Livre hommage, livre hommage pour un homme qui a vécu comme il est mort: dans l'indifférence. Sauf de quelques amis. Fidèles. Tendres.
La Sociale
"Tout abandon de principes aboutit forcément à une défaite" Elisée Reclus "Le dialogue, c'est la Mort" L'injure sociale
jeudi 16 mai 2024
Rêves, révoltes et voluptés : Jean-Paul Curnier (1951 - 2017)
dimanche 12 mai 2024
Le monde diplomatique de Février 2024
Article : "L'esclavage aboli, les lynchages ont commencé aux Etats-Unis par Loic Waquant
"La mise à mort cérémonielle était programmée plusieurs jours à l'avance pour permettre une publicité dans les journaux et un affrètement de trains d'excursion spéciaux bondés de voyageurs enthousiastes; les entreprises donnaient quartier libre à leurs employés pour qu'ils puissent assister aux festivités; les écoles ajustaient leurs horaires; les Blancs parcouraient de longues distances en voiture encombraient les routes menant au lieu annoncé du supplice. Le jourdit; les milliers de spectateurs, qui représentaient un large éventail de la population blanche locale, y compris des familles avec des enfants endimanchés ravis de pique-niquer, se voyaient régalés pendant des heures par les mutilations sadiques (mêlant écorchage, découpage, arrosage au kérosène, marquage au fer rouge, arrachage des oreilles, énucléation, démembrement, étripage, castration), la combustion à petit feu et la mise à mort finale par pendaison ou fusillade du "bad niggah".
A son trépas, les badauds les plus enhardis se ruaient en une mêlée frénétique pour attrapper des souvenirs précieux tels que des morceaux du corps du sacrifié ( un doigt, un orteil, des dents, des os écrasés, une tranche de foie, ou de coeur grillé), un bout de corde, de branche, pour eux-mêmes ou pour offrir à des proches. D'autres s'empressaient de se faire photographier devant le bûcher ou la potence pour figurer sur les cartes postales produites sur place par des imprimeries portatives. Le corps dénudé, mutilé, dépecé et brûlé de la victime était ensuite hissé à un arbre ou à un poteau électrique et laissé pendu au bout d'une corde pendant des semaines, comme une publicité visuelle sanglante pour le pouvoir redoutable de la justice raciale, tandis que les journaux locaux évoquaient avec éloquence l'atmosphère carnavalesque de ces "barbecues de nègres".
Prospérités du désastre par Jean-Paul Curnier
Dernier discours de la "conférence pour les cités"
Discours N°8 : D’où l’on vient
Intégration des immigrés :
la belle affaire !
Pour s’intégrer il faut
venir de quelque part et s’intégrer à autre part non ? Qu’est-ce que ça
signifie une politique d’intégration qui ne donne ^pas les moyens à ceux qui
sont ici de réfléchir sur leur situation, de la comprendre et d’en faire une
sorte de bagage, de point d’appui, de base mentale de départ pour se diriger et
progresser dans la société où ils se trouvent ?
Qu’est-ce que ça peut être
une intégration pour des gens qui ne sont considérés comme de rien du tout,
alors qu’ils ne sont pas rien, justement, qu’ils viennent de quelque part, et
pas par hasard. Pas par hasard.
Ceux qui parlent d’intégration
oublient d’abord de parler du pays où il est question de s’intégrer. Et s’ils n’oubliaient
pas cela, s’ils devaient faire une description fidèle de la France par exemple –
je dis bien fidèle, c’est à-dire une description de ce qu’elle est vraiment, de
ce qui la compose, la fait vire et de son histoire -, il leur faudrait
commencer par parler de l’immigration non pas comme des gens qui viennent de l’étranger
et s’installent « en France », mais de gens qui viennent de pays
étrangers et qui s’installent dans un pays qui a été façonné de tout temps par
la venue d’étrangers.
Ils diraient que la France,
depuis toujours, c’est aussi les migrants qui l’ont faite : des Celte’s,
des Ligures, de Romains, des Burgondes, des Vikings, des Visigoths, des Arabes,
des Anglais, des Espagnols, des Portugais, des Italiens, des Maghrébins, des
Africains de toutes origines, des Chinois, des Indiens, des Allemands, des Polonais,
des Grecs, des Serbes, des Croates, des Autrichiens et j’en passe ; et que
si elle est ce qu’elle est aujourd’hui, c’est en raison de tout cela.
Mais cette histoire-là,
personne ne l’enseigne, nulle part, dans aucune école de France.
Quant à nous, nous ne
pouvons pas rester plus longtemps dans l’ignorance de notre propre histoire,
celle de migrants, et de l’histoire de la formation de ce pays tel qu’il est
aujourd’hui et des migrations qui l’ont formé depuis l’Antiquité. Personne ne
devrait rester ignorant de l’état des choses dans ce pays. Et cet état de choses,
c’est justement que l’immigration, depuis toujours y est une réalité.
Mais cela importe davantage
encore pour ceux qui sont nés ici et qui n’ont jamais vu le pays de leur
origine et ne savent même pas à quoi il ressemble. Du départ de leurs parents
et de leur arrivée ici, ils ne savent rien puisqu’on ne l’enseigne pas dans les
écoles. Et du peuple, du pays, du continent d’où ils viennent, ils ne savent
rien non plus et pour la même raison. Quant à leur langue d’origine, ils n’en
savant que ce que leurs parents ont bien pu leur en dire et leur apprendre.
Alors ils se font des idées là-dessus faute de savoir quoi en penser réellement.
A force de rejet, de haine, de racisme ezt de mépris rencontrés ici, à force d’être
contraints de se considérer eux-mêmes comme des rien du tout, ils finissent
même par se sentir plus proches du pays d’origine de leurs ancêtres, où leurs
parents sont nés et où ils vivent.
C’est quand même une chose
renversante que d’entendre à longueur des journée parler d’immigration d’origines
africaines, de Maghreb, d’Arabes et de pays arabes, de voir comment la question
de l’immigration est devenue le fonds de commerce de certains partis politiques
pour ne pas dire de tous et sans en savoir plus long que les autres sur ce
chapitre, vous ne trouvez pas ?
« Immigrés », « fils
de l’immigration », « première génération », « deuxième
génération », « troisième génération » : où est-ce que ça
commence et quand est-ce que ça s’arrête le fait d’être immigré ? Combien
de générations il faut pour cesser de l’être et être autre chose ? A-t-on
déjà entendu parler de Chinois, Italiens, Espagnols, Allemands, Anglais, Russes,
Hongrois de première, deuxième ou troisième génération ? Il n’y a donc que
les Africains et les Arabes pour être définitivement immigrés ?
Il faut mettre les choses au
point. Il faut savoir de quoi on pare et, là-dessus, il ne faut surtout pas
attendre que quelqu’un parle pour nous, personne ne le fera. Il nous faut
parler pour nous pour dire à tous qui nous sommes et parler clairement, sans
faux-fuyants.
Ce que nous sommes ici, c’est
ce que nous avons fait. Toutes ces cités autour de villes en France, ces HLM,
ces pavillons, ces foyers pour travailleurs, ces centres sociaux, nous y avons
laissé notre sueur et le plus souvent nous avons été payés pour ça la moitié
moins que le minimum garanti aux travailleurs français. C’est par bateaux
entiers qu’on nous a fait venir pour ça, avec ou sans papiers. Comme « travailleurs
immigrés » justement, c’était le nom qu’on nous donnait. « Immigré »
voulait dire « sans droits égaux avec les travailleurs français », « sous-payé »,
« sous-travailleur ». Toutes les tranchées pour l’eau, le gaz, l’électricité,
les égouts, tous les remblais d’autoroute, l’empierrage des routes et des rues,
tout ce qui a nécessité des bras et de la fatigue pour moitié prix, c’est nous
qui l’avons fait ici.
Ici quand on roule sur une
route, c’est sur notre travail qu’on roule, quand on habite un appartement dans
un cité ou un pavillon, c’est dans notre travail et dans notre sueur qu’on
habite. Ces centaines de millions de tonnes de béton et de mortier, coulées
depuis plus de cinquante ans, c’est nous qui les avons étalées, portées avec
des seaux, trainées d’un endroit à l’autre et bien souvent remuées avec nos
bras.
Bon, alors : les écoles
ne sont pas comme les temples qu’il faut garder fermés et intouchables en
dehors des cérémonies et des temps de cultes. Les écoles sont des équipements
publics destinés à l’instruction, quand elles ne servent pas pour les enfants,
c’est-à-dire le soir, les weekends et pendant les vacances scolaires elles
doivent pouvoir nous servir à ces choses élémentaires qu’on ne rencontre pas
ici : apprendre notre langue d’origine, l’histoire de l’immigration et de
notre arrivée ici, l’histoire de nos pays d’origine et de nos parents, notre histoire
en définitive.
D’abords il nous faudra
prendre contact avec les responsables de ces écoles pour connaitre les emplois
du temps, les moments où les locaux sont disponibles. Pas question de déranger
l’enseignement des enfants.
Ensuite, il nous faudra
trouver nos propres enseignants pour nous apprendre ce que nous ignorons et qui
nous est précieux. Nous devrons les chercher soit parmi les anciens qui nous
semblent vraiment de bonne foi, soit parmi les professeurs existants qui seront aptes et d’accord
pour le faire sans être payés, soit parmi les jeunes nés ici et ayant reçu une
instruction assez poussée sur ces choses, soit encore parmi ceux qui vient en
Afrique, au Maghreb ou dans n’importe lequel de nos pays d’origine.
Enfin, nous ferons un
programme, nous bâtirons un emploi du temps de tous ces enseignements et de ces
discussions. Un vrai programme ouvert à tous sans exception, avec des cours de
langue, des cours de géographie, des conférences sur l’architecture, l’urbanisme,
la pédagogie et l’histoire des sciences ; surtout un enseignement de l’histoire
véritable des civilisations, de la formation des pays, des nations, une
histoire claire et contradictoire si c’est possible du colonialisme, avec une
version et son contraire. Il nous faut surtout comprendre et connaitre le
colonialisme et la décolonisation, celle des grands chefs nationalistes,
indépendantistes, révolutionnaires, lire leurs écrits, connaitre leur pensée.
Il nous faut savoir tout cela pour savoir qui nous sommes, d’où nous venons, et
ce qui nous a amenés là. Il nous faudra savoir aussi dans quels livres aller
chercher tout ce qui nous concerne.
Et maintenant, je vous
laisse deviner l’effet que tout cela pourra avoir sur les enfants, sur nos
enfants qui vont à l’école dans ces écoles-là ; je vous laisse deviner l’effet
que cela leur fera le fait que nous autres nous soyons là aussi, comme eux, à
apprendre et discuter pour reprendre confiance en nous et retrouver une dignité
pour parler clairement et fièrement de qui nous sommes
Prospérités du désastre par Jean-Paul Curnier
Discours N°7 : Le luxe véritable
Qu’est-ce que le véritable
luxe ?
Certains vous diront que c’est
seulement au paradis que le luxe existe et qu’il récompense les plus croyants
et les plus fidèles serviteurs de Dieu. Mais comme pour l’instant personne n’en
est revenu pour nous le confirmer et pour nous en donner plus de détails, mieux
vaut s’en tenir à ce que nous pouvons faire par nous-mêmes et à la meilleure
façon de diriger nos efforts. Car la promesse du paradis est une chose qui ne
doit pas nous faire accepter une vie indigne et misérable sur Terre alors que
les moyens existent pour qu’il n’en soit pas ainsi, quoi qu’il se passe après.
Aussi il nous faut savoir si
le luxe, qui est pour ainsi dire une sorte d’idéal des conditions matérielles
de vie sur Terre, vaut vraiment la peine d’être recherché. Et quel luxe,
précisément ? Quel luxe ? Beaucoup d’entre vous diront sans doute que
le luxe, c’est d’avoir une très belle maison en dehors de la ville avec une
piscine, un parc autour, des pièces en grand nombre, des employés pour s’en
occuper, un portail à ouverture automatique avec une allée et un jet d’eau, les
plus belles voitures, beaucoup d’argent, etc. En bref, il s’agit de propriétés,
de choses à soi, de choses que l’on a pu se procurer grâce à l’argent.
Mais en vérité, si l’on y
regarde de plus près, ces choses sont moins le contenu de ce que l ’on
achète que le signe du fait que l’on peut acheter, qu’on a le « pouvoir »
d’acheter, qu’on peut « exercer son pouvoir d’achat » comme cela se
dit aujourd’hui. Elles sont le rêve absolu du pouvoir d’achat.
Mais qu’est-ce que le
pouvoir d’achat ?
Eh bien je vais vous le dire :
c’est l’absence de pouvoir par excellence, c’est la réduction au statut de
signataire de chèques, de re-distributeur de monnaie. C’est un leurre pour
pauvres, pour faire oublier le contenu de ce qu’ils achètent et donner de la
valeur au fait de pouvoir acheter. Et cela parce que, précisément, ils n’ont
pratiquement plus rien pour exister que leur porte-monnaie. Plus rien à faire
de leurs doigts et de leurs mains, de leur cervelle et de leur corps, plus rien,
même plus un métier qui participe à la vie collective qui permette de
construire avec les autres notre cadre de vie à tous. Et voilà tout ce monde
humain réduit à ne plus être que des récipients à nourriture armés d’un
porte-monnaie pour acheter la nourriture, d’une paire d’yeux pour lire les
étiquettes et de deux bras pour remplir le caddie. Plus que des accessoires des
supermarchés destinés à écouler leur marchandise. Le pouvoir d’achat est une
escroquerie ; c’est ce genre d’expression qui donne l’impression d’être
considéré, d’être pris pour des humains alors qu’en fait, elle rabaisse l’humains
plus bas encore qu’on ne l’aurait cru possible. Mais toujours en douceur.
Toujours en douceur.
Sous ce mot « pouvoir d’achat »
se cache la perte de tout pouvoir sur notre vie et la réduction de notre
capacité d’action à la capacité de se procurer des marchandises sur lesquelles
nous n’avons pas le moindre mot à dire ni la moindre influence. Nous vivons
tous comme dans des crèches pour enfants en bas âge ou comme dans des élevages
industriels de volaille ; la seule chose qu’on nous demande c’est d’avoir
envie de ce qu’on nous présente sous le nez et de faire signe pour qu’on nous
le vende.
Le pouvoir d’achat, c’est ce
qui reste lorsqu’on n’a plus aucun pouvoir sur rien, c’est l’illusion de
choisir et de décider là où tout est déjà décidé pour vous, y compris votre
décision d’acheter. C’est la liberté d’agir entre des boites de conserve, entre
Bonduelle et Saupiquet, voilà ce que c’est. On ne peut pas appeler ça « la
vie ». On peut appeler ça comme on voudra, mais pas « la vie ».
Pas la vie.
C’est un premier point. Mais
voilà autre chose encore, à propos du luxe et du confort. Comme vous le savez
sans doute, tout ce qui a été gagné un jour peut être perdu un autre. Et cela,
de quelque façon qu’on le gagne. On n’a jamais vu nulle part que des gens
puissent posséder longtemps, et sans s’en soucier, ce que tous les autres,
comme vous, veulent et convoitent, et sans que cela fasse des envieux et des
ennemis en grand nombre. Que peut être le luxe s’il n’est pas assorti de la tranquillité
complète, de la paix, de l’apaisement ? Rien !
Or, non seulement il faut
rester sur ses gardes en permanence lorsqu’on a des propriétés aussi coûteuses
et que l’on se signale comme étant riche, mais aussi, en même temps que l’on s’installe
dans un luxe aussi coûteux, vient alors l’angoisse de la fragilité de tout
cela, du doute sur ce qu’il faudra faire pour conserver ce train de vie, pour
rester la tête hors de l’eau. Et évidemment, pour conserver un patrimoine d’une
aussi grande valeur il ne faut pas être un naïf ou un rêveur. Il ne faut rêver
que d’un œil si vous voyez ce que je veux dire. Il faut sans cesse être sur le
qui-vive pour éviter de lâcher prise. Mais qu’est-ce que le luxe si ce n’est
pas d’être débarrassé de la peur de lâcher prise ? Si ce n’est pas de se
laisser aller ?
Et maintenant, venons-en à
ce qui est regardé comme luxueux. En quoi tout cela est-il un luxe ?
Est-ce que ce qui en donne l’envie ne tient pas plutôt au fait que c’est
inaccessible à cause du prix, de la quantité d’argent que cela coûte ?
Réfléchissons à ça : le
plus souvent ce que les gens considèrent comme le plus précieux, c’est ce qui
coûte cher et que très peu de personnes peuvent s’offrir, très peu de personnes
dont on parle beaucoup dans les magazines. Et du coup, sans y réfléchir plus, c’est
cela qu’ils veulent pour eux. C’est cela, sans y réfléchir plus.
Mais en réalité, lorsqu’un
jour ils peuvent se le procurer, comme cela arrive à des jeunes sportifs qui
gagnent subitement beaucoup d’argent ou comme cela arrive aussi à ceux qui
gagnent au loto, à la loterie, au bingo, au tac o tac, etc…, ils ne savent pas
quoi en faire et il leur semble tout à coup que plus rien ne les intéresse, que
la dépression les gagne. Ils ne savent plus quoi en faire et il leur semble
tout à coup que plus rien ne les intéresse, que la dépression les gagne. Ils ne
savent plus quoi vouloir qui les comblerait puisqu’ils ont déjà tout ou
presque. Tout ou « presque », parce que ce qui leur manque, en vérité »,
c’est de vouloir réezllement ce qu’ils veulent, ou de vouloir réellement
quelque chose, c’est d’être assuré&s que ce qu’ils veulent ce n’est pas
seulement imiter les riches et vouloir ce que les riches ont, mais vouloir
quelque chose qui les rende heureux vraiment. Et ça, ils ne le savent pas et
ils ne peuvent pas le savoir. D’abord parce qu’ils pensent que les riches ont forcément
raison puisqu’ils sont riches et qu’ils possèdent ce qu’il y a de plus cher, et
aussi parce qu’ils pensent toujours à partir du modèle des dominants qui,
justement, ne leur ressemble pas et font tout pour éviter de leur ressembler.
Ils pensent à partir du
modèle de ceux qui les méprisent parce qu’eux aussi finalement s’estiment
méprisables de ne pas être riches. Et ils méprisent aussi quelquefois leurs
frères, leurs semblables comme les riches les méprisent. Et ils ne se rendent
pas compte que ce ne sont pas eux qui méprisent leurs semblables mais le riche
qui habite dans leur tête et à qui ils voudraient ressembler qui les méprise.
Comme ils les méprisent aux aussi. Si bien que chacun est amené à se mépriser
soi-même en se mettant à la place du riche qu’ils voudront être.
Si bien ce qu’ils achètent
et qui ressemble à ce qu’achètent les riches, c’est une part du pouvoir qui les
méprise et les abaisse. Si bien que chaque fois qu’ils acquièrent et qu’ils
font leur. Et ce signe continue de les mépriser silencieusement, puisqu’il est
ce signe-là et aucun autre. Et peu importe qu’ils jettent la voiture dans un
ravin, qu’ils mettent le feu à la villa avec portail, par cette piscine qu’ils
ont tant voulu, ces signes restent ceux d’une position de mépris pour ce qu’ils
sont. Alors, que faire ?
En vérité, le véritable luxe
si l’on y réfléchit bien, c’est de ne pas avoir à craindre le lendemain. Et ce
luxe-là est un luxe que très peu de personnes connaissent, car les riches
tremblent à l’idée de perdre ce qu’ils possèdent, les moins riches tremblent à
l’idée de perdre leur travail et les pauvres, eux, tremblent à l’idée de perde
leurs allocations.
Pour cela, il faut commencer
par le début : n’avoir pas à se soucier des besoins élémentaires : se
nourrir, se vêtir, se loger ; à quoi il faut ajouter maintenant : se
déplacer. Il faut donc commencer par envisager la gratuité des biens
élémentaires car elle seule permet de n’avoir plus peur de perdre l’essentiel.
Or, vous dira-t-on, si vous rendez gratuits les transports, le logement et la
nourriture, cela implique que plus personne ne fera d’effort dans la société
pour se singulariser, pour manger mieux, se loger mieux, voyager plus loin, et
que la société va s’effondrer sur elle-même dans une sorte de fainéantise
généralisée. D’abord, pourquoi pas la fainéantise ? Un fainéant c’est
quelqu’un qui fait du néant, qui ne fait rien. Et alors ? Quand on voit ce
qui se fait et ce qui se fait de la vie sur Terre comme du monde qui nous
entoure, comme des humains que nous sommes, quand on voit ce qui se fait au nom
de la production et du travail et qui doit être jeté aux poubelles quand ça n’empoissonne
pas les rivières, les mers et le reste ; il y a de quoi préférer faire rien,
cela ferait des dégâts en moins.
Mais il y a une chose que ce
système a su installer dans les têtes en même temps que le pouvoir d’achat, ce
hochet pour faux adultes, c’est le goût pas moins, enfantin du jeu.
Il n’y a qu’une seule chose
par exemple qui explique le fait que les gens ne s’insurgent pas contre les
tarifs préférentiels de la SNCF selon que vous partez tel jour ou tel autre,
que c’est plus ou moins demandé, alors que personne n’accepterait de payer le
double du prix au restaurant les soirs d’affluence. Il n’y a qu’une chose qui
explique que devant ce genre de racket ils ne saccagent pas les gares et ne
démolissent pas les automates, c’est cette propension extraordinaire qui est la
leur de vouloir se montrer plus malin et débrouillard que les autres dès que l’occasion
leur en est donnée. Si bien que, lorsqu’on leur présente les choses comme un
jeu – même si c’est un enterrement tous frais payés qu’il y a gagner – ils jouent
à être le plus malin qui obtient le meilleur avantage et ne se rebellent
surtout pas contre les règles. Cela, parce que les règles leur donnent l’occasion
de briller à leurs propres yeux. Et ils cherchent toujours à briller. C’est la
même chose qui explique que certains préfèrent se jeter par la fenêtre à cause
de la vie invivable que leur fait vivre leur patron plutôt que de le jeter,
lui, par la fenêtre.
Alors que faire ?
Ce qu’il faudrait commencer
à faire, c’est se décider à jouer à autre chose qu’à se soumettre à un patron
pour lui ressembler un jour, et tout ça pour un travail imbécile qui ne permet
que d’imiter pauvrement le pauvre univers étriqué, mesquin et stérile des
riches qui ne connaissent ni repos ni tranquillité ni apaisement. Cette bande
de fripouilles qui, d’où qu’ils viennent et quoi qu’ils fassent, finissent tous
par se rassembler, par s’habiller, parler et vivre de la même façon en n’ayant
rien à se dire, aucune autre ambition dans la vie que de continuer à faire ce
qu’ils font et n’ont pas d’autre horizon dans leur cerveau que la bagnole ou le
bateau ou le bateau qu’ils achèteront demain.
Nous avons sous la main la
possibilité de faire de la vie un autre jeu, bien plus beau, plus exaltant et
plus intéressant que celui qui consiste à toujours imiter les maitres, les
patrons, les chefs et tous ceux qui règnent par la police, la menace, la peur
et le bâton, un jeu où tous peuvent participer, où ceux qui perdent avec brio,
audace et élégance sont portés en triomphe et servent de modèles aux enfants.
jeudi 9 mai 2024
Prospérité du désastre par Jean-Paul Curnier
Discours N°6 : Nous devons manger correctement
Manger aussi est une
question qu’il nous faut aborder le plus clairement possible : en
regardant les choses du point de vue de l’avenir, de notre propre avenir.
S’il nous faut aborder cette
question, c’est parce que notre situation à tous n’est pas du tout la même que
celle de ceux qui nous ont précédés dans cette place de relégués de la société.
Et cela peut quelque fois nous amener à nous tromper nous-mêmes sur notre
propre situation.
La situation des gens
pauvres et des gens aux revenus modestes s’est modifiée de telle sorte aujourd’hui
que si beaucoup de choses d’un côté semblent s’être spectaculairement
améliorées, on peut déjà voir que, de sous bien d’autres côtés, elles sont tout
aussi désastreuses qu’auparavant. Sinon plus.
Il n’y a pas si longtemps
encore, les pauvres étaient ceux qui, avant tout, n’avaient pas assez à manger.
Ils manquaient de protéines, de lait, de sucre et des choses essentielles pour
vivre. Aussi, leur première revendication était du pain, de la nourriture,
parce que la faim est une chose insupportable au quotidien et que l’impossibilité
de nourrir ses enfants est intolérable aussi. Mais cela pouvait aussi être
révoltant aux yeux de tous. D’abord parce qu’avoir faim était considéré depuis
toujours comme la plus grande injustice qui soit et que, d’autre part, chacun
se doute plus ou moins de ce que peut être la faim.
Mais pour nous, aujourd’hui,
la pauvreté ce n’est pas la faim à proprement parler, le manque de ceci ou cela , ce n’est pas la faim car nous
trouvons au supermarché la baguette de pain à 80 centimes d’euro, des haricots
en conserve à 2 euros les 800 grammes et du poulet de la communauté européenne
à 4.5 euros le kilo.
De plus, il existe un
certain nombre d’aides possibles pour ceux qui n’ont pas de travail, comme les
allocations familiales, les allocations de chômage ou le revenu de solidarité
qui permettent d’aller au moins deux fois par mois au supermarché pour y
acheter à manger.
Est-ce que cela veut dire
pour autant que tout va bien et nous vivons dans le confort ?
Certainement pas !
Aujourd’hui, on peut
effectivement acheter de quoi manger pour pas cher. Mais dans ce monde, là comme
ailleurs, ce qui n’est pas cher ne vaut rien. Pire : la plupart du temps
on le paye deux fois, d’abord avec son argent et ensuite avec sa santé parce
que c’est empoisonné.
En réalité, les choses
portent le même nom depuis longtemps : « poulet », « haricots »,
« bœuf », « veau », mais ce qu’il y a derrière leur nom n’a
plus grand-chose à voir avec ce que c’était au temps où on leur a donné ce nom.
Et cela, parce que leur existence et leur « production », comme on
dit, on « produit » du blé, des fruits ou des légumes, on ne les « cultive »
plus. On « produit » de la viande de ceci, de cela, on n’élève plus
des poulets, des pintades, des veaux, des bœufs ou des moutons.
Si chaque poulet élevé a
besoin d’un espace de 100 m² par jour pour se développer et vire, pour cent
mille poulets, il faudrait 10 millions de m², soit 10 km² : vous voyez la
différence : la surface d’une ville. Ce ne ferait pas les mêmes poulets, c’est
évident.
Et là-dessus, si vous
comptez les travaux d’aménagement, les bâtiments, la nourriture, la main-d’œuvre
pour élever cent mille poulets, comme ça vous arriverez à un prix de revient de
30 euro le kilo de poulet, et étant donné les revenus de la majorité des gens
vous ne trouverez pas cent mille personnes tous les jours pour acheter le
poulet à 30 euros le kilo. Alors que si vous les entassez sur 5000m², que tout
y est automatisé et que la nourriture est artificielle pour compenser le fait
qu’ils ne bougent pas et ne voient pas la lumière, vous pouvez en vendre cent
mille à 3 euros. C’est simple, ca fait cent mille bestiaux qui n’ont jamais mis
les pattes sur le sol ni vu un grain de mais de leur courte vie.
Mais il faut bien entendu qu’avec
leurs pattes tordues et molles, leur manque de plumes et de chair glauque, ils fassent
envie.
C’est comme ça depuis
toujours, la nourriture c’est le meilleur appât qui existe pour attraper les
poissons, les oiseaux, les rats, les félins et tous les animaux en général. Et
le poulet que l’on achète n’est pas un poulet, c’est un appât. C’est un leurre
pour attraper les gens qui pensent qu’ils vont pouvoir manger un poulet pour
pas cher. Et qu’importe donc comment a été fabriqué ce poulet, son rôle de
poulet s’arrête au moment où vous l’achetez, son rôle c’est de ressembler à un
poulet et d’en avoir l’odeur, la forme, presque le goût.
Après l’avoir acheté,
normalement il faudrait le jeter. En réalité, il faudrait même ne l’acheter que
pour le plaisir de l’acheter ou de le jeter, de le mettre dans le frigo ou de
le mettre à cuire, mais juste pour ce genre de raisons parce que si on s’avise
de le manger par la suite, c’est là que les ennuis commencent.
La nourriture qui est vendue
dans les supermarchés nous détruit à petit feu. C’est elle qui nous cuisine.
C’est la même chose avec la
pêche à la ligne. Les poissons sont devenus méfiants et, de plus, ils sont
devenus malins ; ils reniflent les appâts sans les goûter ou ils les
détachent sans se faire prendre, alors on a inventé pour les mystifier des
appâts qui sont plus appétissants que nature, avec des exhausteurs de goût, des
parfums de toutes sortes qu’on ajoute pour les rendre plus attirants que les
mouches, les sauterelles ou les vers ordinaires.
Eh bien, avec nous c’est la
même chose : depuis que les gens ne meurent pas suffisamment de faim pour
manger les nourritures industrielles telles qu’elles sont en vérité, pour les
faire acheter on y ajoute des produits pour renforcer le goût, on y ajoute des
saveurs, des parfums, de la couleur.
Et c’est tout ça qui nous
détruit la santé. Tout ça : toute la fausse graisse qui donne au poulet un
aspect dodu et appétissant alors qu’il n’y a que de l’eau et du mauvais gras
dedans, avec les produits pour les couleurs et les goûts, et que même les os ne
sont pas des os mais des sortes d’éponges à peine solidifiées. Et c’est la même
chose avec tout le reste, avec tout ce qu’on mange.
Bon, tout cela pour dire deux
choses : la première c’est que nous devons refuser cette nourriture pour
ne plus risquer de devenir difformes, enflés, fragiles du cœur et des artères à
cause d’une nourriture pas chère mais qui nous ruine la santé ; la seconde
c’est que si les gens plus riches recherchent des produits biologiques, ce n’est
pas seulement pour se distinguer, même s’ils en parlent sans arrêt pour faire
les malins. C’est qu’en fait ils ont compris, eux aussi, que c’est leur santé
qui est en jeu et ils ,e cherchent pas à rigoler avec ça parce qu’ils veulent
se protéger et se perpétuer, pas se suicider. Donc, ce n’est pas parce qu’ils
sont odieux qu’il faut faire le contraire de ce qu’ils sont odieux qu’il faut
faire le contraire de ce qu’ils font. Nous aussi nous devons réclamer l’accès à
une nourriture saine. Mais pourquoi bio ? Là, je l’accorde, cette histoire
de bio est un label pour distinguer les petits-bourgeois qui veulent se montrer
plus « conscients » plus « malins », c’est leur obsession.
Et ils se font attraper avec ça comme les poissons, dont on parlait tout à l’heure.
La question, c’est pas bio ou pas bio, c’est d’arriver à refuser ce qui n’est
pas naturel, pas correctement cultivé ou élevé pour que ça disparaisse de l’alimentation.
Un point c’est tout.
Bien sûr si l’on devait
manger comme les riches tout serait beaucoup trop cher et, étant donné nos
moyens, nous ne mangerions plus à notre faim. C’est une évidence. Mais l’autre
évidence c’est que nous allons mourir et dégénérer physiquement à petit feu si
nous continuons à manger ce qui est à notre portée.
Et il nous faut trancher
cette question. Non pas en choisissant une misère contre une autre, mais d’abord
en regardant les choses en face : nous sommes pauvres, parce qu’être
pauvre c’est ne pas avoir suffisamment à manger et comme ce qui est à notre
portée empoisonne et qu’il faut le refuser, c’est exactement comme si nous n’avions
pas suffisamment à manger. C’est un choix hypocrite qui nous est donné :
se faire empoisonner lentement ou n’avoir pas assez à manger.
C’est un point important car
la fausse nourriture qui nous est vendue ne devrait pas exister ; elle ne
sert qu’à faire croire que nous avons de quoi vivre comme il faut et que ce
système est un progrès humain. Et par-dessus le marché elle sert à nous
extorquer notre argent. C’est sans doute la première fois dans l’histoire que l’on
voit des gens donner tout l’argent qu’ils ont pour se faire empoisonner en
masse.
Mais à cela, je voudrais
ajouter un point : cette fausse nourriture est vendue et non donnée car si
elle était donnée personne n’en voudrait, ou presque. Cela signifie que le fait
de l’acheter sert à se faire que ce qu’on achète a de la valeur, que ce n’est
pas rien, pas un leurre, une pacotille.
Voilà ce que je propose :
Il faut que nous nous
réunissions. Il le faut pour parler de tout ça, mais surtout pour agir. Il nous
faut nous réunir au moins une fois par mois et faire la liste entre nouqs de ce
que chacun a entendu dire par son médecin et qui concerne les dégâts de la
nourriture sur notre santé, les produits à éviter avec tous les détails que
nous aurons pu réunir sur le danger qu’ils représentent et les afficher à la
porte des hôpitaux, des écoles, des
centres de santé et, par-dessus tout, à la porte des supermarchés. Et s’ils les
enlèvent, il faudra les remettre jusqu’à ce qu’ils se fatiguent.
Deuxièmement nous pourrions
commencer à nous nourrir par nous-mêmes aussi, collectivement. On pourrait
demander à utiliser certains terrains laissés à l’abandon dans les cités, ou se
cotiser et s’associer pour acheter des terrains agricoles que nous pourrions
cultiver et où nous pourrions élever des poules pour les œufs et la viande. Il
y a suffisamment de femmes, de jeunes et d’hommes sans emploi pour s’en occuper
à tour de rôle sans que cela prenne beaucoup de temps à chacun, et là ce que
nous ferions nous appartiendrait à tous.
Je le répète cette question
de santé est fondamentale. Elle l’est aussi du point de vue de nos motivations
et de notre engagement à changer le cours des choses. Comment nous
présenterons-nous non seulement devant nos proches, nos voisins, nos
concitoyens, mais aussi devant tous ceux qui vont nous voir et s’interroger sur
qui nous sommes, ce que nous voulons, etc ? Nous devons penser à l’allure
que nous présentons au monde et, par-dessus tout, donner à nos enfants le goût
de la vie qui vient et non pas celle d’un présent misérable continue et sans
espoir. Pensez-vous qu’il soit avantageux pour nous que nous nous présentions
avec des corps bouffis, sans énergie, avec des difficultés pour respirer, pour
reprendre notre souffle, avec des chutes et des hausses de tension qui nous rendent
incapables de quoi que ce soit, avec des claudications et des démarches d’infirmes ?
Pensez-vous que nous
pourrons manifester dans les rues comment ça et donner de nous une image
prometteuse de l’avenir, quelque allure enviable pour les autres ?
Non ?
Alors en avant !
Prospérité du désastre par Jean-Paul Curnier
Discours N°5 : Désobéir à la bienfaisance
Croyez-vous que l’on
parviendra un jour à une situation plus juste, plus digne et plus humaine sans
renoncer à certains avantages d’aujourd’hui ? Certainement pas ! Et c’est
le sens de ce que je vais vous dire : en dépit des apparences, il y a
parfois tout à gagner à renoncer à ce que nous considérons, sans trop y
réfléchir, comme des avantages.
Si je vous disais par
exemple qu’il faut le plus vite possible renoncer aux services et aux avantages
sociaux, vous penseriez tous que ‘est une folie, qu’il n’en est surtout pas
question et que, bien au contraire, s’il faut faire quelque chose, c’est se
mobiliser pour qu’ils soient augmentés.
Du point de vue immédiat, c’est-à-dire
du point de vue des moyens nécessaires pour vivre sans avoir à compter sans
arrêt, pour élever les enfants, et pour ne serait-ce que se nourrir, ou s’habiller
et ne pas vivre comme des bêtes, c’est absolument vrai : ce qui est
distribué est totalement insuffisant. Et je vais dire plus : de ce point
de vue, il faudrait même pouvoir toucher le double des aides accordées !
Mais ces avantages sont-ils
avantages ? Les choses ont bien souvent une double nature et, bien souvent
aussi, ce que nous voyons comme des avantages sont en réalité la face agréable
et aguicheuse de liens qui nous enchainent, nous déshumanisent et nous
enferment dans notre condition.
D’un côté, bien sûr, il faut
augmenter les revenus de tous, mais de l’autre il faut prendre garde à ce que
les demandes d’aide ne nous enfoncent pas plus encore dans la mendicité et l’indignité.
En fait, pour mieux saisir
certaines choses, le mieux est de faire appel à ce que nous savons déjà ou plus
simplement encore à l’expérience. Je vais donc parler des cadeaux et des
échanges de cadeaux.
Tout le monde sait ce que c’est
que recevoir un cadeau de quelqu’un. Mais cela peut venir de trois genres
différents de personnes : d’un proche qu’on aime par exemple, de quelqu’un
qu’on ne connait pas mais qui se présenter à vous ou de quelqu’un qu’on connait
avec qui on n’a pas de lien particulier et qui vous fait cadeau de quelque
chose parce qu’il s’y sent obligé pour une raison ou pour une autre.
Dans les trois cas on s’aperçoit
que lorsqu’on reçoit un cadeau, ce qui vient à l’esprit, c’est l’envie de le
rendre, soit par affection pour faire
plaisir à son tour, soit pour rendre la politesse, soit, comme le troisième
cas, pour ne pas être redevable de quoi que ce soit auprès de quelqu’un qu’on
ne connait pas bien et qui ne fait pas cela par affection.
Et en effet, tout le monde a
dû ressentir un jour cette sensation d’humiliation lorsqu’on ne peut pas rendre
au moins à égalité le plaisir qu’on vous
fait ou, et là ce n’est plus du plaisir qu’on vous a adressé à travers
un cadeau important. Au siècle dernier, des savants ont étudié cette chose-là
et il en ressort que dans la plupart des civilisations, depuis les origines, le
fait de faire un cadeau est une sorte de défi que l’on porte à celui ou celle à
qui on le fait, car chacun sait très bien qu’il suppose en retour un cadeau d’une
valeur au moins égale sinon supérieure.
Aussi, lorsque quelqu’un
vous offre un cadeau d’une valeur telle que vous ne pouvez pas rendre la
pareille – et cela du fait que vous n’en avez pas les moyens -, ce n’est plus
vous faire plaisir mais bien au contraire pour vous abaisser et vous faire
sentir votre infériorité par rapport à lui. C’est pour vous signifier que vous
lui êtes inférieur, que vous êtes en dette vis-à-vis de lui, que vous ne
pourrez jamais vous affranchir de votre dette et que vous lui serez toujours
redevable.
C’est bien pourquoi il
arrive que certaines choses qui vous sont données doivent être refusées aussitôt
ou détruites pour ne pas à avoir à subir cette humiliation. C’est pourquoi
aussi, comme dans la mafia par exemple, tout commence par une dette que l’on a
vis-à-vis de quelqu’un et dont on ne peut plus jamais se défaire sans obéir ou
faire ce que l’on vous demande de faire.
Car, et chacun a vécu d’une
manière ou d’une autre dans sa vie, une dette dont on ne peut se libérer, cela
correspond à un pouvoir illimité de l’autre pour vous. Le pire c’est lorsque
vous n’avez pas demandé grand-chose et qu’on vous le fait payer éternellement,
comme si la dette était infinie, et cela parce que la contrepartie n’avait pas
été établie au départ.
Lorsque vous avez sans
pouvoir donner, c’est votre dignité que vous avez vendue en définitive. Et
lorsqu’on vous donne sans vous demander quoi que ce soit en retour, c’est que c’est
autre chose qu’on vous prend, votre droit à la parole par exemple.
Eh bien cela nous ramène au
sujet de départ, car recevoir sans que vous soit demandée une forme de
réciprocité et sans qu’elle soit possible, c’est-à-dire sans pouvoir s’affranchir
de ce don par une contrepartie, c’est ce qui se passe avec les allocations de
chômage, les allocations familiales, les aides au logement et toutes les aides
en général dans cette société, dans le sens où nous en bénéficions sans avoir
jamais eu l’occasion de cotiser et cela tout simplement parce que, pour
cotiser, il aurait fallu d’abord avoir eu un travail, justement.
Notre situation à tous est
totalement bancale dans cette histoire. Parce que tout le système social, et
même la base de la vie sociale dans l’ensemble des civilisations de notre
planète sont basés sur l’échange. Dans ce cas, je dispose des moyens que j’ai
acquis par moi-même pour vire, me nourrir, me loger, m’habiller, et je suis
conscient de ce que je produis ou de ce que je fais qui doit être assez utile
pour que je puisse l’échanger contre de l’argent ou contre ce dont j’ai besoin
et qui me fait défaut.
C’est vrai aussi pour le salariat :
le salaire c’est la somme d’argent que l’on reçoit en échange du travail fait. Certes,
cet échange n’est pas juste. Pour les plus pauvres, les moins favorisés au
départ qui travaillent à des tâches sans intérêt, pénibles et en y laissant
leur santé, le salaire est souvent plus que maigre en dépit de ce qu’ils
apportent pourtant à la société. Mais pour le moment voyons les choses sous un
autre angle : lorsqu’un ouvrier dit qu’il est volé par son patron, il ne
perd pas pour autant sa fierté. Parce qu’il sait, lui, qu’il a fait le travail
et que c’est son patron qui n’a pas d’honneur. Surtout, il sait qu’il n’est pas
en dette parce que c’est son patron qui lui doit quelque chose.
Mais c’est totalement
différent lorsqu’il s’agit de l’argent du chômage ou du RSA, des allocations
familiales ou de l’aide au logement. Parce que ça ne correspond à aucun échange
réel et clair. Il n’y a pas d’équilibre, pas de réciprocité possible, cela
ressemble au cadeau que l’on ne peut pas rendre. C’est une infériorisation de
tous, une humiliation qui fait renoncer au droit à s’occuper des choses
publiques.
Il est clair qu’on ne peut
guère envisager de vivre plus longtemps en dette alors qu’on ne l’a pas voulu
et, à fortiori, dans cette situation d’humiliation et d’infériorité
permanentes. Surtout, on ne pourra envisager de faire quelque chose pour
assurer notre bien-être et notre dignité que collectivement. Et on ne
parviendra à faire quelque chose de collectif et de réellement uni que si on en
finit avec ce qui émietté le peuple en autant de mendiants dont l’activité
consiste à remplir des dossiers pour faire état de son cas personnel, à voir
des assistantes pour que soit étudié de chacun le cas personnel et à réclamer
des aides personnalisées. Il faut tout repenser dans une dynamique commune.
Il reste donc une seule et
unique solution pour en finir avec cette relation de demande permanente, de
mendicité et d’humiliations individualisées. Cela consiste d’une part à rendre
gratuits les transports, le logement, les fournitures scolaires, les frais d’activités
de plein air, l’habillement et la cantine dans la société une somme mensuelle
correspondant à ce qu’était un salaire de base du temps où il y avait du
travail et permettant de vivre dignement. C’est la seule et unique façon d’en
finir avec la férocité déguisée des allocations et autres aides sociales, tout
en prenant en compte la réalité de demain qui, de toute façon, ignorera le
travail comme on le concevait jusque-là, et donc aussi la notion même d’allocation
d’aide à ceci ou à cela. »
mardi 7 mai 2024
Prospérités du désastre Par Jean-Paul Curnier
Discours N°4 : Nous portons des solutions qui changeront les manières de penser.
Les solutions, les formes
d’organisation de la vie que nous portons changeront non seulement notre vie
mais aussi nos façons de penser. C’est un point essentiel. Il faut donc cesser
d’avoir peur : ce qu’il y a à perdre est en réalité destiné à être perdu
et ce qu’il y a à gagner c’est sortir de la poubelle sociale et humaine où nous
nous trouvons, c’est une vie qui mérite le nom de vie. Et ce n’est pas
comparable ; aussi il n’y a pas de peur à avoir de perdre ce que nous
avons car si nous y regardons de près nous ne possédons pas grand-chose qui
vaille la peine d’être préservé.
Les projets qui sont les
nôtres, dès leur mise en œuvre, changeront les façons de penser ; cela
veut dire que c’est sur nous qui n’avons pas grand-chose à perdre que repose la
responsabilité de changer les choses, y compris dans l’intérêt de ceux qui nous
critiquent ou qui nous rejettent. C’est une situation que nous ne devons pas
sous-évaluer car, de notre avancée, de l’intérêt de ce que nous mettrons en
place, de la justesse de nos analyses et de notre combativité dépendent le
ralliement de ceux qui pensent pour l’instant que la défense de leurs intérêts
doit se faire contre nous et de ceux qui nous soutiennent par bien-pensance ou
bienfaisance mais n’ont pas encore compris que leur avenir – celui dont ils
doutent profondément en fait – dépend en réalité de la façon dont nous allons
construire le nôtre.
Ceux qui ont perdu tout espoir, ceux qui sont
découragés à l’avance, ceux qui ne voient pas la nécessité de tout changer et
tous ceux qui sont malintentionnés à notre égard se rejoignent finalement pour
nous dire : si vous n’avez pas une idée bien précise à l’avance de ce que
vous comptez faire, si vous n’avez pas une liste précise des moyens et des
appuis nécessaires, si vous n’avez pas évalué correctement les obstacles que
vous allez rencontrer, si vous ne savez pas dès maintenant comment vous allez
vous y prendre pour tout chambouler et pour convaincre ceux que vous voulez
convaincre et si vous n’avez pas un programme de remplacement bien clair, il
faut renoncer tout de suite parce que vous ne savez pas où vous mettez les
pieds et vous entrainerez ceux qui nous suivent à la catastrophe !
Eh bien d’abord tout cela
fait penser à l’histoire de cet homme qui veut annoncer à son ami une grande
nouvelle.
Un jour, un homme appelle
son ami et lui dit de venir tout de suite chez lui car il a quelque chose de
très, très important à lui dire. L’ami en question arrive et il lui dit
ceci : - « c’est décidé, j’en rêvais depuis toujours : demain je
pars à la chasse au lion en Afrique, c’est extraordinaire, je ne tiens plus sur
place, demain matin je prends le bateau…
Et l’ami – « Mais tu
n’est jamais allé en Afrique ! C’est immense l’Afrique et on n’y vit pas
comme ici, tu n’y es jamais allé et tu n’as jamais chassé des bêtes aussi
grosses…
Lui : « Non, mais
au contraire, c’est ça qui est exaltant et j’apprendrai tout cela sur place,
j’aurai tout mon temps, je me ferai expliquer.
L’ami : - Ha, parce que
tu crois qu’on va t’expliquer ça ?
Lui : - Oui, il suffit
de rencontrer les bonnes personnes de s’entendre avec, de parler aux gens.
L’ami : -Et tu as un
fusil au moins pour chasser le lio ?
Lui : - Bien sûr que
j’ai un fusil ; un vrai fusil pour la chasse au lion, un fusil à cinq
coup, breveté et tout, je l’ai acheté exprès…
L’ami : - Mais tu ne
connais pas les zones de chasse, tu ne vas quand même pas aller chasser le lion
tout seul !
Lui : - Non, bien sûr,
je prendrai les guides et une escorte…
L’ami : - Et tu feras
confiance à tous ces gens ? Ils risquent de se moquer de toi quand ils
verront que tu n’y connais rien, de te raconter n’importe quoi, de t’emmener
qui sait où…
Lui : - Pourquoi je ne
leur ferais pas confiance ?
L’ami : - Et puis tu
sais un lion, c’est féroce, c’est très fort et c’est très, très dangereux ;
si tu le rates, il va se venger, se jeter sur toi, lui, il ne te ratera pas, il
va te tuer, et tu risques de le rater parce que tu n’as jamais chassé le lion
et comme je te le disais…
Lui : - Mais, en fin de
compte, de qui tu es l’ami, toi : de moi ou le lion ?
Voilà évidemment, si vous
voulez convaincre des gens qui ont d’abord l’intention de ne pas se laisser
convaincre c’est raté à l’avance et vous perdez votre temps. En réalité, il
faut voir les choses tout autrement, il faut les voir du point de vue de l’action
et non du point de vue du spectateur.
Cela arrive assez souvent
dans la vie, même si personne change le cours des choses, même un peu, quand on
introduit une cassure dans les conditions de vie des gens, ce n’est pas
seulement un ensemble de choses qui change mais l’ensemble des manières de
penser. Lors des grandes grèves des transports en France par exemple, les gens
au début sont grincheux, amers, en colère et, chaque fois, tout cela change
subitement du tout au tout. Très vite, ils trouvent des solutions pour bouger,
pour se ravitailler, ils échangent des idées, les hiérarchises ne sont plus
complètement respectées, les habitudes sont inutiles, il faut inventer et les
gens y prennent goût. Ce n’est pas à la grève des transports qu’ils prennent
goûts – en fait ils ne s’y intéressent pas du tout - , c’est à la vie qu’ils
mènent pendant ce temps-là , c’est à toutes ces idées nouvelles qui leur
passent par la tête, à tout ce qui leur arrive, à ces rires dans la pagaille,
ces discussions sur tout et n’importe quoi. Ils se surprennent à avoir de l’audace,
à penser autrement, voilà ce qui compte. Un chambardement social, c’est du même
genre : les gens ne pensent plus comme avant, et là, justement ils peuvent
envisager le futur, les solutions, en discuter, parce qu’ils ne voient plus les
choses avec les craintes d’avant ni même avec leur cerveau d’avant.
C’est bien pourquoi il est
inutile de se concentrer sur ce qu’il faudra faire et tout décider à l’avance,
parce que ce qu’il faudra faire, il faudra d’abord que cela se discute et se
décide entre les gens qui vont le faire. Et cela ne pourra se discuter et se
décider entre les gens que si les têtes y sont disposées, que si les esprits s’ouvrent
et pour ça il faut d’abord un changement soudain et radical dans le cours des
choses.
Il faut cesser d’avoir peur
de ce que nous ferons, de comment cela sera reçu ou pas et de comment les
autres réagiront. Car ce que nous ferons, c’est d’abord mettre en place bout
par bout un mode de vie, d’habitat, de circulation et d’éducation qui soit basé
sur le respect et le partage, et c’est cette nouveauté qui créera à sont tour
les conditions pour changer les façons de voir, de penser, de critiquer et de
discuter. Parce que quelque chose de neuf sera arrivé.
Notre rôle à cette heure, c’est
d’agir pour que les repères ne soient plus les mêmes et de cesser d’attendre
que l’on pense et agisse à notre place. C’est d’agir pour que ni la police, ni
les politiciens, ni les gens qui se méfient de nous, ni ceux qui nous tiennent
en réserve comme une sous-catégorie de l’espèce humaine, ni ceux qui nous
soutiennent à condition que nous restions à notre place dans les cages d’escalier,
ni ceux qui voudraient qu’on fasse de nos cours d’immeubles de gigantesques
cours de prisons, et de nos cités des camps de rétention généralisés, pour que
ceux-là ne retrouvent plus leur compte dans leurs schémas habituels de pensée.
Et qu’ils commencent à regarder le monde autrement.