"C'est ce que tu te dis, qui te dis aussi: la solitude, que tu cherchais, te commande de penser à toi à la deuxième personne, autant qu'à la première- dès lors que tu as congédié quiconque".
"Tu n'as rien vécu pourtant qui put te plaire, encore moins qui te plût depuis, à ceci près cependant que tu y as tout de même pris un plaisir pénible".
"Le plus sournois et le plus lâche des plaisirs, celui, à la vérité, qu'on ne peut pas ne pas éprouver dans tout dès lors que c'est tout ce qui arrive qui tient du don, quoi qu'il arrive -que ce qui arrive émerveille ou effraie, tienne de la bénédiction ou de la malédiction. En réalité, et c'est bien ce qu'il te faut admettre et penser, rien ne t'es arrivé qui n'augmentât pas la joie que ce fût à toi que cela arrivait. Qu'il y eut quelqu'un à qui cela devait arriver, et que ce fût toi. Tu ne doutes plus enfin que tu ne peux pas continuer de choisir ainsi - il te faut en faire un préalable. Tu ne doutes plus que ta vie doit ressembler à tout ce qu'elle a été et à tout ce que tu en as fait, et qu'il ne faut pas moins que tout ce qu'elle a été et tout ce que tu en as fait pour que ce soit une vie, et que cette vie soit la tienne. Tout sera alors "uni", c'est ce dont il faut que tu conviennes, que tu t'es entêté à séparer, entre quoi tu t'es entêté à choisir. Tu n'en conviens pas d'une façon qui te déconcerte encore, tu en conviens -c'est nouveau- comme si la puissance qui t'a tantôt appelé à sombrer, qui t'a tantôt sauvé, était la même, qui ne pouvait pas ne pas être la même, à la fin. Il te faut cesser de les opposer, te dis-tu, comme il te faut cesser de t'opposer; Tout le temps que tu t'es opposé ainsi à toi-même, tout le temps que tu as laissé s'opposer en toi deux puissances distinctes, deux puissances qu'en tout cas tu as tenues pour distinctes, et adverses, l'une qui voulût te détruire, l'autre qui pût te sauver (tu t'en souviens: la tentation de l'une l'emportait alors sans commune mesure sur l'éventualité de l'autre), tu as méconnu à la fois et que tu détenais ces puissances à parts à peu près égales et que celles-ci ne te constituaient pas moins l'une que l'autre. Plus exactement, tu n'as pas su voir que la puissance qui a failli te détruire, inévitablement, était la même qui t'a sauvé. Qu'il fallait pour que tu sois sauvé une puissance aussi grande que celle qui s'employait à te détruire, et de même nature. A ceci près, que tu précises, que tu notes même pour que cette précision te soit acquise (tu détermines ainsi, à cet instant, une volonté de précision à laquelle tu te tiendrais tout ce temps, tu y es résolu): une moindre puissance aurait pu suffire à me détruire, alors qu'à me sauver, il y aura fallu une puissance inégalablement plus grande. En somme, il te faut dorénavant être le même que tout ce que tu as été et as vécu; il te faut être l'égal et de la tentation de disparaitre et de l'attrait de ressusciter qui ont été les tiens, quelque mal que tu éprouveras d'être à la fois et ce que tu es devenu et ce par quoi il t'a fallu en passer pour le devenir (de quoi il t'a fallu réchapper). Tu te souviens de ceci que Nietzsche a dit de lui-même -qu'il ne pouvait sans doute pas avoir dit que pour lui, et tu es ainsi, déjà, à cet instant, que tu penses que c'est pour toi qu'il l'a dit: qu'il lui avait fallu en passer par plusieurs individualités, qu'il avait toutes utilisées en tant que fonctions, mais que c'est la dernière qui comptait seule -"fonctions", le mot, vite, t'a apaisé, t'apaise, un peu".
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