« Si les hommes étaient capables de gouverner toute la
conduite de leur vie par un dessein réglé, si la fortune leur était toujours
favorable, leur âme serait libre de toute superstition. Mais comme ils sont souvent
placés dans un si fâcheux état qu’ils ne peuvent prendre aucune résolution
raisonnable, comme ils flottent presque toujours misérablement entre
l’espérance et la crainte, pour des biens incertains qu’ils ne savent pas
désirer avec mesure, leur esprit s’ouvre alors à la plus extrême crédulité ; il
chancelle dans l’incertitude ; la moindre impulsion le jette en mille sens
divers, et les agitations de l’espérance et de la crainte ajoutent encore à son
inconstance. Du reste, observez-le en d’autres rencontres, vous le trouverez
confiant dans l’avenir, plein de jactance et d’orgueil. »
Quinte Curce (liv. VI, ch. 18) : "Il n’y a pas de moyen plus efficace que
la superstition pour gouverner la multitude."
A propos des croyants :
« Il ne leur a pas suffi de donner dans les rêveries
insensées des Grecs, ils ont voulu les mettre dans la bouche des prophètes ; ce
qui prouve bien qu’ils ne voient la divinité de l’Écriture qu’à la façon des
gens qui rêvent ; et plus ils s’extasient sur les profondeurs de l’Écriture,
plus ils témoignent que ce n’est pas de la foi qu’ils ont pour elle, mais une
aveugle complaisance ».
« Par conséquent, ceux qui occupent le pouvoir ont un
droit absolu sur toutes choses ; eux seuls sont les dépositaires du droit et de
la liberté, et les autres hommes ne doivent agir que selon leurs volontés. Mais
comme personne ne peut se priver du pouvoir de se défendre soi-même au point de
cesser d’être homme, j’en conclus que personne ne peut se dépouiller absolument
de son droit naturel, et que les sujets, par conséquent, retiennent toujours
certains droits qui ne peuvent leur être enlevés sans un grand péril pour
l’État, et leur sont toujours accordés par les souverains, soit en vertu d’une
concession tacite, soit en vertu d’une stipulation expresse ».
« …je sais qu’il est également impossible de délivrer
le vulgaire de la superstition et de la peur ; je sais enfin que la constance
du vulgaire, c’est l’entêtement, et que ce n’est point la raison qui règle ses
louanges et ses mépris, mais l’emportement de la passion ».
« ll résulte du chapitre précédent que des prophètes n’eurent
pas en partage une âme plus parfaite que celle des autres hommes, mais
seulement une puissance d’imagination plus forte. »
« Je remarque enfin que la liberté une fois donnée aux
hommes, il est extrêmement difficile de la leur reprendre. Voici maintenant la
conclusion où j’en veux venir. Premièrement, le pouvoir doit être, autant que
possible, entre les mains de la société tout entière, pour que chacun n’obéisse
qu’à soi-même et non à son égal ; ou si l’on donne le pouvoir à un petit
nombre, ou même à un seul, ce dépositaire unique de l’autorité doit avoir en
lui quelque chose qui l’élève audessus de la nature humaine, ou du moins il
doit s’efforcer de le faire croire au vulgaire. En second lieu, les lois
doivent être, dans un État quelconque, instituées de telle sorte que les hommes
y soient contenus moins par la crainte du châtiment que par l’espérance des
biens qu’ils désirent avec le plus d’ardeur ; car de cette façon le devoir est
pour chacun d’accord avec ses désirs. Enfin, puisque l’obéissance consiste à se
conformer à un certain ordre en vertu du seul pouvoir de celui qui le donne, il
s’ensuit que dans une société où le pouvoir est entre les mains de tous et où
les lois se font du consentement de tout le monde, personne n’est sujet à
l’obéissance ; et soit que la rigueur des lois augmente ou diminue, le peuple
est toujours également libre, puisqu’il agit de son propre gré, et non par la
crainte d’une autorité étrangère. C’est justement le contraire qui arrive dans
un gouvernement absolu : tous les citoyens y agissent en effet par l’autorité
d’un seul ; et s’ils n’ont pas pris dès l’enfance l’habitude de cette
dépendance, il sera difficile au souverain d’introduire de nouvelles lois et de
reprendre au peuple la part de liberté qu’il lui aura une fois accordée. »
« Or on sait que pour réussir à la guerre il faut
plutôt encourager les soldats que les effrayer par des menaces et des supplices
; car alors chacun a plus de zèle pour faire briller son courage et sa grandeur
d’âme qu’il n’en aurait pour éviter un châtiment. C’est pour cela que Moïse,
par vertu divine et par ordre divin, introduisit la religion dans le
gouvernement ; de cette façon le peuple faisait son devoir, non par crainte,
mais par dévotion. »
« Enfin, pour que le peuple, qui était incapable de se
gouverner par lui-même, fût dans une dépendance étroite de son chef, il ne
laissa aucune des actions de la vie à la discrétion de ces hommes qu’un long
esclavage avait accoutumés à l’obéissance ; si bien qu’il leur était impossible
d’agir un seul instant sans être obligés de se souvenir de la loi et d’obéir à
ses prescriptions, c’est-à-dire à la volonté du souverain. »
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