samedi 1 avril 2017

Prolétaires si vous saviez Part 2

II - 7 avril et 21 décembre

Tous les leaders les plus connus de l'Autonomie Organisée ainsi que bon nombre de militants sont arrêtés le 7 avril 1979. Les accusations paraissent dans un premier temps absurdes : les dirigeants de l'Autonomie Ouvrière sont accusés d'être les chefs des BR et d'avoir ordonné et organisé la séquestration et le meurtre de Moro. La première réaction du mouvement qui à cette occasion semble se ranimer un instant, est l'incrédulité : les accusations sont tellement absurdes qu'elles sont considérées comme une erreur imbécile de l'État et de magistrats qui se croient au temps des purges soviétiques des années trente. Aveuglément, en bloc, sans hésitation ni balancement, toute la presse, toutes les radios, et la télévision soutiennent. Elles avalisent les incroyables mensonges de la magistrature togliatienne (5). Le mouvement, ou plutôt l'Autonomie Ouvrière Organisée, avait, par irresponsabilité, toujours compté sur les espaces qu'elle réussissait à se faire attribuer dans les journaux quotidiens grâce à sa pratique, ainsi que sur les bons rapports qu'elle entretenait avec quelques forces progressistes, intellectuels, journalistes, politiciens. L'Autonomie se trouve tout à coup bouche cousue, elle ne peut même pas répondre aux accusations non seulement énormes mais aussi insultantes, imprécises, confuses, qui ont pour but d'embrouiller selon une technique digne du «polar» à suspense.
La vérité est que les espaces qui se ferment à l'improviste à l`Autonomie Ouvrière Organisée sont les espaces du spectacle. En scène il y a une autre représentation et dans celle-ci on a réservé aux autonomes le rôle d’accusés. La montagne d'irréalité qui avait été précédemment créée est remplacée par une équation encore plus irréelle : mouvement armée = lutte clandestine. Et cela avec un mépris complet pour les faits et, entre autres, pour la lutte de l'Autonomie Ouvrière Organisée contre la séquestration de Moro.
Dans le même temps l'appareil de propagande du pouvoir décerne un seul rôle aux leaders de l'Autonomie : celui de coupables. Dans les mois qui suivent ces arrestations, diverses interviews des arrêtés du 7 avril sont publiées; elles sont invariablement conçues, par le ton et le contenu, pour avoir un sens accusateur. Les autonomes ne peuvent plus se permettre les hâbleries que, quelques mois auparavant, les mêmes journalistes accueillaient avec la plus grande générosité. Eh non, désormais ils doivent se défendre, se disculper, nier tout à travers ces mêmes journaux qui les crucifient. L'illusion de pouvoir utiliser la presse du capital s'est retournée inexorablement contre les autonomes.
En outre, dans ces interviews, on « arrange » les personnalités des leaders autonomes, on utilise leur notoriété amplifiée et le trouble ambiant pour transmettre des messages de défaite à tout le mouvement. Prenons le cas de Piperno. Ce monsieur n'a eu aucune influence dans les événements de 1977. Il est apparu à l'improviste au moment de la séquestration de Moro, quand la presse a fait un large écho à ses propositions de médiation,
absolument velléitaires et impuissantes, entre l'État et les ravisseurs, propositions qui en étaient arrivées au point de solliciter et d'obtenir des rencontres avec les dirigeants du P.S.I., les plus favorables à l'échange de prisonniers proposé par les BR. Après le 7 avril, Piperno, en fuite, est unanimement traité de «leader du mouvement». Ce fugitif lance une proposition d'amnistie pour les terroristes qui reçoit un écho énorme, sans commune mesure avec ses possibilités de réalisation, à peu près nulles. Sa proposition était la suivante : nous, c'est-à-dire l’ex-groupe dirigeant de Potere Operaio, sommes les seuls politiciens capables de reconduire les masses de jeunes à l'intérieur de la dialectique du pouvoir, nous sommes les seuls interprètes et contrôleurs potentiels du refus des Jeunes; si vous nous mettez en prison, la société italienne perdra son seul canal de récupération des masses de jeunes déboussolées, lesquels entreront en masse dans les organisations « militaires ».
La presse n'a même pas eu besoin d'expliquer le message : la connotation réformiste de tout le mouvement face à une effective radicalité révolutionnaire des organisations clandestines, implicite dans les affirmations de Piperno, correspondait trop bien à l'analyse que toutes les bouches du pouvoir cherchaient à imposer. L’entrée de tous les irréductibles dans les organisations clandestines ne faisait pas peur à l'État. Ce qui dans l'esprit de Piperno devait sonner comme un avertissement maffieux terrifiant (et quelque magistrat fasciste feignit d'en accepter la provocation) ne fut qu'une indication de plus pou: ceux qui se laissaient déjà entraîner sur le chemin du faux antagonisme constitué par les groupes terroristes. Sur le terrain, propice d'une opposition militaire factice, l'État affrontera en une année le tonnerre des organisations armées, y amalgamant des centaines d'individus et de groupes qui n'en faisaient pas partie.
Dans l'ensemble, l’opération du 7 avril» s'est fixée certains buts et les a atteints. Laissons de côté l'un de ces buts, à savoir le règlement de compte interne au pouvoir entre PCI et DC d'un côté et « parti de la négociation » de l'autre, dont parlent encore aujourd'hui les leaders de l'Autonomie incarcérés pour expliquer le «sens » de toute l'opération. Indubitablement, l'un de ces buts était la répression directe et la « désarticulation » des luttes : outre les leaders spectaculaires et les universitaires, on a aussi arrêté un certain nombre de militants et
d'organisateurs qui menaient des luttes quotidiennes. En ce sens, le 7 avril est une attaqua directe et indiscriminée contre tout le mouvement, et vaudra surtout comme précédent. Depuis, et bien plus après le 21 décembre, ce sont de plus en plus souvent des «militants de base», des ouvriers, des étudiants des «écoles moyennes», des gens qui soutenaient et organisaient concrètement les types de luttes les plus variées qui sont arrêtés. Ils sont arrêtés sous l'inculpation de faire partie des B.R. ou tout simplement d'en être les dirigeants.
Cependant, « l'opération du 7 avril» se caractérise surtout par sa nature de coup spectaculaire contre les chefs, les responsables de dix années de subversion et de terrorisme en Italie. D'abord, les arrêtés étaient souvent très connus : de Négri, Scalzone, Piperno les journaux avaient souvent parlé, en les affublant systématiquement du titre de leader, même quand ils ne comptaient pour rien dans le mouvement. Eux mêmes avaient parlé volontiers pour les journaux et avaient contribué plus que personne former une image spectaculaire de l'autonomie, à falsifier en fin de compte la réalité du mouvement italien, en se faisant constamment les interprètes de tout ce qu'il exprimait de nouveau, en donnant une image amplifiée et triomphale de ses pratiques, jusqu'à leur faire atteindre le stade de pur spectacle, jusqu'à faire qu'elles soient reproduites par imitation. Ce fait, de pair avec l'énormité des accusations qui en masquait l'absurdité, garantit un formidable effet spectaculaire. Une bombe : au moment même où le mouvement était en état de faiblesse extrême et les BR à leur apogée, l'action coordonnée, orchestrée des moyens d'information « démontrait» comment, pour vaincre le terrorisme, il fallait d'abord chasser la révolution sociale.
Les figures spectaculaires des accusés du 7 avril - désormais remodelées par les mensonges étaient le produit qu'ils avaient eux-mêmes contribué à créer, avec la collaboration des secteurs culturels adjoints au mouvement; c'est aussi la conséquence d'une faiblesse collective, en particulier de l'absence de théorie révolutionnaire. Ces figures spectaculaires étaient tout ce qui, dans les deux années précédentes, avait été vendu par l'Espresso comme de la révolution, et beaucoup y avaient cru : il n'est pas exagéré d'affirmer que, à diverses occasions, les «rythmes » du mouvement avaient été décidés par la presse progressiste. Désormais, les quotidiens (Lotta Continua, Republica) et les hebdomadaires (Espresso, Panorama) du mouvement se mirent à calomnier directement la révolution, en en présentant une image fausse, stéréotypée et grotesque. On la calomniait en disant : les dirigeants du mouvement révolutionnaire étaient, à l'insu de leurs propres suiveurs auxquels ils débitaient des critiques ad hoc de la lutte armée clandestine, les dirigeants des BR et de Prima Linea, qui constituaient le vrai projet révolutionnaire. Quelle chaîne de falsifications! Mais qui avait avant tout pour effet de cacher que Negri et Piperno non seulement n'étaient pas les dirigeants des BR, mais encore qu'ils n'avaient jamais été non plus les dirigeants du mouvement de 77-78.
Le 21 décembre 1979, l'action répressive de l'État fait un saut qualitatif et avec elle l'énorme calomnie contre la révolution. Des milliers de perquisitions furent effectuées de nuit dans toute l'Italie , une douzaine de « dirigeants » de l'Autonomie Ouvrière Organisée furent arrêtés, tandis qu'une nouvelle avalanche de chefs d'inculpation tombait sur la tête des leaders déjà emprisonnés. Par suite des déclarations d'un délateur (Pioroni), ils furent tous accusés d'avoir constitué une organisation militaire fantôme avant la naissance des BR. La plus consistante des accusations particulières, dirigée en l’espèce contre le chef des chefs, c'est-à-dire Negri, est d'avoir organisé l'enlèvement et le meurtre d'un de ses amis et camarades du parti. Pour la première fois, Negri, et avec lui le mouvement révolutionnaire, est accusé d'un fait concret, circonstancié, précis. Et quel fait! la trahison ci le meurtre d'un camarade, membre de la même organisation. L'accusation de fratricide sert évidemment à clouer Negri au pilori. Mais avec cette nouvelle arme, l'appareil déchaîné de la propagande veut liquider un ennemi beaucoup plus redoutable, l'accabler sous un sentiment de culpabilité, le déboussoler, le démoraliser, l'abattre. Il veut en écouter les confessions, les auto -accusations, les abjurations, les pénitences, les reniements, les désillusions.
Dans toute l'opération de répression, l'aspect de guerre psychologique est plus important que la répression immédiate. C'est précisément cet aspect qui doit rendre par la suite possible une répression généralisée Avec le 21 décembre, on intimide des milliers de camarades et on les informe que, parmi eux, il y avait des assassins, des traîtres et des fratricides, des délateurs, des vendus et des déments, et que cela est l'essence même de tout ce qu'ils ont fait, violence brute, aveugle, homicide, à peine justifiée par des idéologies délirantes.
Pour comprendre à travers quels canaux le capital a touché directement le « cerveau collectif» des masses de jeunes qui avaient vécu le mouvement de 77, il faut au moins avoir en tête la fonction du quotidien « Lotta Continua ». Ce journal a été pendant toute l'année 1977 le journal du mouvement parce qu'il était le seul à publier textes et communiqués de l'Autonomie, bien que dans toutes les situations où les militantEs de LC aient eu une influence prépondérante, ils/elles aient étouffé le mouvement et aient eu recours, quand ils/elles le pouvaient, à la violence physique et aux insinuations délatrices. Le quotidien Lotta Continua, outre les rituelles campagnes « libérales » contre la répression, a surtout mené une campagne de démoralisation, de confusion systématique, ce qui a tendu, évidemment, à susciter l'angoisse et à jeter le trouble. Il était facile de trouver dans les actions sanguinaires et démentes des terroristes des raisons de crier contre la violence, le sang et la mort, et d'invoquer les valeurs sacrées de la tolérance, de la vie et de la non-violence. Sur ces bases, il n'était pas difficile non plus d'appuyer sur l'accélérateur de la vie alternative, de la drogue, du féminisme, de la libération individuelle, et en même temps de tirer le frein à main de la peur, de l'angoisse, de l'incertitude, de la perte des points de repère. Et puis il y eut des campagnes culturelles à répétition : depuis les nouveaux philosophes jusqu'aux valeurs sacrées de la vie, de la « créativité », de la fantaisie d'un mouvement qui se voulait exclusivement culturel. Jusqu'à une petite campagne ambiguë sur la délation. Les arrestations du 21 décembre ont été précédées par une année de discussion dans Lotta Continua sur le « droit à la délation » et sur le « droit à dénoncer les camarades assassins ». C'est Lotta Continua qui, en premier, a soulevé le scandale d'un de ses militants, « »assassiné des années auparavant par des camarades de l'Autonomie » après avoir attribué le meurtre aux fascistes pendant trois années. Sur cet épisode, exhumé au moment opportun, « s'ouvre la discussion» sur le « droit à la délation ».Du même Fioroni, Lotta Continua s'en occupe amplement bien avant que sa délation soit rendue publique, investissant tout le mouvement par un débat sur la figure de ce camarade que le «choix tragique de la violence a mené inévitablement à assassiner son meilleur ami », sur sa crise psychologique, sur son repentir, sur sa dénonciation de cette logique révolutionnaire qui conduit inexorablement à égorger son propre frère. Dans le texte de sa délation, Fioroni dénoncera les arrêtés du 7 avril comme ses complices, et encore une fois Lotta Continua saura se battre pour défendre la crise de ce malheureux.
Ce qui est plus important, c'est qu’on ne peut plus parler de la révolution, comprise comme projet, pratique, passion et vie. Pour qui s'obstine, il y a l’antiterrorisme et la Digos (6) et, plus efficace encore, l'oubli qui frappe ceux qui s'entêtent à ignorer les modes. Les révolutionnaires n'ont plus de tribunes, tous les écrans les ignorent, le spectacle s'oriente vers autre chose. Les jeunes, cyniques et désillusionnéEs, n'ont plus de temps pour les idéologies, encore moins pour les rêves. Une des plus graves lacunes du mouvement de 77 a été de n'avoir eu ni moment de réflexion ni perspectives précises pour ce qui suivrait. L'explosion de radicalité dans ces cités qui ont échappé au contrôle serré du capital a été improvisée et anonyme, mais la richesse de l'action est restée imbriquée dans une émotivité
politique coupée de toute mémoire théorique de classe. La critique que le mouvement a faite contre le vieux et le nouveau révisionnisme, l'un étant le fils de l'autre, à Rome, n'a pas été reliée, par une formulation théorique de lutte contre l'opportunisme, à cette forte tradition de classe qui a toujours caractérisé les mouvements radicaux du passé ; or c'est une nécessité primordiale que d'identifier l'ennemi qui se niche, se cache au sein d'agrégats interclassistes afin d'entraver et de freiner les débordements révolutionnaires. Cette lacune n'a pas empêché, là où il y a eu un mouvement effectivement autonome vis-à-vis des idéologies (par exemple dans les premiers mois de 1977 à Rome), que l'autonomie ouvrière devienne
l'expression du mouvement lui-même, en s'identifiant soit aux radicalités diffuses, soit au manque de perspectives générales. Là où, en revanche, le mouvement n'a pas réussi à s'exprimer (dans le Nord), l'autonomie ouvrière est demeurée prisonnière de la logique de la bande-racket qui l'a amenée à entretenir des rapports ambigus avec des groupes politiques qui étaient l'expression directe de la répression ; ainsi, le mouvement étant demeuré piégé entre les mythes armés d'une part et féministes, « giovanilistes » ou culturels d'autre part, l'autonomie ouvrière reproduisit, en les accentuant, toutes ces limites et, tandis que le mouvement était étouffé, privé de débouchés sociaux, qu'il demeurait minoritaire, qu'il était attaqué par les réformistes et maintenu dans une semi-clandestinité, toutes les idéologies en furent pompées, amplifiées, afin d'aider à la reproduction des organisations chancelantes. Il est significatif qu'après l'élan initial caractérisé par une explosion de rage dans laquelle l'exigence et le besoin de vie s'identifiaient à la lutte et à la passion de la lutte, la qualité des rapports humains qui s'ébauchèrent alors ait rappelé l'antique fierté communautaire et bouleversé la grisaille et la répétitivité de nombreux aspects de la vie quotidienne, en dépit des formes modernistes que cela a pu prendre. Dans cette première phase de succès pour le mouvement (des temps dont Lama et ses sbires se souviendront longtemps), la répression a été très faible en regard des moyens dont le pouvoir est pourvu, peut-être parce que la radicalisation de l'affrontement ne s'est pas étendue aux grandes concentrations industrielles du Nord et est restée circonscrite à quelques villes. Le pouvoir n'a eu recours que de façon limitée à la répression armée, sauf à Bologne où les staliniens au pouvoir ont utilisé (comme l'enseigne l'URSS, leur unique tradition) les chars pour calmer le désordre qui échappait peu à peu à tout contrôle. Le moloch capital s'est appuyé sur les faiblesses que le mouvement, même dans sa période de splendeur, avait en lui : on comprend ainsi l'énorme succès de l'héroïne, nouvelle arme d'abrutissement social utilisée par le capital pour prévenir les conflits sociaux ; cette tactique n'est pas nouvelle, le capital l'a utilisée à plusieurs reprises : en anéantissant en Amérique du Nord un peuple par l'alcool, en abrutissant en Orient un prolétariat potentiel par l’opium ; les poisons changent, mais les intentions sont les mêmes. L'héroïne, qui n'est que l'une des nombreuses toxicomanies mises sur le marché, est peut-être la plus brutale et la moins mystifiante : chaque injection est symbole de cette mort qui dans la réalité actuelle frappe l'humanité à chaque instant par l'empoisonnement des aliments, les infections, la dioxine, le cancer (maladie sociale typique), etc. L'héroïne est la drogue du désespoir, de la périphérie, des banlieues, des Noirs d'Amérique, des générations inadaptées et sans avenir, c'est par excellence la drogue de l'anéantissement sous la domination du capital, productif, en harmonie parfaite avec la fausse sécurité, toujours à un pas de la catastrophe ; c'est le dévoilement par l'absurde de la nature même du capital mortifère injecté dans chaque goutte de sang et qui inonde le cerveau pour ôter au corps toute vie, en faire un zombi qui se reproduit à l'infini tout en se putréfiant. Toute prise est identique à la précédente, l'effet de l'héro est coercition à répétition, monotonie de la vie séparée, chaque goutte de sang qui se mêle à cet infâme poison est anéantissement : le capital ne nous suce plus le sang, il l'empoisonne ; l'essence même du capital c'est l'homme-zombi. Le capital s'est anthropomorphisé. Hormis l'héroïne, il y a d'autres formes de gestion marchandisée de la vie dont l'idéologie spectaculaire de la survie use et abuse ; la monnaie d'échange du capital est la destruction de la passion et des tensions réelles. Le capital ne veut pas détruire l'homme en tant que force de travail, qui est la cause de son existence, mais il veut anéantir les caractéristiques d'humanité de l'espèce qui la lient encore au milieu, qui font que les rapports entre les hommes ne sont pas encore complètement dominés par le spectacle. Le capital face à l'éclatement insurrectionnel de zones à fortes concentrations industrielles ne peut recourir à la répression meurtrière et attend le mouvement sur le plan de la critique de la vie quotidienne encore séparée de l'explosion communautaire de la radicalité. Une des faiblesses du mouvement de 77 a été de s'opposer au pouvoir d'une manière encore politique. Il n'a pas su réaliser cette union désormais indispensable dans toute révolution future entre lutte pour la vie et pratique de la vie. On ne peut s'y décider en tant que sujets séparés (ça a été l'une des causes de la défaite des mouvements révolutionnaires du passé), l'affranchissement de la société du capital doit être total. La révolution ne se fait pas selon un modèle du passé mais prend en compte les défaites des révolutions précédentes. « Dans leur attitude envers les morts, les hommes laissent éclater leur désespoir de ne plus être capables de se souvenir d'eux-mêmes.» (Adorno-Horhheimer) Il ne faut pas sous-estimer la répression directe : dire qu'en Italie on ne peut plus parler de évolution signifie que celles et ceux qui en parlent sont jetéEs en prison, avec ou sans prétexte. Mais le plus important est que les méthodes du spectacle sont radicalement changées. Pour schématiser : jusqu'en 1977, le pouvoir cherche à récupérer la poussée révolutionnaire, dont il donne une image qu'il répand afin d'engluer le mouvement réel. D'une manière générale, il permet une certaine liberté de mouvement et laisse publier dans tous les journaux les positions qui le servent, celles en particulier qui donnent du relief à l'opposition fictive entre mouvement contre-culturel et mouvement armé. Il ne réussit pas à intervenir contre la lutte armée, mais il n'en essaie pas moins, avec toutes les forces dont il dispose, il l'attend, il cherche à la dépister. Il permet que se développent de façon disproportionnée l'idéologie et la pratique des groupes armés. À partir de 1978, le rideau est tiré. Il n'informe plus, il se limite à calomnier les révolutionnaires, toutes et tous grossièrement confonduEs, terroristes, autonomes, marginaux/ales. Il se met à diffuser des schémas, des modèles, des idéologies tout à fait différents. Le pouvoir fait passer ses propres messages : il promotionne l'idéologie du reflux, il modèle la vie sur des schémas idiots, il crée le style de la nostalgie, du revival, de l'insouciance idiote, sinistre et cynique. Au cours de l'été 1979, on assiste à une décharge de propagande sur l'héroïne dans la presse nationale. On propose de nouveaux objets de consommation de masse à celles et ceux qui se veulent orphelinEs de politicienNEs et de terroristes
En 1980, le spectacle du terrorisme resurgit pour son « grand final ». Cependant le pouvoir a réussi à contrôler de façon plus décisive, plus directe la situation italienne, grâce à des campagnes de longue haleine soutenues par une répression croissante, et dans lesquelles les deux options du 7 avril et du 21 décembre, outre leur objectif immédiat, terroriser, ont servi surtout comme source de propagande. La guerre psychologique s'est effectivement développée en Italie, mais certainement pas dans les termes dénoncés par les BR qui, en tuant des journalistes, sont eux/elles-mêmes devenuEs des protagonistes spectaculaires de l'offensive psychologique du pouvoir. En réalité, le mouvement de 77 a lui aussi commis les mêmes erreurs.

Ces faiblesses du mouvement, certainEs les payent durement encore aujourd’hui. Mais cela n'est pas toute la vérité car le pouvoir fait l'expérience de l'impossibilité pour la société italienne de réintégrer une grande partie des jeunes. En Italie, aucune entreprise ne veut plus prendre de jeunes ouvrierEs qui se révèlent aussitôt des saboteurs/euses tenaces, des gens qui « coulent » la production, qui refusent de s'adapter aux rythmes et aux horaires, bref qui s'affirment comme des absentéistes endurciEs et fantasques. Les élections politiques et l'année suivante les élections administratives ont été un choc pour les politicienNEs italienNEs du fait du taux d'abstention énorme chez les jeunes et dans les concentrations ouvrières. Une masse dispersée mais coriace de jeunes ouvrierEs et de chômeurs/euses maintient fermement son extériorité aux pouvoirs constitués. Cette masse les observe avec une face anonyme mais menaçante. 

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