Au-delà de tout, au-delà des débats, des postures ou des
thèses que certains développent sur le corps de cet homme, il y a eu une mort d’un
homme, jeune, professeur et qui n’était pas un danger pour personne.
A priori…
Nous ne pouvons comparer les situations mais, en fait, ce jour-là,
le drame était sur la ville de Conflans sainte Honorine et il y a eu beaucoup d’acteurs
malheureux. Mais tous, étaient-ils conscients de ce qu’il se jouait, ce jour-là ?
Avaient-ils tous conscience que cela allait se finir dans le sang et l’horreur ?
Et chacun s’est réveillé, abasourdi, étourdi, effrayé…sauf deux personnes. 2
êtres humains ne se sont pas réveillés.
Mais, la question qui se pose, en passant par-dessus les
premières expressions d’horreurs qui donnent les paroles que l’on connait et
que certains utilisent tout de suite pour se servir de la peur pour avancer
leurs idées, ces deux êtres humains n’étaient-ils pas des victimes ?
Parlons de la première victime :
Ce professeur explique la liberté d’expression et, à ce cours
précis, le droit en France de blasphémer toutes les religions.
Dans les rassemblements, chacun y va de sa pancarte sur la laïcité.
La laïcité…
Pouvons-nous rappeler les deux premiers articles de cette loi
du 9 décembre 1905 ? Elle n’a besoin d’aucun dépoussiérage, comme pouvait
le dire un certain président survolté.
« Article 1
La République assure la liberté de
conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules
restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.
Article 2
La République ne reconnaît, ne salarie
ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui
suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de
l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à
l'exercice des cultes.
Pourront toutefois être inscrites
auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées
à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que
lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.
Les établissements publics du culte sont
supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 3.
Ne sont-ils pas clairs ces articles ? A-t-on besoin de
les dépoussiérer ?
Ce qu’il faudrait sûrement, c’est mettre fin à certains
usages qui mettent à mort cette laïcité :
Je cite sans entrer dans les détails :
·
Mettre
fin au repas du CRIF dans lesquels presque tous les ministres vont se pavaner.
·
Mettre
fin au principe de prendre les clés de Latran, pour si symbolique soit-il, il n'est pas bon.
·
Ne
pas se rendre au Vatican dans un voyage privé pour y rencontrer le Pape. Et si
on rencontre le patron du Vatican, on le reçoit à Strasbourg dans le parlement
européen, pas à la cathédrale de Reims ni de Strasbourg.
·
Pourquoi
se mêler du choix des Imams alors que l’on ne le fait pas avec les curés
intégristes de St Nicolas du Chardonneret ou les rabbins fanatiques qui surement gravitent autour de la LICRA?
·
Mettre
fin au système Concordat qui gère les départements de l’est de la France.
·
Ne
pas autoriser les écoles privées.
Comme on peut le voir dans les deux articles, on ne parle pas
de décider ce qui est autorisé à porter, ce qui est interdit. Non le principe
absolu de la laïcité, c’est que chacun pense ce qu’il veut, s’habille comme il
veut mais laisse chacun libre de croire ou de ne pas croire, chacun accepte d'être moqué, blasphémé et que l'autre n'ait pas les mêmes croyances, se prêter à toutes les critiques dans le respect des personnes.
Donc cet homme est mort pour avoir expliqué la laïcité et le
droit de blasphémer.
Une question : est-ce que le blasphème m’empêche de croire
ce que j’ai envie de croire ? Mais, en fait, pourquoi le blasphème me
dérange et me bouscule ? Ces parodies me perturbent dans ma croyance car on ne peut dire du mal ou se
moquer de ce que en quoi je crois. Mais, comme je crois, je suis au-dessus de
ça, je sais que ce Dieu en lequel je crois, viendra punir les impies. C’est
dans tous les textes. Ceux qui ne croient pas connaitront les pires enfers. Oui
mais pas tout de suite, plus tard, dans l’au-delà. Dieu n’a besoin d’aucun
justicier. Il est le plus fort donc il n’a besoin de personne pour le venger.
Ou alors, si j’ai besoin de violence, c’est qu’il y a quelque
chose qui me gêne. Dieu existe-t-il au point de se venger lui-même ? Ou
alors, je sais qu’il ne pourra rien faire car il n’existe pas.
Donc les terroristes ont un problème avec eux-mêmes qu’ils ne
règlent qu’en tuant, ou en massacrant au nom de celui auquel il croit ou celui auquel il pense croire.
Mais si le problème était bien au-delà de ce schéma simpliste ?
Et qu’il n’y avait pas qu’un problème de croyance et de volonté d’imposer sa
religion dans le monde. Toutes les religions veulent l’hégémonie.
Prenons les deux élèves qui ont pris de l’argent de l’assassin
pour dénoncer quelqu’un, pour le pointer du doigt, pour le mettre devant l’arme.
Que s’est-il passé dans leurs têtes à ce moment pour qu’il n’y
ait aucune réflexion sur la proposition insolite qu’on leur fait. Un type vient
vers eux, ils ne le connaissent pas et il donne de l’argent et il n’y a aucune
connexion, aucune réflexion ? Un type me donne de l’argent pour que je lui
en montre un autre, il se cache, il me raconte une histoire sur sa volonté de
forcer le professeur à faire des excuses parce qu’il a montré des caricatures
et je ne réagis pas. Dans le contexte actuel ? Après Charlie hebdo ?
Que l’on soit Charlie ou pas, on connait. Alors, normalement, aussitôt, un
signal d’alarme s’allume dans ma tête et je m’en vais. Ou sans aller à la
police, je rentre dans le collège pour trouver le prof et lui dire que quelqu’un
m’a payé pour le montrer. Et voilà, le drame s’arrête là, un nouvel attentat
vient d’échouer et on passe à autre chose.
Une jeune fille dit à son père que le professeur a montré des
caricatures du prophète dans un cours. Elle le raconte à son père. Elle sait
que son père est croyant et que les caricatures, c’est quelque chose qui le
blesse. Que va-t-il dire ? Et puis, il y a tout ce qui lui raconte sur la
religion, le prophète, les croyances et les punitions si on ne croit pas ou si
on se moque. Alors, elle lui dit. Et maintenant, elle sait qu’elle est celle
qui a lancé tout ce qui a suivi. Elle sait que son père a fait quelque chose de
mal en lançant ses menaces sur le net et qu’elles ont attiré un imbécile qui a
passé à l’acte. Il va ressembler à quoi son avenir dans ce collège ? Et
puis, plus tard ? Ses camarades qui vont lui rappeler, de temps en temps,
ce qui s’est passé. Et elle, quelle image elle a de son père aujourd’hui ?
En cas de crise, que va-t-elle lui lancer au visage ?
Ce père, lorsqu’il a fait cette vidéo, qu’a-t-il voulu
prouver ? Qu’a-t-il voulu faire en faisant cette vidéo ? Toujours
dans le contexte qui est celui de la France actuelle ? Après toutes les
affaires qui se suivent et se ressemblent tristement ? Pouvait-il vraiment
ne pas penser que cette dénonciation pouvait avoir de graves conséquences ?
Et lorsque certaines personnes commencent à le contacter et à lui poser des
questions de plus en plus précises, n’a-t-il pas eu conscience à ces moment-là
que quelque chose se préparait ? Est-il vraiment innocent ? Peut-il
se proclamer innocent ?
Et sa fille le peut-elle aussi ?
Et les deux
gosses le peuvent-ils aussi ?
Et maintenant, parlons de l’assassin. Ce dernier statut avant
sa mort, il est mort assassin. Il ne pourra jamais en changer. Il est devenu et
il est mort assassin de la pire espèce.
Mais revenons en arrière. On nous dit qu’il est Tchéchène, qu’il
a 18 ans et qu’il est né à Moscou. Ça fait beaucoup d’éléments de
questionnement.
Il a 18 ans et pour ce jeune homme, la destinée de sa vie, c’est
de tuer un individu, un inconnu parce qu’il a montré des caricatures en parlant
du droit au blasphème et à la caricature. La police laisse entendre que ce
jeune homme, depuis des semaines, cherchaient sur internet une cible et que c’est
quand il est tombé sur la vidéo du père qu’il a dit : « voilà ma
mission divine ».
Remontons dans le passé.
Il est né il y a 18 ans dans la capitale du pays ennemi de son
peuple, Moscou. Nous connaissons tous ce que Poutine a bien pu faire dans l’école
où des centaines de personnes sont mortes. Des Tchéchènes. Puis dans ce théâtre,
le massacre des preneurs d’otages et de quelques otages sacrifiés. On se
rappelle aussi la guerre horrible que les russes mènent sur le peuple Tchéchène
et la célèbre phrase de Poutine : « on les poursuivra jusque
dans les toilettes ». Donc il nait à Moscou. On suppose qu’étant
Tchéchène, sa vie se passe difficilement et qu’il doit faire face à du racisme,
peut-être des menaces de mort. Donc pour vivre ou survivre, il décide de
partir, de fuir et de venir en France, ce pays qui vit encore sur quelques
souvenirs de son aura. Si la mort ou la guerre faisait partie de son ADN, rien
n’aurait été plus simple que de rejoindre les terroristes ou les soldats Tchéchènes (ça dépend de quel côté on se met) qui se
battent pour leur liberté, ou leur peuple. Non, il fuit pour vivre. Il arrive
chez nous. Et là, il se radicalise. Voilà, il oublie la vie, il ne pense plus à
trouver un avenir, non, il décide il va tuer et mourir pour devenir un martyr
de la cause.
Honnêtement, il y a des étapes qui manquent dans ce parcours.
Forcément, il en manque.
Nous devons faire l'étude de cette société qui créer ces gens-là.
Le problème est que la société a laissé tomber des individus dans la misère la
plus totale sans aucune ressource, sans aucun espoir. Là où l’espoir n’est pas concrétisable
d’une manière ou d’une autre, la religion, les dogmes, les illusions, les
sectes, prennent la place, s’installent et tous ces fanatiques désignent des
coupables. Ces gens qui parlent et qui jugent sans savoir de quoi ils parlent,
ce sont eux les coupables.
Tous ont pensé que la science expliquant de plus en plus de
choses, la religion allait disparaitre d’elle-même. Marx le pensait. Mais, il n’y
a pas eu cette fin du capitalisme qui fait de l’humain un outil ou un élément d’une
variable d’ajustement.
Dans « La misère du monde », Pierre Bourdieu avec
son équipe a très bien décrit les prémisses de ce que nous vivons actuellement
avec les abandons des territoires. Ce livre qui fait mille page, qui explique
la montée du FN, et la perte de repère des banlieues date tout de même de 1993.
Nous voyons le résultat maintenant, quelques 20 ans plus tard.
Si nous ne voulons pas que cela se reproduise, il ne
suffit pas d’insulter ou de montrer du doigt tel ou tel français d’origine
étrangère, de faire des lois issues d’une vive émotion sans rationalité. Nous
devons revoir de fond en comble notre pays, vraiment appliquer la loi de 1905
sans exception, sans passe droits. Comprendre, analyser, et mettre en place ce qui va nous aider à vivre ensemble.