samedi 26 septembre 2020

JALOUSIE SEXUELLE Encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 

 S'occuper du problème social au point de vue anarchiste et négliger les ravages et la répercussion de ce terrible fléau qu'est la jalousie, dans l'humanité, me paraît un illogisme. Voici plusieurs raisons à l'appui de ce point de vue : 1 ° La jalousie cause, en France, bon an mal an, mille à douze cents victimes. Ce chiffre ne concerne, bien entendu, que les drames et les ravages de la jalousie connus publiquement. Si la proportion est la même hors de France, c'est quarante à cinquante mille victimes que cet aspect de la folie immolerait annuellement ; 2° Il y a à considérer les moyens auxquels ont recours les jaloux pour assouvir leur fureur. On assassine par jalousie sexuelle en se servant de ciseaux, poignards, tiers-points, stylets, couteaux de diverses sortes, mar rasoirs, flèches, navajas, bow knives, machetes, sabres, revolvers, fusils, etc. Pour tuer et se tuer, les jaloux ont recours au suicide, à l'empoisonnement, à la défenestration, à la pendaison, à l'immersion, à la strangulation, etc. Ils emmurent, calcinent, coupent en morceaux, crucifient. La crevaison des yeux, l'arrachage du nez, des oreilles, l'ablation des parties sexuelles, des mamelles, d'autres mutilations encore figurent dans le catalogue des supplices infligés aux êtres que les jaloux prétendent aimer d'un amour sans rival. (Il n'est ques Moyen-Age. Ces détails ont été relevés sur divers journaux quotidiens de pays dif l'apparition du browning, est passé de mode). Je ne parle pas ici des dénonciations à la justice, les maisons centrales sont pleines de pau de l'un et l'autre sexe. (Si quelqu'un m'accusait d'exagérer quant à la variété des moyens mis en œuvre pour se venger, je le renver rubrique des drames passionnels, dans les gazettes de France et de l'exté Les gestes d'empiètement ou les crimes aux l'intervention de la loi et le jeu des sanctions pénales, ces actes renforcent les institutions autoritaires et resserrent les mailles du contrat social imposé. De ce qui précède, on peut déduire, sans possibilité de contestation, que le jaloux est un type humain en voie de régression. Le malheur est que ce spécimen retardataire se ren milieux « d'avant-garde » ou « extrémistes ». Même chez les anarchistes, la jalousie cause des meurtres, des suicides, des mouchardages, des rixes et des brouilles entre camarades. Il importe donc, selon moi, d'analyser la jalousie, de nous demander quel est son remède ; celui-ci connu, de combattre la maladie. On m'a objecté que « la jalousie, ça ne se commandait pas ». Piètre objection ! Si nous acceptions cette objec tenté en vue de débarrasser l'humain des préjugés qui embrument son cerveau. Le croyant, le chauvin, disent, eux aussi, que la foi, l'amour de la patrie ne se com encore ne se commande pas. La jalousie est diagnosticable, analysable comme n'importe quel autre sentiment autoritaire ou passion maladive. Dans un roman utopique de M. Georges Delbruck : Au Pays de l'Harmonie, l'un des personnages, une femme, définit la jalousie en des termes lapidaires : « Pour l'homme, expose-t-elle, le don de la femme implique la possession de ladite femme, le droit de la dominer, de porter atteinte à sa liberté, la monopoli son amour, l'interdiction d'en aimer un autre ; l'amour sert de prétexte à l'homme pour légitimer son besoin de dominer ; cette fausse conception de l'amour est tellement ancrée chez les civilisés qu'ils n'hésitent pas à payer de leur liberté la possibilité de détruire la liberté de la femme qu'ils prétendent aimer. » Ce tableau est exact, mais il s'applique à la femme comme à l'homme. La jalousie de la femme est aussi monopolisatrice que celle de l'homme. L'amour tel que l'entendent les jaloux est donc une catégorie de l'archisme. Il est une monopolisation des organes sexuels, tactiles, de la peau et du sentiment d'un humain au profit d'un autre, exclusivement. L'éta vie et de l'activité des habitants de toute une contrée au profit de ceux qui l'administrent. Le patriotisme est la monopolisation, au profit de l'existence de l'Etat, des forces vives humai la monopolisation au bénéfice d'un petit nombre de pri machines ou d'espèces de toutes les énergies et de toutes les facultés productrices du reste des hommes. Et ainsi de suite. La monopolisation étatiste, religieuse, patriotique, capitaliste, etc., est en germe dans la jalousie, car il est évident que la jalousie sexuelle a précédé les dominations politique, religieuse, capitaliste, etc. La jalousie a préexisté à la vie en société, voilà pourquoi ceux qui combattent la mentalité sociale actuelle ne peuvent négliger de faire la guerre à la jalousie. L'amour donc, étant considéré comme une monopoli aspect de la domination de l'humain sur son semblable, homme ou femme, un aspect du mécontentement, de la colère ou de la fureur ressentie par un être vivant quelconque quand il sent ou prévoit que sa proie lui échappe ou fait mine de lui échapper. C'est à cela que se ramène la jalousie, dans le plus grand nombre de ses accès, quand on l'a dépouillée de toutes les fioritures, dont, pour la rendre acceptable et présentable, l'ont décorée les traditions, les conventions, les lois religieuses ou civiles. C'est cet aspect si commun de la jalousie que je dénommerai jalousie propriétaire. Une deuxième forme de jalousie pourrait être appelée jalousie sensuelle. Elle s'analyse ainsi : l'un des parti partenaire une satisfaction parfaite, se trouve privé, du fait de la cessation des rapports purement sensuels qui formaient le lien qui l'unissait à l'autre ; sa souf malade s'était habitué à se réserver sans crainte de partage. La maladie empire d'autant plus que l'objet de l'attachement est plus voluptueux ou doué d'attributs physiques spéciaux. La troisième forme de la jalousie est la jalousie sen la plus grave de la maladie et la plus intéressante, à en croire certains moralistes. La souffrance qui peut aller jusqu'à une indescriptible torture morale, provient du sentiment nettement caractérisé d'une diminution de l'intimité, d'un amoindrisse de l'amitié, d'un affaiblissement du bonheur. Qu'il se l'explique ou non, le patient éprouve la sensation bien nette que l'amour dont il était l'objet, décroît, baisse, menace de s'éteindre. D'autant plus surexcité, le sien redouble. Son moral et son physique s'en ressentent ; sa santé générale s'altère. Je sais que « la jalousie sentimentale » peut être con réaction de l'instinct de conservation de vie amoureuse contre ce qui menace son exis d'affection, de confiance partagés, on peut comprendre que, son aliment venant à lui manquer, menaçant de disparaître, il y ait réaction logique, résistance naturelle. Je sais, faits à l'appui, que la « jalousie sentimen qu'elle peut être inguéris déception amoureuse que toute leur vie s'en ressent ; comme s'y résolvent certains incurables, on ren leur vie sentimentale ; celle-ci venant à leur manquer, ils se sentent tellement désorientés qu'ils se donnent la mort. Loin de moi la pensée de nier qu'il y ait dureté, cruauté, sadisme parfois, à jeter dans l'isolement et la douleur qui aime sincèrement, profondément et qui a eu sujet de compter sur le partage de son sentiment. Nier cela serait un non-sens de la part d'un défenseur de la conception du contrat. C'est à « la jalousie sentimentale » que s'applique la conception du Larousse : « Tourment causé par la crainte ou la certitude d'être trahi par la personne qu'on aime, d'être aimé moins qu'une autre personne. » Mais toutes ces considérations ne guérissent pas le malade. Les individualistes anarchistes ne sauraient s'inté propriétaire, sinon pour en dénoncer le ridicule. Reste la jalousie d'ordre sentimentalo-sexuel. Dans la Douleur Universelle (page 394, en note), Sébastien Faure dénonce la jalousie comme un « senti suppressibles », « éliminable lui-même ». Selon moi, l'élimination de la jalousie est fonction de l'abondance sensuelle et sentimentale régnant dans le milieu où l'individu évolue. De même que la satisfac de l'individu. De même que l'apaisement de la faim est fonction de l'abondance de nourriture mise à la disposition de l'individu. Qu'il s'agisse d'un milieu communiste où les besoins sont satisfaits sans qu'on se soucie de l'effort fourni, ou d'un milieu individualiste où la satisfaction des désirs est basée sur l'observation de la réciprocité, la situation est la même. L'un et l'autre veulent que ses composants soient heureux et ils ne le sont pas, tant que, parmi eux, quelqu'un souffre : sa cérébralité, sa faim, ses sens ou ses sentiments insatisfaits. Le caprice, la fantaisie, le tant pis pour toi, la préférence, « l'en peuvent constituer des pis-aller pour des isolés - et c'est à démontrer - non pour des asso camaraderie impliquant support, compréhension, concessions mutuelles. Et non seulement lorsqu'il s'agit d'associés, mais encore de camarades se fréquentant de très près et qui, recherchant leur plaisir individuel sans vouloir gêner le plaisir d'autrui, se sont délivrés des préjugés concernant la fidélité sentimentale comme inhérente à la cohabitation, le propriétarisme conjugal, l'exclusivisme sexuel comme marque d'amour en général. C'est donc DANS L'ABONDANCE - d'offres, de demandes, d'occasions - que j'aperçois le remède à la jalousie. Et quel aspect revêtira cette abondance pour que personne ne soit laissé de côté, mis à part, ne souffre, pour tout dire ? Voilà la question à résoudre. Dans sa Théorie universelle de l'Association (tome IV, p. 461), Fourier l'avait résolue en constituant le mariage de telle sorte « que chacun des hommes puisse avoir toutes les femmes et chacune des femmes tous les hommes ». Je ne puis m'étendre sur les conséquences de cette éthique sexuelle dont la principale est la disparition de la famille. Il me paraît difficile que le communisme anarchiste puisse finalement éluder cette solution, s'il veut rester conséquent avec lui-même, c'est-à-dire ne pas établir une hiérarchie des plaisirs et des besoins. On ne conçoit pas que des anarchistes puissent admettre de distinctions qualitatives entre les aspirations des divers appétits humains. Ce qui frappe, quand on étudie à fond les objections présentées à la solution fouriériste, c'est qu'elles ressemblent formulées par des anarchistes, et comme deux gouttes d'eau aux protestations des éducateurs religieux et des représentants de l'Etat. Ceux-là et ceux-ci voient dans le couple et le groupement familial une garantie de la perpétuation du système de domination spirituel ou laïque, de là la poésie, les phrases ampoulées, les panégyriques dont s'accompagnent les descriptions de l'amour conjugal, de la famille, cellule du milieu social. D'ailleurs, si l'on persécute les partisans des concep intérêts des dirigeants, je ne sache pas qu'il existe une seule loi - du code de Hammourabi aux codes soviétiques - qui décrète une pénalité contre l'exaltation de l'amour romantique ou de l'indissolubilité du lien conjugal. Les dominateurs savent bien ce qu'ils font. Je pense donc que les communistes anarchistes en viendront à considérer l'abondance - le communisme sexuel volontaire - comme le remède à tous les maux de l'amour. Ce n'est d'ailleurs que récemment, surtout depuis la guerre mondiale 1914-1918, qu’une régression à ce sujet est notable chez les communistes anarchistes, Mais une autre question se pose : Le remède à la jalousie, à l'exclusivisme sentimental ou à l'appropriation sexuelle, le remède que je résu toutes, toutes à tous, - ce remède peut-il se concilier avec les principes de l'individualisme anarchiste, convenir à des individualistes ? Ma réponse est qu'il convient aux individualistes qui sont prêts, pour reprendre une expression de Stirner, à perdre de leur liberté pour que s'affirme leur individualité. Que cherchent en s'associant, dans le domaine sentimentalo-sexuel, un nombre quelconque d'individua toujours plus la souffrance ? Si c'est ce dernier but qu'ils visent, si c'est dans la disparition de la souffrance que s'affir dans la sphère qui nous occupe, l'amour perdra de plus en plus son caractère passionnel pour devenir une simple mani l'arbitraire, le refus disparaîtront graduellement, deviendront toujours plus rares. Ils se rallieront à la formule ci-dessus énoncée parce qu'ils y verront la méthode la meilleure pour éliminer de leur milieu la jalousie sexuelle et ses con parce qu'ayant à choisir entre divers procédés leur « libre choix » s'est porté sur celui-là. D'ailleurs, ils n'engagent qu'eux-mêmes. Ils ne sont pas jaloux, c'est le cas ou jamais de ne pas l'être, des systèmes autres « choisis » par d'autres groupes pour éliminer la jalousie de leur sein. Les partisans de l'abondance comme remède à la jalousie, les réalisateurs d’associations anarchistes a fins sentimentales ou sexuelles, les propagandistes de la camaraderie amoureuse n'ignorent pas à quelles rail d'excellents cama moralité sexuelle, mais ils se souviennent de ce qu'écrivait dans Free Society, au cours d'un article solidement charpenté sur La pluralité en amour, l’anarchiste communiste F.-A. Barnard : « Ceux qui se sentent assez forts, assez enthousiastes pour oser être les pionniers de ce mouvement peuvent prendre courage à la pensée que les antiques conceptions de l’amour s'effondrent, que nous le voulions ou non, à ce point que l'espèce humaine tout entière se débat dans un chaos. Ils peuvent trouver un sujet de se réjouir encore dans la pensée qu'ils vivent conformément à des idées dont la réalisation assurera à l’être humain une existence normale et fertile. » - E. ARMAND.

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