"Le côté perfide de la vocation, c’est qu’elle est loin d’aller nécessairement dans le sens des aptitudes,
puisqu’elle peut exiger au contraire un renoncement aux talents naturels, ainsi que nous le montrent tant
d’artistes d’abord faciles, devenus ce qu’ils sont en cessant d’être eux-mêmes, ingrats alors envers leurs
dons spontanés, — tandis que, chez Goethe, c’est la multiplicité des aptitudes qui aurait altéré la
vocation, et nous voyons Pascal, savant, écrivain, génie religieux, ne se trouver que dans un difficile
conflit, jusqu’au moment où la vocation finit en conversion. La vocation a ceci de pervers qu’elle
suppose une exigence exclusive, un mouvement vers une figure toujours plus déterminée, le choix,
parmi beaucoup de possibles, d’un seul qui, même restant énigmatique, s’affirme comme essentiel et tel
qu’on ne peut s’en écarter sans la certitude — impérieuse, indéchiffrable — d’une erreur. Il faut donc
irrévocablement se décider, se limiter, se libérer de soi-même et de tout le reste en vue de cette unique «
réalité » (au sens où l’entend Virginia Woolf). Mais le propre de l’écrivain est, en chaque oeuvre, de
réserver l’indécis dans la décision, de préserver l’illimité auprès de la limite et de ne rien dire qui ne
laisse intact tout l’espace de la parole ou la possibilité de tout dire. Et en même temps il faut dire une
seule chose et ne dire qu’elle."
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