dimanche 4 août 2024

Capitalisme & Djihadisme : une guerre de religion par Michel Surya Partie 6

 &  Et c'est parce que la désaffectation et la désagrégation des pulsions ne seraient plus nulle part révolutionnaires que la passion ascétique serait à peu près tout ce qu'il resterait de l'anticapitalisme (pérenne) et de l'antifascisme (circonstanciel). Ou, parce que le capitalisme serait sans dehors qu'il ne resterait d'anticapitalisme qu'ascétique. Autrement dit, il n'y aurait plus d'anticapitalisme conséquent que religieux, seul à opposer à la figure enfin achevée et canonique du marché. La question qui se pose aux anticapitalistes serait dès lors la suivante : auquel de ces deux mondes mortifères faut-il qu'ils s'allient pour qu'au moins l'un d'entre eux disparaisse? Et lequel le premier -deuxième question.

Il n'y a eu, longtemps, qu'un seul nihilisme. Un autre en est né qui, surenchérissant, lui conteste le nihilisme lui-même. Lequel l'emportera? Quoi leur opposer pour qu'aucun des deux ne l'emporte?

&  Le capitalisme : soit le soutenir dans sa totalité, soit le nier - y remédier ou lui nuire est devenu durablement impossible ( tendance lourde du capitalisme : sa consolidation définitive). Le soutenir ne souffre plus ni détail ni condition. Il en est ainsi depuis 1989. Et c'est depuis 1989 qu'à peu près tout le monde le soutient.

&  On le notera ici, quitte à y revenir : l'aversion révolutionnaire pour la religion ne souffre, elle non plus, ni détail ni condition, ce qu'on semble avoir oublié. Ce qu'on n'a peut-être pas oublié sans raison : c'est le plus souvent en effet que l'exigence révolutionnaire - de là sa perte répétitive - s'est, à rebours, paré des attributs de la religion : foi, sacrifice, expiation, messianisme, eschatisme, etc. Comme le christianisme primitif, pour s'étendre, a emprunté partout aux attributs du paganisme, le révolutionnarisme partout en Europe, en Amérique latine a emprunté aux attributs du christianisme.

&  Il n'est certes pas interdit d'en appeler encore, au titre de l'exigence révolutionnaire, au communisme en tant que tel, incompromis, c'est-à-dire à son "idée". L'"Idée" ("ce qui est obscur, douteux", en un mot, "allemand", disait Nietzsche) : soit tout ce qu'il subsiste de la chose quand elle s'est abâtardie ou absentée durablement. Ce n'est pas moins se tenir aussi loin que possible du théâtre des opérations militaires actuelles.

&  Dire : c'est la même chose qu'aimer l'argent ou aimer Dieu à ce point , ce n'est rien dire contre l'argent ni contre Dieu en tant que tels, mais beaucoup contre les formes que le besoin et l'amour se cherchent toujours et partout et pour leur consolation : laquelle, à la fin, ne serait pas à ce point nécessaire si Dieu et l'argent ne s'étaient pas eux-mêmes promis comme consolation, de quelque amour et quelque besoin que ce soit.

&  Consolation que le communisme ( entre autres révolutionnarismes ) a paru pouvoir satisfaire, le temps court - tout au plus quelques petites dizaines d'années - entre le moment où l'on n'a plus douté de la mort de Dieu, et celui où l'on s'est convaincu que la naissance de l'argent ( pour tous, en toute hypothèse) était de nature à le remplacer avantageusement.

&  Dire que l'argent est essentiellement puritain, c'est nécessairement dire, pour peu qu'on poursuive un instant l'hypothèse de la réciprocité constitutive de ces deux passion : s'il n'y a que Dieu à ne pas pouvoir être échangé contre l'argent ( fondement des religions), il n'y a que l'argent à pouvoir prétendre à l'état de totalité alternative jadis dévolue à Dieu ( fonde ment du capitalisme).

De là que leur guerre ne puisse en effet qu'être de religion.

&  Guerre de religion, et comme telle générale : c'est-à-dire aussi peu faite que possible pour épargner surtout les juifs, donc c'est toute guerre d'essence religieuse qui a toujours voulu d'abord la fin, en tant qu'elle les présume consubstantiellement liés à Dieu et à l'argent. Et les juifs sont en effet parmi ceux qu'on aura d'instinct, c'est-à-dire les premiers, tués à Paris (à Toulouse, à Bruxelles). Tueries qu'on n'aura pas entendu les révolutionnaires ou les "insurrectionnalistes" prendre si peu que ce soit en considération, encore moins déplorer, leur préférant d'autres victimes, susceptibles celles-là de consolider leurs alliances stratégiques ou de principe ( ainsi que le veut l'irénisme auquel leur situation défensive les réduit). Et leur permettant d'accuser d'abord  les conséquences il est vrai liberticides et discriminatrices de l'antiterrorisme : "Ce que je vois dans le 11 janvier, c'est d'abord une manœuvre gouvernementale obscène pour s'approprier un choc, pour s'approprier un état d'extrême vulnérabilité générale et la tentative, réussie à ce jour, de retourner en instrument de domination de la population un évènement terrible" , aura dit l'un d'entre eux.

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