samedi 3 août 2024

Capitalisme & Djihadisme : une guerre de religion par Michel Surya Partie 5

 &  Ce que la passion ascétique parait avoir de commun avec l'exigence révolutionnaire (apparence à l'origine des méprises les plus considérables) : le révolutionnaire occuperait dans ce schéma la position de la tentation ascétique minoritaire ( l'exigence de l'égalité est en effet par nature ascétique) aux marges de la passion narcissique majoritaire ( par nature inégalitaire). Par là, il serait permis de comprendre que la position anti-capitaliste révolutionnaire puisse euphémiser la portée des crimes commis par les représentants les plus radicaux de la guerre entreprise au nom de la passion ascétique ( comme on l'a hélas vu après les attentats européens, par exemple).

&  Ce qui ne devrait cependant pas permettre qu'on forme de ces deux passions, révolutionnaire et religieuse, une seule, ou qu'on la conclue de l'homotéthisme de leur opposition respective au capitalisme. La passion ascétique n'est en effet et ne peut qu'être contre-révolutionnaire, en tant qu'elle est puritaine, et en tant qu'elle est anti-matérialiste par principe ( ce fut l'hésitation de Foucault sur la dite "révolution" iranienne en 1979, due à cette même mise en équivalence fâcheuse ou bon enfant.

&  L'anticapitalisme semble ne pas apercevoir, quand il soutient anticapitalisme par principe, que c'est dans tous les cas la passion ascétique qui l'emporte sur toute autre dans son opposition à celui-ci. Ni apercevoir que la passion ascétique peut, en partie au moins, s'accommoder du capitalisme, quelque narcissique qu'il soit par principe.

&  "Nul ne sait d'ailleurs rien encore de l'opposition structurelle réelle du djihadisme et du capitalisme. Les pays (du Golfe par exemple) ne manquent pas déjà où la forme exacerbée de l'un s'accommode sans mal de la forme outrancière de l'autre ( de même que le national-socialisme s'est accommodé sans mal du capitalisme qu'il promettait pourtant d'abattre.

&  L'euphémisation des crimes imputables à la passion ascétique en général, des attentats en particulier, est étrange ou cruelle - insupportable dans tous les cas. De quoi témoigne-t-elle? D'une confusion, qui tiendrait une opposition pour une homologie, sinon pour une identité, selon un postulat que la stratégie peut aléatoirement justifier, mais que la logique récuse. Se connaitre le même ennemi ne fait pas de l'intérêt de chacun des deux partis en guerre contre lui le même intérêt, moins encore de ceux-ci des partis amis.

&  L'attrait qu'exerce sur certains la passion ascétique répond sans aucun doute à la nausée qu'inspire à d'autres la passion narcissique. Tout du moins en sera-t-il ainsi aussi longtemps que la passion narcissique, en tant qu'elle est secrètement puritaine, sera ascétique aussi. Si bien que ces deux passions qu'on pense s'opposer du tout au tout dont on voudrait que tout les oppose, ne s'opposent à la fin qu'en tant qu'elles luttent pour la même domination. Du moins ne s'opposent elles pas sur ce point : elles renversent l'une sur l'autre0 leurs pulsions désaffectées ou désagrégées ( devenues sans objet).

&  La question de la désaffection ou de la désagrégation des pulsions est essentielle aujourd'hui, qui l'était déjà dans les années trente, au moment de la montée du fascisme et nazisme. Ce qu'il n'y a que Bataille et Reich à avoir vu alors. Bataille qui pense le fascisme (français en l'occurrence, mais italien ou allemand aussi bien) comme le résultat de cette désaffection ou de cette désagrégation. Qu'il pense comme extension et dilution de l'hétérogénéité naturelle : le paria ( aujourd'hui le Rom, le sans-papiers, le migrant, le réfugié); hétérogénéité aléatoire : les classes moyennes désappropriées. Le problème est le même aujourd'hui où la désaffection et la désagrégation des pulsions ne sont plus nulle part révolutionnaires et les hétérogénéisations de plus en plus involontaires.

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