dimanche 24 juillet 2022

La commune de Cronstadt par Isa Mett

 Témoignage de Petritchenko marin de Cronstadt:


"J'ai lu la correspondance échangée entre l'organisation des socialistes-révolutionnaires de gauche d'une part et les communistes anglais de l'autre. Dans cette correspondance, il est aussi question de l'insurrection de Cronstadt de 1921.

En tant que président de la révolte de Cronstadt j'estime de mon devoir moral d'éclaircir brièvement cet évènement devant le bureau politique du parti communiste anglais. Je sais que vous êtes informés par Moscou, et je sais aussi que ces informations sont unilatérales et de parti-pris. Il ne serait pas mauvais que vous entendiez également l'autre son de cloche.

Vous avez reconnu vous-mêmes que l'insurrection cronstadienne de 1921 n'a pas été inspirée du dehors; autrement dit cela signifie que la patience des masses laborieuses - marins, soldats rouges, ouvriers et paysans - était arrivée à sa dernière limite.

La colère populaire contre la dictature du parti communiste ou plutôt contre sa bureaucratie a pris la forme d'une insurrection; c'est de cette façon que commença l'effusion d'un sang précieux; il n'était pas question de différence de classe ou de caste; des deux côtés de la barricade se dressaient des travailleurs. La différence consistait seulement en ce que les cronstadiens marchaient consciemment et sans contrainte tandis que les assaillants étaient trompés par les dirigeants du parti communiste et menés par la force. Je suis prêt à vous dire plus: les cronstadiens n'avaient aucun goût à prendre les armes et à verser le sang.

Et bien, que se passa-t-il donc pour que les cronstadiens aient été forcés de parler la langue des canons avec les dictateurs du parti communiste, qui se nomme "gouvernement ouvrier et paysan"?

Les marins de Cronstadt ont pris une part entière à la création de ce gouvernement: ils l'ont protégé contre toutes les attaques de la contre-révolution; ils gardaient non seulement les portes de Petrograd - le coeur de la révolution mondiale - mais ils ont encore formé des détachements militaires pour les innombrables fronts contre les gardes blancs en commençant par Kornikov et en finissant par les généraux Youdiénitch et Nekloioudov. Ainsi, ces mêmes Cronstadiens seraient tout d'un coup devenus des ennemis de la révolution: le gouvernement "ouvrier et paysan" les a présentés comme des agents de l'entente, espions français, soutiens de la bourgeoisie, socialistes-révolutionnaires, mencheviks etc. Il est étonnant que les Cronstadiens soient brusquement devenus des ennemis dangereux précisément au moment où tout danger du côté des généraux de la contre-révolution armée avait disparu: justement quand il fallait commencer la reconstruction du pays, cueillir les fruits des conquêtes d'octobre, quand il fallait montrer la marchandise sous son véritable aspect, étaler son bagage politique (car il ne suffisait plus de promettre il fallait encore tenir ses promesses), quand il fallait établir le bilan des conquêtes révolutionnaires, auxquelles personne n'osait même rêver durant la période de la guerre civile. C'est juste à ce moment que les Cronstadiens seraient apparus comme des ennemis? Quel crime Cronstadt a-t-il donc commis contre la révolution?

Après la liquidation des fronts de la guerre civile, les ouvriers de Petrograd ont cru pouvoir rappeler au soviet de cette ville que le temps était venu de penser à leur situation économique et de passer du régime de guerre au régime de paix.

Le soviet de Pétrograd estima que cette revendication à la fois inoffensive et indispensable des ouvriers était contre-révolutionnaire. Il est resté sourd et muet en présence de ces revendications, il a commencé les perquisitions et des arrestations parmi les ouvriers en les déclarant espions et agents de l'Entente. Ces bureaucrates se sont corrompus pendant la guerre civile lorsque personne n'osait résister. Mais ils n'ont pas vu que la situation avait changé. La réponse des ouvriers fut la grève. La fureur du soviet de Petrograd fut alors celle d'un animal féroce. Aidé de ses opritchniks, il tenait les ouvriers affamés et épuisés dans un cercle de fer et les contraignait par tous les moyens à travailler. Les formations militaires (soldats rouges et marins) malgré leur sympathie envers les ouvriers n'osaient se dresser ppour leur défense car les gouvernants les avertissaient que Cronstadt s'attaquerait à tous ceux qui oseraient s'opposer au gouvernement des soviets. Mais cette fois-ci le gouvernement "ouvrier et paysan" n'a pas réussi à spéculer sur Cronstadt. Grâce à sa disposition géographique à la proximité de Pétrograd, Cronstadt avait tout de même appris, quoique avec un certain retard, le véritable état des choses dans cette ville.

Ainsi, camarades anglais, vous avez raison quand vous dites que la révolte de Cronstadt n'a été inspirée par personne.

Et je voudrais encore savoir en quoi s'exprimait le soutien des organisations contre-révolutionnaires russes et étrangères aux Cronstadiens? Je répète encore une fois que la révolte ne s'est pas déclenchée de par la volonté d'une organisation politique quelconque et je pense qu'elles n'existaient d'ailleurs même pas à Cronstadt. La révolte éclata spontanément de par la volonté des masses elles-mêmes tant de la population civile que de la garnison. Nous le voyons dans la résolution adoptée et d'après la composition du comité révolutionnaire provisoire. On ne peut y remarquer l'expression prépondérante de la volonté d'un parti politique antisoviétique quelconque. De l'avis des Cronstadiens tout ce qui se passait et se faisait était dicté par les circonstances du moment. Les insurgés ne mettaient leurs espoirs en personne. Ni au comité révolutionnaire provisoire, ni aux assemblées des délégués, ni aux meetings, ni ailleurs il n'en fut jamais question. Le comité révolutionnaire provisoire n'entreprit jamais rien dans cette direction bien qu'une pareille possibilité existât. Le comité tentait d'accomplir strictement la volonté du peuple. Était-ce un bien ou un mal? Je ne peux le juger, mais la réalité est que la masse dirigeait le comité et non pas ce dernier la masse. Il n'y avait pas parmi nous de militants politiques renommés qui voient tout à trois archines sous terre, et qui savent tout ce qu'il faut entreprendre pour en extraire tout ce qui est utile. les Cronstadiens ont agi sans plan ni programme uniquement en tâtonnant dans les limites des résolutions et selon les circonstances. Coupés du monde entier, nous ignorions ce qui se passait en dehors de Cronstadt aussi bien en Russie soviétique qu'à l'étranger. Il est possible que certains aient pu établir des perspectives pour notre insurrection comme cela se passe d'habitude mais dans notre cas c'était peine perdue. Nous ne pouvions pas faire d'hypothèses à propos de ce qui se serait produit au cas où les évènements auraient pris une autre tournure car l'évènement aurait pu être tout autre que celui auquel nous pensions. Mais les Cronstadiens n'avaient pas l'intention de laisser échapper l'initiative d'entre leurs mains.

les communistes nous ont accusés dans leur presse d'avoir accepté l'offre de vivres et médicaments de la part de la croix rouges russe résidant en Finlande. Nous devons dire que nous n'avions vu rien de mal dans pareille offre. Nous avons eu en cela l'accord non seulement de tout le comité révolutionnaire provisoire mais aussi de l'assemblée des délégués. Nous avons considéré cette organisation comme purement philanthropique nous proposant une aide inoffensive et sans arrière-pensée. Quand nous avons décidé de laisser entrer à Cronstadt la délégation (de la croix rouge) nous l'avons conduite à l'état major les yeux bandés. A la première séance, nous leurs avons déclaré que nous acceptions avec reconnaissance leur aide comme provenant d'une organisation philanthropique mais que nous nous considérons libres de tout engagement envers eux. Nous avons satisfait à leur demande de laisser un représentant permanent à Cronstadt pour veiller à la distribution régulière des vivres que leur organisation se proposait de nous envoyer et qui auraient été destinées surtout aux femmes et aux enfants. C'est le capitaine Vilken qui resta à Cronstadt, il fut logé dans un appartement gardé en permanence pour qu'il ne puisse pas faire le moindre pas sans autorisation. Quel danger ce Vilken présentait-il? Il pouvait voir uniquement l'état d'esprit de la garnison et de la population civile de Cronstadt. 

Est-ce en cela que consistait l'aide de la bourgeoisie internationale? Ou dans le fait que Victor Tchernov avait envoyé son salut à Cronstadt insurgé? Était-ce là le soutien de la contre-révolution russe et internationale? Peut-on croire vraiment que les Cronstadiens se jetaient dans les bras de tout parti politique antisoviétique? 

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