mardi 20 août 2024

Excepté le possible par Michel Surya

 Je me dis: il faut être près de la mort, être très près d'elle, et depuis toujours, pour que soit donnée la possibilité ( je n'ose pas dire : la chance ) d'user d'une langue qu'on n'eût pas à justifier, dont on n'eût plus à répondre. Une telle langue - la langue de l'eau des fleurs - n'en appelle plus à personne, en effet; en même temps ce sont tous ceux à qui elle vient qui sont appelés à tenter d'aller vers elle.

Ou encore : qui sont appelés à aller vers n'importe quelle langue pourvu qu'elle n'eût rien à voir avec celles dans lesquelles il aura, non seulement fallu connaitre ces désastres, mais encore les penser ( au sujet desquels la pensée devra faire l'expérience de son désastre propre).


Or il semble que cette langue vient après un désastre de plus. Un désastre qui n'appartient qu'à celui qui la "parlécrit". C'est ce qui stupéfie. Je sais bien que nous avons en commun avec celui qui a parlécrit l'eau des fleurs tous les désastres; que nous ne pouvons pas ne pas avoir tous les désastres en commun avec lui. Mais ce qui fait la littérature, ce qui distingue entre les unes et les autres, les petites qui répètent et les grandes qui détruisent ( et créebnt?), c'est toujours ce désastre de plus. Il y a un désastre de Reynard qui ne fait que s'ajouter à tous les désastres que nous connaissons et avons en commun ( il fut aussi assez philosophe pour cela); Reynard montre un désastre qui fait que ce sont tous ceux que nous croyions connaitre que nous devons comprendre autrement. Toutes les lignes de Reynard le disent : et qu'il sait ce qu'il en est de ce qu'il faut qu'on sache tous de ce qu'il en est du sien ( en même temps, c'est d'un désastre obscur ou secret qu'il nous entretient - et qu'il dérobe, et qu'il tait - "n'écrire que pour taire").

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