vie ordinaire (habitats étroits, pauvres, insalubres; Ephad aussi, et asiles, et prisons). Pour qui n'a pas où le faire ( les migrants, un peu plus encore arrêtés, dans leur migrance, ne sachant sans doute plus où ni quoi fuir?) Même aveugle, le virus ne fait pas que tous puissent s'en protéger également, qui n'est par le fait pas pareillement "commun".
Le maitre-mot avait beau être: "pandémie", on est convenu de partir d'un monde mot: "confinement", dès lors que c'était celui qui s'est aussitôt imposé ( qui l'a été par les autorités sanitaires). De partir de ce qu'il en sera de l'être, confinés. De l'être par contrainte, comme "séquestrés", mais s'y prêtant, ce qui fait de la contrainte autre chose - une auto-séquestration. De ce qu'être confinés-séquestrés fait qu'on vivra, ressentira, pensera, qu'on n'aurait pas vécu, ressenti, pensé, sinon, en tout cas pas avec cette intensité. De ce qu'on vivra, ressentira, pensera des raisons de l'être, par quoi on se protégerait, et dont, nous a-t-on à tout instant rappelé, on protégerait autrui autant.
Invitation a donc été faite à ceux que ce numéro réunit à "tenir" quelque choser comme un journal ( en même temps, nul ne sait que "quelque chose" un journal peut-être, que rien n'a établi). D'autres ont fait la même invitation au même moment. Mais pas les mêmes et pas eux-mêmes. Pas les mêmes: les "grands" quotidiens , comme il est de mise de dire; et pas aux mêmes: les auteurs à succès, pour que tout ne change pas trop vite. Avec les seconds répondant à l'invitation des premiers, il y avait peu de chance que la pensée y fût mise si peu que ce soit en jeu. Tout pouvait en tenir lieu qui tiendrait de la chronique - ça n'a pas manqué.
La chronique n'était pas impossible par principe ici. Encore fallait-il qu'il n'y eût pas qu'elle; que tout pût y être: méditations, contemplations, lectures, citations, images, films, musiques...
Politiques aussi bien sûr, lesquelles n'ont pas par le coup été abolies, pas même réellement mises en suspens, quelque apparence qu'il nous en ait été donnée.
La pensée pouvait se poursuivre, mais allait le devoir autrement.
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