samedi 8 avril 2017

Joseph Dejacques A Bas les chefs ! Part 2

L'autorité officielle ou légale, de quelque nom qu'on la décore, est toujours mensongère et malfaisante. Il n'y a de vrai et de bienfaisant que l'autorité naturelle ou anarchique. Qui fait autorité en fait et en droit, en 48 ? Est-ce le gouvernement provisoire, la commission exécutive, Cavaignac ou Bonaparte ? Ni l'un ni l'autre. Car s'ils avaient en main la force brutale, ils n'étaient eux-mêmes que des instruments, les rouages engrenés de la réaction ; ils n'étaient donc pas des moteurs, mais des machines. Toutes les autorités gouvernementales, même les plus autoritaires, ne sont que cela. elles fonctionnent par la volonté d'une faction et au service de cette faction, sauf les accidents d'intrigues, les explosions d'ambition comprimée. La véritable autorité en 48, l'autorité de salut universel ne fut donc pas dans le gouvernement, mais, comme toujours, en dehors du gouvernement, dans l'initiative individuelle : Proudhon fut son plus éminent représentant (je parle dans le peuple et non dans la Chambre). C'est en lui que se personnifia l'agitation révolutionnaire des masses. Et pour cette représentation-là, il n'est besoin ni de titre, ni de mandat légalisés. Son seul titre, il lui venait de son travail, c'était sa science, son génie. Son mandat, il ne le tenait pas des autres, des suffrages arbitraires de la force brute, mais de lui seul, de la conscience et de la spontanéité de sa force intellectuelle. Autorité naturelle et anarchique, il eut toute la part d'influence à laquelle il pouvait prétendre. Et c'est une autorité qui n'a que faire des prétoriens, car elle est la dictature de l'intelligence ; elle échauffe et elle vivifie. Sa mission n'est pas de garrotter ni de raccourcir les hommes, mais de les grandir de toute la hauteur de la tête, mais de les développer de toute la force d'expansion de leur nature mentale. Elle ne produit pas, comme l'autre, des esclaves au nom de la liberté publique, elle détruit l'esclavage au nom de l'autorité privée. elle ne s'impose pas à la plèbe en se crénelant dans un palais, en se cuirassant de mailles de fer, en chevauchant parmi ses archers, comme les barons féodaux — elle s'affirme dans le peuple, comme s'affirment les astres dans le firmament, en rayonnant sur ses satellites !!

Quelle puissance plus grande aurait eue Proudhon, au gouvernement ? Non seulement il n'en aurait pas eu davantage, mais il en aurait eu beaucoup moins, en supposant même qu'il eût pu conserver au pouvoir ses passions révolutionnaires. Sa puissance lui venant du cerveau, tout ce qui aurait été de nature à porter entrave au travail de son cerveau aurait été une attaque à sa puissance. S'il eût été un dictateur botté et éperonné, armé de pied en cap, investi de l'écharpe et de la cocarde suzeraines, il eût perdu à politiquer avec son entourage tout le temps qu'il a employé à socialiser les masses. Il aurait fait de la réaction au lieu de faire de la révolution. Voyez plutôt le châtelain du Luxembourg, Louis Blanc, le mieux intentionné peut-être de tout le gouvernement provisoire, et cependant le plus perfide, celui qui a tiré les marrons du feu pour la réaction ; qui a livré les ouvriers sermonnés aux bourgeois armés ; qui a fait comme font tous les prédicateurs en soutane ou à rubans autoritaires, qui a prêché la charité chrétienne aux pauvres afin de sauver le riche. Les titres, les mandats gouvernementaux ne sont bons que pour les nullités qui, trop lâches pour être quelque chose par elles-mêmes, veulent paraître. Ils n'ont de raison d'être que par la raison de ces avortons. L'homme fort, l'homme d'intelligence, l'homme qui est tout par le travail et rien par l'intrigue, l'homme qui est le fils de ses œuvres et non le fils de son père, de son oncle ou de n'importe quel patron, n'a rien à démêler avec ces attributions carnavalesques ; il les méprise, il les hait comme un travestissement qui souillerait sa dignité, comme quelque quelque chose d'obscène et d'infamant. L'homme faible, l'homme ignorant, mais qui a le sentiment de l'humanité, doit les redouter aussi : il ne lui faut pour cela qu'un peu de bon sens. Car si toute arlequinade est ridicule, de plus elle est odieuse ; c'est quand elle porte latte !
Tout gouvernement dictatorial, qu'il soit entendu au singulier ou au pluriel, tout pouvoir démagogique ne pourrait que retarder l'avènement de la révolution sociale en substituant son initiative, quelle qu'elle fût, sa raison omnipotente, sa volonté civique et forcée à l'initiative anarchique, à la volonté raisonnée, à l'autonomie de chacun. La révolution sociale ne peut se faire que par l'organe de tous individuellement : autrement elle n'est pas la révolution sociale. Ce qu'il faut donc, ce vers quoi il faut tendre, c'est placer tout le monde et chacun dans la possibilité, c'est-à- dire dans la nécessité d'agir, afin que le mouvement, se communiquant de l'un à l'autre, donne et reçoive l'impulsion du progrès et en décuple et en centuple la force. Ce qu'il faut enfin, c'est autant de dictateurs qu'il y a d'êtres pensants, hommes ou femmes, dans la société, afin de l'agiter, de l'insurger, de la tirer de son inertie ; et non un Loyola à bonnet rouge, un général politique pour discipliner, c'est-à-dire pour immobiliser les uns et les autres, se poser sur leur poitrine; sur leur cœur, comme un cauchemar, afin d'en étouffer les pulsations ; et sur leur front, sur leur cerveau, comme une instruction obligatoire ou catéchismale, afin d'en torturer l'entendement ! L'autorité gouvernementale, la dictature, qu'elle s'appelle empire ou république, trône ou fauteuil, sauveur de l'ordre ou comité de salut public, qu'elle existe aujourd'hui sous le nom de Bonaparte ou demain sous le nom de Blanqui ; qu'elle sorte de Ham ou de Belle-Isle, qu'elle ait dans ses insignes un aigle ou un lion empaillé... la dictature n'est que le viol de la liberté par la virilité corrompue, par les syphilitiques ; c'est le mal césarien inoculé avec des semences de reproduction dans les organes intellectuel de la génération populaire. Ce n'est pas le baiser d'émancipation, une naturelle et féconde manifestation de la puberté, c'est une fornication de la virginité avec la décrépitude, un attentat aux mœurs, un crime comme d'abus du tuteur envers sa pupille... c'est un humanicide ! Il n'y a qu'une dictature révolutionnaire, qu'une dictature humanitaire: c'est la dictature intellectuelle et morale. Tout le monde n'est-il pas libre d'y participer ? Il suffit de le vouloir pour le pouvoir. Point n'est besoin autour d'elle, et pour la faire reconnaître, de bataillons de licteurs ni de trophées de baïonnettes; elle ne marche escortée que de ses libres pensées elle n'a pour sceptre que son faisceau de lumières. Elle ne fait pas la loi, elle la découvre ; elle n'est pas autorité, elle fait autorité. Elle n'existe que par la volonté du travail et de droit de la science. Qui la nie aujourd'hui l'affirmera demain. Car elle ne commande pas la manœuvre en se boutonnant dans son inertie, comme un colonel de régiment, mais elle ordonne le mouvement en prêchant d'exemple, elle démontre le progrès par le progrès. —Tout le monde au même pas ! dit l'une, et c'est la dictature de la force brute, la dictature animale. — Qui m'aime me suive ! dit l'autre, et c'est la dictature de la force intellectualisée, la dictature hominale. L'une a pour appui tous les hommes bergers, tous les hommes à troupeaux, tout ce qui commande et obéit au bercail, tout ce qui est domicilié dans la civilisation.
L'autre a pour elle les individualités faites hommes, les intelligences décivilisées. L'une est la dernière représentation du paganisme moderne, le soir de clôture définitive, ses adieux au public. L'autre est le début d'une ère nouvelle, son entrée en scène, le triomphe du socialisme. L'une est si vieille qu'elle touche à la tombe ; l'autre si jeune qu'elle touche au berceau.




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