dimanche 13 septembre 2020

Textes de Marx et Engels

 


 

Marx/Engels :   1843  « Lettres de Londres »

« Ces prêcheurs ont une excellente façon de raisonner. Ils partent tous de l’expérience et de faits illustrables et démontrables, et tout est explicité à fond de sorte qu’il est difficile de les battre sur le terrain qu’ils ont choisi. Dès lors que l’on veut gagner un autre terrain, ils vous rient au nez. Je leur dis, par exemple, que l’existence de Dieu ne dépend pas de démonstrations tangibles pour les hommes, alors ils me rétorquent : « Votre affirmation est ridicule. S’il ne se réalise pas dans des faits, qu’avons-nous à en faire ? De ce que vous dites, il ressort précisément que l’existence ou la non-existence de Dieu est indifférente à l’homme. Comme nous avons à nous préoccuper de mille choses, nous laissons le Bon Dieu derrière les nuages, où il existe peut-être oui, peut-être non. Ce que nous ne pouvons apprendre à partir de faits ne nous intéresse pas ; nous nous en tenons au terrain des « beaux faits », où il ne peut être question de morceaux de fantaisie tels que Dieu et la religion. » »

 

« Tandis que la Haute-Eglise anglaise grasseyait, les socialistes ont fait des choses incroyables pour la formation théorique des classes laborieuses en Angleterre. Quand on les voit pour la première fois, on ne peut manquer d’être étonné des sujets que les ouvriers les plus ordinaires abordent dans la maison de l’Education, en ayant une vive conscience de la situation politique, religieuse et sociale. »

 

Marx : La question Juive.  Réflexions issues des travaux de Bruno Bauer  en italique les observations de Bruno Bauer.

« A l’égard des juifs, l’Etat chrétien ne peut avoir que l’attitude de l’Etat chrétien. Il doit, par manière de privilège, autoriser que le juif soit isolé des autres sujets ; mais il doit ensuite faire peser sur ce juif l’oppression des autres sphères isolées, et cela d’autant plus durement que le juif se trouve en opposition religieuse avec la religion dominante. Mais le juif ne peut, de son côté, avoir à l’égard de l’Etat qu’une attitude de juif, c’est-à-dire d’étranger : à la nationalité véritable, il oppose sa nationalité chimérique, et à la loi véritable, sa loi illusoire ; il se croit en droit de se séparer du reste de l’humanité ; par principe, il ne prend aucune part au mouvement historique et escompte un avenir qui n’a rien de commun avec l’avenir général de l’homme ; il se considère comme un membre du peuple juif et le peuple juif comme le peuple élu. A quel titre, juifs, demandez-vous donc l’émancipation ? A cause de votre religion ? Elle est l’ennemie mortelle de la religion d’Etat. Parce que vous êtes citoyens ? Il n’y a pas de citoyens en Allemagne. Parce que vous êtes hommes ? Vous n’êtes pas des hommes, pas plus que ceux à qui vous faites appel »

 

« « Bien, dit-on, et le juif le dit lui-même ; mais le juif ne doit pas être émancipé parce qu’il est juif, parce qu’il possède un principe moral excellent et universellement humain ; le juif prendra plutôt rang derrière le citoyen et sera citoyen, bien qu’il soit juif et veuille rester juif. En d’autres termes, il est et reste juif, bien qu’il soit citoyen et vive dans des conditions universellement humaines : sa nature juive et limitée remporte toujours et en dernier lieu la victoire sur ses obligations humaines et politiques. Le préjugé subsiste néanmoins que sa nature est débordée par des principes généraux. Mais, s’il en est ainsi, elle déborde au contraire tout le reste. » - « Ce n’est que dans un sens sophistique et d’après l’apparence que, dans la vie politique, le juif pourrait rester juif ; par conséquent, s’il voulait rester juif, l’apparence serait donc l’essentiel et remporterait la victoire ; autrement dit, la vie du juif dans l’Etat ne serait qu’une apparence ou une exception momentanée à l’essence et à la règle » [Bruno Bauer, Die Fähigkeit der beutigen Juden und Christen, frei zu werden, in « 21 Bogen », Zürich et Winterthur, 1843] »

 

« « Le juif, par exemple, aurait vraiment cessé d’être juif, quand il ne se laisserait pas empêcher par sa loi de remplir ses devoirs envers l’Etat et ses concitoyens, qu’au jour du sabbat il assisterait aux séances de la Chambre des députés et y prendrait part. Il faudrait, du reste, supprimer tout privilège religieux, donc également le monopole d’une Eglise privilégiée ; et si d’aucuns ou même la très grande majorité croyaient encore devoir remplir des devoirs religieux, cette pratique devrait leur être abandonnée comme une affaire d’ordre absolument privé, » (Judenfrage, p. 65). »

 

« Bauer exige donc, d’une part, que le juif renonce au judaïsme et l’homme, somme toute, à la religion, pour être émancipés civiquement. Et, d’autre part, conséquence logique, il considère la suppression politique de la religion comme la suppression de toute religion. L’Etat, qui présuppose la religion, n’est pas encore un Etat réel et véritable. « Evidemment, l’idée religieuse donne à l’Etat des garanties. Mais à quel Etat ? A quelle espèce d’Etat ? » (Judenfrage, p. 97) »

 

« La question est celle-ci : Dans quel rapport l’émancipation politique achevée se trouve-t-elle vis-à-vis de la religion ? Si, dans le pays de l’émancipation politique achevée, nous trouvons non seulement l’existence, mais l’existence « fraîche et vigoureuse » de la religion, la preuve est faite que l’existence de la religion ne s’oppose en rien à la perfection de l’Etat. Mais, comme l’existence de la religion est l’existence d’une défectuosité, la source de cette défectuosité ne peut être recherchée que dans l’essence même de l’Etat. »

 

« Mais l’attitude de l’Etat, de l’Etat libre surtout, envers la religion n’est que l’attitude, envers la religion, des hommes qui constituent l’Etat. Par conséquent, c’est par l’intermédiaire de l’Etat, c’est politiquement, que l’homme s’affranchit d’une barrière, en s’élevant au-dessus de cette barrière, en contradiction avec lui-même, d’une façon abstraite, incomplète et partielle. En outre, en s’affranchissant politiquement, c’est par un détour, au moyen d’un intermédiaire, intermédiaire nécessaire, il est vrai, que l’homme s’affranchit. Enfin, même quand il se proclame athée par l’intermédiaire de l’Etat, c’est-à-dire quand il proclame l’Etat athée, l’homme demeure toujours limité au point de vue religieux, précisément parce qu’il ne se reconnaît tel que par un détour, au moyen d’un intermédiaire. La religion est donc la reconnaissance de l’homme par un détour. Par un intermédiaire. L’Etat est l’intermédiaire entre l’homme et la liberté de l’homme. De même que le Christ est l’intermédiaire que l’homme charge de toute sa divinité, de toute sa prévention religieuse, l’Etat est l’intermédiaire que l’homme charge de toute sa non-divinité, de toute son humaine absence de préventions. »

 

« La propriété privée n'est-elle pas supprimée théoriquement, lorsque celui qui ne possède rien est devenu le législateur de celui qui possède ? Le cens est la dernière façon politique de reconnaître la propriété privée. Mais l’annulation politique de la propriété privée, non seulement ne supprime pas la propriété privée, mais la suppose même. L’Etat supprime à sa façon les distinctions constituées par la naissance, le rang social, l’instruction, l’occupation particulière, en décrétant que la naissance, le rang social, l’instruction, l’occupation particulière sont des différences non politiques, quand, sans tenir compte de ces distinctions, il proclame chaque membre du peuple codétenteur, à titre égal, de la souveraineté populaire, quand il traite tous les éléments de la véritable vie populaire en se plaçant au point de vue de l’Etat. Mais l’Etat n’en laisse pas moins la propriété privée, l’instruction, l’occupation particulière agir à leur façon, c’est-à-dire en tant que propriété privée, instruction, occupation particulière, et faire prévaloir leur nature spéciale. Bien loin de supprimer ces différences effectives, il n’existe plutôt que dans l’hypothèse de ces différences ; il a conscience d’être un Etat politique et ne fait prévaloir son universalité que par opposition à ces éléments. »

 

« La contradiction, dans laquelle l’homme religieux se trouve avec l’homme politique, est la même contradiction dans laquelle le bourgeois se trouve avec le citoyen, dans laquelle le membre de la société bourgeoise se trouve avec sa peau de lion politique. »

 

« L’émancipation politique constitue, somme toute, un grand progrès. Elle n’est pas, il est vrai, la dernière forme de l’émancipation humaine, mais elle est la dernière forme de l’émancipation humaine dans les cadres de l’ordre social actuel. Entendons-nous bien : nous parlons ici de l’émancipation réelle, de l’émancipation pratique. »

 

« Ce qui vaut dans l’Etat dit chrétien, ce n’est pas l’homme, c’est l’aliénation. Le seul homme qui compte, le roi, diffère spécifiquement des autres hommes et est, en outre, un être encore religieux se rattachant directement au Ciel, à Dieu. »

 

« Nous ne disons donc pas, avec Bauer, aux juifs : Vous ne pouvez être émancipés politiquement, sans vous émanciper radicalement du judaïsme. Nous leur disons plutôt : C’est parce que vous pouvez être émancipés politiquement, sans vous détacher complètement et absolument du judaïsme, que l’émancipation politique elle-même n’est pas l’émancipation humaine. Si vous voulez être émancipés politiquement, sans vous émanciper vous-mêmes humainement, l’imperfection et la contradiction ne sont pas uniquement en vous, mais encore dans l’essence et la catégorie de l’émancipation politique. Si vous êtes imbus de cette catégorie, vous partagez la prévention générale. Si l’Etat évangélise lorsque, bien qu’Etat, il agit en chrétien à l’égard des juifs, le juif fait de la politique lorsque, bien que juif, il réclame des droits civiques. »

 

« L’idée des droits de l’homme n’a été découverte, pour le monde chrétien, qu’au siècle dernier. Elle n’est pas innée à l’homme ; elle ne s’acquiert au contraire que dans la lutte contre les traditions historiques où l’homme a été élevé jusqu’à ce jour. Les droits de l’homme ne sont donc pas un don de la nature, ni une dot de l’histoire passée, mais le prix de la lutte contre le hasard de la naissance et contre les privilèges, que l’histoire a jusqu’ici transmis de génération en génération. Ce sont les résultats de la culture ; et seul peut les posséder qui les a mérités et acquis. »

 

« « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. » (Déclaration de 1791, art. 2.) « Le gouvernement est institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles. » (Déclaration de 1793, art. 1.)

Aucun commentaire: