Le Larousse s'étend assez longuement sur ce mot : Manière individuelle, qui consiste à agir à sa fantaisie : « Chacun vit à sa mode », dit-il. Ne retenons que cette phrase pour nous entendre sur le mot : Mode. Il y a, dit-on, un certain ridicule à fuir la mode et il y en a autant à l'affecter. Pour être au-dessus de tout cela, disons de suite que la mode est peu dans nos soucis. L'homme qui pense laisse à d'autres le soin de suivre la mode. Raisonnablement, nous estimons chacun libre de vivre comme il lui plaît et nous pratiquons la plus large tolérance sur ce point. S'il est pour certains hommes un besoin de se faire remarquer par toutes sortes de manières étranges de penser, de parler, d'agir... libre à lui. L'essentiel est qu'il ne m'oblige pas à subir ce qui me choque et qu'il me soit toujours possible de l'éviter. Que d'autres aiment à porter lorgnon, lunettes, monocle, sans en avoir besoin, cela ne me gêne pas plus que ne me gênent ceux qui portent cravates gigantesques, chapeaux à larges bords, bottes et culottes bouffantes. Tout cela n'a guère d'importance. Selon l'humeur où l'on se trouve, on s'en amuse plus qu'on ne s'en émeut. Soyons pitoyables à tous, même à ceux que nous jugeons excentriques et qui, peut-être, nous jugent de même. Pourvu que ce soit avec la même tolérance, c'est ce qu'il faut souhaiter. Je passe outre aux modes féminines. Il y aurait trop à dire et vraisemblablement, serions-nous mal placés pour en parler comme il faudrait. Incontestablement, la femme est esclave de la mode, même dans la classe ouvrière. Que de femmes sont loin de prendre de la mode ce qu'elle a de bon quand elle en a. Mais les hommes ont-ils regardé la poutre de leur oeil sur la mode ? Par exemple : le peu d'empressement qu'ils ont à se débarrasser de ce qui les incommode, parce que la mode est de le porter ? Je n'insiste pas. Aussi bien, il n'y a pas que les manières de vivre, de se comporter, de s'habiller, de se conduire qui changent de mode. Il n'y a pas que les moeurs et les habitudes, il y a aussi les idées.
Certes, je ne prétends pas qu'il y a forfaiture à changer d'idées. Il
est certain que bien des hommes d'un certain âge n'ont pas les idées qu'ils
avaient à vingt ans. Qu'ils aient tort ou raison, c'est un fait. Mais où cela
me paraît blâmable, c'est quand il est avéré que ces hommes se vantent d'avoir
varié, sans donner d'autre motif que celui-ci : « La mode change ! À vingt ans,
j'avais les idées à la mode. Quel est le jeune homme généreux qui n'a pas été
anarchiste à vingt ans ? » Pour oser de telles déclarations, il faut ne pas
avoir crainte d'étaler son peu de conviction. Ils peuvent appeler cela de la
franchise. Ils n'empêcheront pas qu'on puisse penser que c'est du cynisme, tout
simplement et qu'il est bien permis de croire que ces hommes si variables ne
furent et ne sont nullement sincères. D'ailleurs, on les remarque surtout dans
le journalisme et dans la politique, mais assez rarement dans le monde ouvrier;
c'est du moins mon avis. Eh quoi ! est-ce par mode que tant de camarades assez connus
n'ont jamais abandonné leurs idées et s'y sont conformés toute leur vie – courte
ou longue – quelles qu'en fussent les désillusions et les déboires, n'aimant à se
souvenir que des beaux jours d'enthousiasme et de foi en leur radieux idéal.
Ils vieillissent aussi ces hommes, mais leur idéal qui ne vieillit pas leur
laisse jusqu'à la mort un coeur toujours jeune. Or, cela est une richesse inappréciable,
ignorée des hommes qui ont cru posséder des idées mais qui s'en étaient
simplement affublés parce que c'était la mode. Est-ce aussi parce que c'est la
mode que, du jour au lendemain, quelques-uns changent d'idées et vont d'un
extrême à l'autre ? Que dire de ces hommes, hier libertaires et aujourd'hui
aspirants, disent-ils, à une dictature quelconque ? Est-ce aussi la mode qui
produit de telles conversions ? En ce cas, plaignons ces pauvres esclaves de la
mode, et n'en parlons plus. Il y a une mode qui ne passera pas, hélas ! c'est
celle de n'avoir d'idées
qu'autant qu'elles flattent la vanité ou concordent avec les intérêts de
ceux qui en changent si facilement !
– G. YVETOT.
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