"Dans l’ensemble toutes les conduites à risque présentant un risque
d’atteinte physique et psychique et d’atteinte à la dignité, sont
un reflet fidèle de l’absence de valeur que les enfants pouvaient
avoir aux yeux de certains de leurs proches, censés s’occuper
d’eux."
"Répondre à des
questions, donner son avis peut être ressenti comme un grand
danger quand les victimes ont connu des situations de violences
« éducatives » où toute réponse erronée entraînait des violences
verbales ou physiques, ou bien quand elles ont vécu dans un climat
d’emprise et de dénigrement où tout ce qu’elles pouvaient dire
était discrédité ou était l’objet de remarques humiliantes : elles se
retrouvent alors bloquées, dans l’incapacité de parler."
"La réalité de la violence des actes est gommée et remplacée
par une intentionnalité qui serait bonne pour la victime, déresponsabilisant ainsi l’auteur des violences. Comme dans le monde
totalitaire de George Orwell, où les slogans « la guerre c’est la paix,
la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force » sont martelés
en continu, nous subissons un véritable bourrage de crâne qui tend
à nous persuader que « la violence c’est l’amour, la sexualité c’est la
prédation, le dressage c’est l’éducation », etc. Pire encore, la victime
des violences peut être convoquée dans un scénario où tout cela
n’est pas si grave puisqu’en fait elle serait censée aimer cela. En
effet comme elle aspire à être aimée et que l’amour se confond
avec la violence, c’est donc qu’elle veut et aime être violentée, ou
tout au moins qu’elle y consent. Le tour est joué !"
"Ce n’est pas à elle, contrairement à ce qui est si
souvent dit, de faire en sorte que la violence n’explose pas. Ce n’est
pas à elle de dire non, c’est à l’agresseur potentiel de se contrôler
et de se gérer, de se préoccuper du consentement de l’autre, en sachant que céder n’est pas consentir et encore moins désirer. Une
absence de non, un oui ne dédouane pas pour autant, encore faut-il
s’assurer que ce oui est libre de toute contrainte."
"La violence est
totalement inhérente et nécessaire à la pérennité de tout système de
domination. Les auteurs de ces violences s’autorisent à transgresser
une loi universelle, pour imposer une loi traditionnelle qui les
arrange ou une loi qu’ils ont créée de toutes pièces, à laquelle les
victimes qu’ils se sont choisies doivent se soumettre de force."
"La violence est un scandale. C’est la violence qui génère de la
violence et non la condition humaine. La violence n’est pas un fait
de la nature mais un fait social d’une société qui légitime nombre
de violences au nom du réalisme et de l’efficacité : violences éducatives, répressives, économiques, sexistes, de guerre, qui seront le
creuset d’autres violences à venir. Elle est une atteinte à la dignité
humaine et aux droits de l’être humain, elle est déshumanisante."
"Non, le désir sexuel
des hommes n’est pas assimilable à un besoin vital qu’il faudrait
forcément assouvir à tout prix ni à une pulsion par essence violente
et incontrôlable."
"Tout se passe comme si la société leur
demandait de disparaître, d’effacer les traces des violences, d’oublier
leurs traumatismes. Il faut se rendre à l’évidence, les victimes sont
gênantes, très gênantes... "
"Par un tour de passe-passe, pour arriver malgré tout à
croire en un monde vivable, croire en l’Être Humain, en la Bonté,
en l’Amour, en la Famille, en la Justice, en l’Avenir ! Ce tour de
passe-passe consiste à s’illusionner sur l’existence d’espaces sécurisés,
d’espaces entre-soi, « civilisés », indemnes de violences, comme la
famille, le couple, les institutions, les espaces communautaires, les
milieux éducatifs, le travail, où par une sorte de magie, le « loup »
se transformerait en gardien de troupeau, la violence en amour et
en soin, et où les « agneaux » seraient en sécurité. Il suffirait donc d’appartenir à un de ces « troupeaux » et de se soumettre à ses
gardiens pour ne pas subir de violence, en revanche s’en exclure
exposerait à une violence que l’on aurait alors « bien cherchée »
puisqu’elle était prévisible (comme se promener seule la nuit, pour
une femme)."
"C’est
pourquoi il est essentiel, face à une femme violée, de prouver coûte
que coûte qu’elle a eu un comportement à risque, provocateur
ou irresponsable, ou bien qu’elle ment, et ainsi continuer à penser que les femmes sont en sécurité dans une société inégalitaire
sexiste. Reconnaître que cette femme violée est une victime
innocente, serait reconnaître que toute femme est en danger
d’être agressée dans ce système sexiste qui véhicule la haine des
femmes. Cela est hors de question, car ce serait révéler la violence
extrême du système."
"Ce refus de voir les violences exercées par des proches aboutit à
une mise en danger des personnes les plus vulnérables et les plus
dépendantes, comme les enfants, les personnes âgées, les personnes
handicapées, malades. Et les institutions idéalisées qui sont censées les
protéger deviennent une zone de non-droit et un des plus grands
viviers de production de violences à venir, transformant la violence
en une véritable épidémie."
"Il faut bien que cette violence prétendument constitutive de
l’être humain s’exerce de façon visible quelque part, sur celui qui
ne fait pas partie du monde intérieur : l’étranger, l’ennemi, celui qui
n’a pas la même religion, la même couleur de peau, l’esclave, celui
qui ne vaut rien à la jauge de notre société, qui est désigné comme
la cible possible d’une décharge cathartique de violence."
"S’il est certain que, par rapport au temps historique analysable, les
violences ont toujours existé, certaines ont fait l’objet de légitimations au nom du réalisme et de l’efficacité (guerres de défense, violences répressives, tortures, violences économiques) et, pour les plus
intolérables, de mesures pour les combattre et les limiter (crimes de
guerre, génocides, homicides, infanticides, viols, actes de barbarie).
Elles ont aussi fait l’objet d’analyses philosophiques, théologiques,
métaphysiques, psychologiques ou sociologiques pour tenter d’en
comprendre la cause, mais aucun système n’a pu en venir à bout,
aucune théorie n’a pu en donner d’explication satisfaisante. La question reste toujours ouverte, plus que jamais avec les débordements
génocidaires inouïs du XXe
siècle et la notion de Mal Absolu qu’ils
ne manquent pas de convoquer."
"Mais finalement la psychanalyse a
bien plus relié cette souffrance à des conflits intra-psychiques qu’à la
réalité de la violence elle-même, conflits intra-psychiques présentés
comme dépendants de désirs violents réprimés par l’instance du
Surmoi.
Ce n’est que depuis les années 1970, que les symptômes psychotraumatiques ont été décrits avec précision et ont été regroupés dans
des syndromes spécifiques comme l’état de stress post-traumatique
(défini dans le Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorder,
DSM III en 1980), les désordres multiples de la personnalité et
les états dissociatifs."
"Aujourd’hui en
France il n’existe toujours pas d’enseignement spécifique sur la victimologie et la psychotraumatologie pendant les études médicales.
Par exemple, en 2011, dans tout le cycle des études médicales, seule une heure et demie de cours est consacrée à la maltraitance des
enfants. En outre, cet enseignement spécifique n’est dispensé que
dans le cadre des enseignements post-universitaires et de la formation médicale continue pour les médecins libéraux. La formation
dans ces domaines est ainsi laissée au bon-vouloir des médecins,
avec des offres de formations bien trop peu nombreuses."
"Pour les conséquences psychiques,
il en est autrement, elles peuvent être discutées par tout un chacun.
Leur déni est même considéré comme une opinion recevable, et
non comme ce qu’il est : la négation d’une réalité clinique évidente
et universelle, prouvée scientifiquement."
"De même, face à des manifestations aiguës d’une souffrance
d’origine traumatique, les traitements médicaux psychiatriques reproduisent les stratégies de survie habituelles des victimes comme
l’évitement, le contrôle et les conduites dissociantes : enfermement
en milieu hospitalier, isolement par rapport aux proches et à la
famille, contrôle de toutes les activités (qui peut aller jusqu’à
une interdiction de sortir, de téléphoner, d’entrer en contact
avec l’extérieur), traitements sédatifs anesthésiants (anxiolytiques,
antidépresseurs, neuroleptiques). Les traitements peuvent être
encore plus agressifs avec des enfermements en service fermé
sous contrainte, en chambre d’isolement, avec des électrochocs
(véritables courts-circuits pour générer une disjonction et une
anesthésie émotionnelle), des amphétamines pour les enfants (qui
génèrent un état de stress dissociant et donc anesthésiant). On
exerce parfois aussi des violences dissociantes : faradisation pendant
la guerre 14-18, bains glacés, menaces, chantages, contention... De
façon plus définitive on a pratiqué des lobotomies supprimant toute
réponse émotionnelle (interventions encore très fréquentes dans les
années cinquante, la découverte des neuroleptiques en 1952 ayant
permis d’en enrayer l’utilisation ; elles sont désormais interdites en
France, mais de nombreux pays continuent à en pratiquer)."
"Or, elle ne s’installe à
long terme qu’en l’absence de soutien, d’accompagnement et de
soins appropriés. En conséquence, ne pas former les médecins et
les psychologues à la psychotraumatologie et à la victimologie, ne
pas créer de centres de soins spécialisés accessibles, représente une
véritable perte de chance pour la santé physique et psychique des
victimes de violences."
"Elle va
se croire soudainement déprimée, n’ayant plus aucun espoir avec
comme seule perspective celle de se suicider et de disparaître, alors
que tout se passe bien pour elle et qu’elle aime la vie. Elle va se
croire coupable et avoir honte de ce qu’elle est, elle va se penser
comme n’ayant aucune valeur, moche, débile, moins que rien, un
déchet bon à mettre au rebut, alors qu’elle fait tout au mieux. Elle
va se croire monstrueuse, agressive, perverse, capable de faire du
mal, alors qu’elle ne cherche qu’à aimer. Elle va croire qu’elle désire
des actes sexuels violents et dégradants, alors qu’elle ne rêve que de
tendresse."
"Après des décennies de progrès sociaux, politiques et
scientifiques, les femmes devraient avoir obtenu une réelle
égalité depuis longtemps. Elles ont démontré qu’elles peuvent
égaler les hommes dès lors qu’elles ont accès aux mêmes études,
aux mêmes postes, aux mêmes responsabilités. Les recherches
scientifiques ont prouvé qu’elles avaient le même cerveau, la
même intelligence, les mêmes capacités, les mêmes émotions,
contrairement à toutes les fausses représentations qui construisent
les stéréotypes essentialistes : l’éternel féminin et la virilité, la
féminité ne se définissant que par le négatif du masculin, par le
manque, la faiblesse, la vulnérabilité. Malgré tous ces progrès,
toutes ces preuves, pourquoi la discrimination sexiste persiste-t-elle
avec des inégalités flagrantes ?
L’économiste Esther Duflo, lors de ses cours au Collège de
France en 2009, appelle « discrimination pure » cette discrimination qui est invariante, imperméable aux preuves, aux évolutions
sociales, « arrachée à l’histoire ». Elle oppose cette discrimination
pure à la « discrimination statistique » qui elle, repose sur la constatation d’états de faits pour en tirer des conclusions sur l’infériorité
naturelle et biologique des femmes, sans tenir compte du caractère artificiel de ces situations. Par exemple, puisqu’il y a dans l’histoire
peu de femmes qui sont de grands peintres, de grands philosophes,
de grands génies littéraires, de grands scientifiques, cela signifie pour
la discrimination statistique que ce n’est pas dans leur nature. De
même il y a très peu de femmes chef d’entreprise, présidente de
parti politique ou occupant un haut poste administratif : là aussi
ce serait la preuve qu’elles ne sont pas capables d’avoir de hautes
responsabilités.
Cette discrimination statistique est susceptible d’évoluer historiquement, voire de disparaître, les femmes ayant aujourd’hui accès
à toutes ces fonctions et faisant la preuve qu’elles sont parfaitement
capables de faire tout ce que les hommes font, qu’il suffisait de
leur ouvrir les portes du savoir, des grandes écoles, des postes de
responsabilité, de s’habituer à les voir dans ces fonctions, pour que
leurs capacités soient reconnues. La discrimination pure, quant à
elle, est un pur mensonge reposant sur la volonté de créer coûte
que coûte un ordre social hiérarchisé, profondément inégalitaire
comme dans l’Ancien Régime, c’est pourquoi elle résiste aux faits.
Son but est de permettre aux hommes de continuer à bénéficier
du privilège exorbitant de se positionner comme supérieurs avec
des droits différents : droit de se servir des femmes, de les posséder,
de les consommer, de les mépriser, de les instrumentaliser, droit
d’exercer sur elles toutes les formes de violences : violences psychologiques, physiques, sexuelles, droit de commettre des crimes :
viols, actes de tortures et de barbarie, meurtre..."
"Cette confusion entre violence et sexualité est à l’origine
d’addictions graves à la prostitution et la pornographie, avec
une industrie du sexe florissante proposant des pratiques, des
films et des images de plus en plus violents. Il en résulte une
aggravation de la traite des enfants et des femmes, du tourisme
sexuel, d’une importante criminalité sexuelle et d’une grande partie
des violences faites aux femmes, dont font partie la prostitution et la
pornographie. Cette confusion entre violence et sexualité participe
aussi au maintien de l’inégalité entre les sexes, mais elle prive une
majorité d’hommes et de femmes d’un accès à leur sexualité et à
une véritable rencontre amoureuse faite de respect, d’échanges et
de découverte de l’autre."
 
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