Nous ne soulèverons pas ici les
arguments qui, par le déterminisme, se rattachent aux problèmes de la liberté
ou de la morale (voir ces mots), ni les conditions dans lesquelles la justice
établit la culpabilité et fait jouer le châtiment (voir justice, jugement,
pénalité, sanction, etc.). On trouvera d'ailleurs à responsabilité, plus
amplement développés, la plupart des aspects généraux de cette importante
question qui touche à la nature humaine, au milieu, aux époques, aux formes
changeantes de la vie elle-même... Nous marquerons seulement, en passant,
l'irresponsabilité, en politique, de ceux qui administrent les affaires des
nations, décident de l'emploi des impôts prélevés sur l'activité publique, font
régner l'arbitraire dans les événements quotidiens, tranchent du sort des
masses aux heures de crises internationales... Souverains constitutionnels,
ministres élus, dictateurs improvisés, tous les détenteurs de la puissance des
Etats, sont, en fait, couverts par l'irresponsabilité. Ils ne relèvent que des
sursauts - assez lointains pour ne pas être inquiétants - dans lesquels le «
lion populaire », excédé, lance, dans un rugissement, ses griffes sur les
occupants du jour, assez malchanceux pour jouer les Louis XVI ou les Nicolas
II, mais non toujours, quand on songe au règne introublé d'un Roi Soleil ou
d'un Napoléon, les plus représentatifs de la tyrannie. Ce qui donne aux chefs
d'Etat - il ne s'agit pas ici des fantoches représentatifs, mais des maîtres
effectifs - la sérénité dans la gabegie, l'incohérence et le crime, c'est le
sentiment que, - les institutions comportassent-elles des contrôles de gestion
- leur tâche néfaste accomplie (et couverte par les Assemblées), ils prendront
leur retraite entourés d'honneurs et de richesses, environnés de la
considération générale... Il ne vient même pas à l'idée des populations bernées
(nous savons ce qu'en vaudrait l'aune nous qui ayons pesé combien l'irresponsabilité
des dirigeants est liée à l'inconscience et à la veulerie des masses et qui
avons vu, en même temps que la lenteur à mettre en jugement les Poincaré ou les
Clemenceau par exemple, la Haute-Cour parlementaire plus disposée aux lâches
services qu'aux arrêts justiciers), il ne vient pas à l'idée du « peuple
souverain » de rendre les tenants des hautes fonctions nationales - si
glorieuses et lucratives! - personnellement et civilement responsables des
actes de leur gestion ; et cela non devant leurs pairs indulgents ou complices,
mais devant les tribunaux populaires. Et de leur faire savoir qu'ils auront à
payer de leur liberté et de leurs biens - à défaut d'une visite à la
démocratique lanterne - leurs négligences coupables et leur désinvolture criminelle.
Allons donc!... Puissances anonymes, unités régnantes resteront longtemps
encore marquées du sceau rassurant de l'irresponsabilité, et les mises en
jugement... de l'histoire sont l'unique et bouffonne terreur promise à ceux qui
jonglent, au faîte des nations, avec la vie de leurs contemporains.
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