Texte de la grève des
relieurs :
« 26 août 1864 Paris, le 26 août 1864 M. Les Ouvriers
Relieurs désirent depuis longtemps la réduction de la durée du travail. Le
progrès moral et matériel de notre société, ainsi que le besoin de
conservation, font de cette réduction une nécessité de jour en jour plus
impérieuse. Le développement de l’industrie doit avoir pour résultat
l’augmentation du bien-être de tous. La
production augmentant chaque
jour, par l’extension de l’emploi des machines, le riche ne suffit plus à la
consommation ; il faut donc que l’ouvrier devienne consommateur, et pour cela
il lui faut un salaire assez élevé pour acquérir, et le temps nécessaire pour
pouvoir posséder, ou que l’industrie arrête ses progrès. Ce qui est vrai pour
l’industrie en général est particulièrement vrai pour notre métier ; pour qu’il
prospère, il faut que l’instruction soit répandue à flots et que l’ouvrier ait
le temps nécessaire pour la recevoir et la développer. Quand les millions de
prolétaires auront le temps de lire et les moyens d’avoir des livres, alors la
reliure prendra une extension considérable et atteindra une prospérité dont
elle est loin actuellement. Puisque l’avenir de la reliure est dans
l’amélioration du sort des masses, les relieurs devraient donner l’exemple.
Malheureusement il n’en est pas ainsi et, tandis que dans la plupart des autres
métiers la journée des ouvriers a été réduite à dix heures de travail, elle est
encore de douze heures dans le nôtre. Cependant la reliure aussi a pris sa part
dans la marche du progrès en activant sa production ; pourquoi donc ne la
compléterait-elle pas en réduisant la durée de travail de ses ouvriers ? Le
fait matériel de l’augmentation du labeur, par l’emploi de nouvelles machines
et de moyens plus expéditifs de travailler, suffirait pour demander une
réduction de travail nécessaire au repos du corps ; mais l’esprit et le cœur en
ont surtout besoin. L’instruction nous est rendue impossible par la longueur de
notre journée ; cependant notre état exige que nous soyons instruits. Notre
industrie, par ses besoins de perfectionnement, nous rend l’éducation aussi
nécessaire qu’elle nous rend l’ignorance pénible en nous mettant chaque jour
tant de livres entre les mains. De tous côtés des hommes instruits se groupent
et s’offrent à nous communiquer la
science, mais leur dévouement est inutile pour nous, étant dans l’impossibilité
d’en profiter. La famille, pour nous, aurait aussi ses charmes et sa puissance
moralisante ; mais nous sommes privés de ses caresses qui font oublier les
fatigues et donnent du courage pour le lendemain. Les devoirs du père de
famille, les besoins du ménage, les joies de l’intérieur nous sont impossibles
et inconnus, l’atelier absorbant nos forces et toutes nos heures. Nous
demandons aussi une augmentation de salaire pour les heures supplémentaires,
non dans le but de gagner davantage, mais d’empêcher qu’on abuse du travail de
nuit qui n’est jamais lucratif et qui est toujours nuisible à la santé. C’est,
nous le croyons, le plus sûr remède au chômage. Nous gémissons de voir que
beaucoup d’ouvriers sont sans ouvrage et souvent sans ressources une grande
partie de l’année. Avec ces nouvelles propositions, ces bras inoccupés
travailleront, et nous pourrons arriver à supprimer les heures de nuit, si
nuisibles à la bonne exécution des travaux et si peu profitables à tous. Nous
insistons beaucoup sur cette réforme qui est pour nous le plus sérieux progrès.
Nos propositions devant avoir pour résultat la régénération de notre métier,
patrons et ouvriers sont également intéressés à en discuter les moyens
d’application. Nous vous prions donc de bien vouloir venir à la réunion qui
aura lieu à cet effet le dimanche,11 septembre, à 9 heures du matin, rue de
Cluny, 11, salle Gesell.
Au nom de tous nos camarades : Lancelin Auguste,
Marsille Amédée, Varlin Eugène, Lemettais Benjamin, Barrier Élie, Bouvinet
Charles, Billard Eugène, Chevraud Jules, Clerambeau Henri, Dumont Eugène,
Faciot Marius, Frenoir Alexandre, Gouet Léon, Paucheville Achille, Provenat
Pierre, Thomelin Just, Vavasseur Adrien, Viard Louis, Vigny Louis. bnf Vp 29229
11 septembre 1864 Monsieur, La réunion que nous devions
avoir le 11 courant pour nous entendre entre patrons et ouvriers n’ayant pu
avoir lieu, il ne nous a pas été possible de débattre ensemble les conditions
d’application de nos demandes. Nous nous sommes consultés entre nous et nous
avons l’honneur de vous soumettre les conditions que nous avons arrêtées
définitivement : 1. Réduire la journée de 12 heures à 10 ; 2. Fixer le
salaire de la journée de 10 heures à un taux équivalent à celui de 11
actuellement ; 3. Augmenter le salaire des heures supplémentaires ; 4. Cette
augmentation fixée à un quart en plus, c’est-à-dire 1 heure payée comme une
heure 1/4, 2 heures comme 2 heures 1/2, et 8 heures comme une journée de 10
heures. Nous demandons que ces propositions soient réalisables au 25 courant,
et nous attendons votre réponse pour cette époque. Paris, le 11 septembre 1864.
À la fin du mois de septembre, la majorité des patrons cède,
les relieurs ont gagné. »
Lors d’un congrès des ouvriers en 1866 : le citoyen Varlin : « Comme vous
tous, je reconnais que le travail des femmes dans les manufactures, tel qu’il
se pratique, ruine le corps et engendre la corruption. Mais partant de ce fait,
nous ne pouvons condamner le travail des femmes d’une manière générale ; car
vous qui voulez enlever la femme à la prostitution, comment pourrez-vous le
faire si vous ne lui donnez le moyen de gagner sa vie. Que deviendront les
veuves et les orphelins ? Elles seront obligées ou de tendre la main ou de se
prostituer. Condamner le travail des femmes, c’est reconnaître la charité et
autoriser la prostitution. »
« 29 juillet 1865 Messieurs, Qu’il me soit permis, tout
d’abord, de remercier la Société typographique parisienne de sa bienveillante
et fraternelle invitation*. Mes camarades et moi, nous sommes heureux de saisir
cette occasion pour témoigner
publiquement de notre
gratitude à nos confrères typographes et leur assurer que désormais la
solidarité est établie entre nous. La solidarité depuis quelques années était
dans toutes les bouches ; aujourd’hui elle pénètre dans les cœurs, elle
s’établit dans les mœurs. Les ouvriers comprennent enfin qu’elle seule peut les
affranchir de cette lutte incessante produite par l’individualisme ; lutte qui
n’a d’autre règle que le hasard et qui réussit plus souvent à la ruse qu’au
courage, au vice qu’à l’intelligence. Ceux-là méritent toute notre estime,
toute notre reconnaissance, qui en ont jeté les premiers jalons. Elle a grandi
depuis, et les ouvriers, après s’être solidarisés par groupes de profession ou
d’affinité, ont cherché à relier ces groupes entre eux. Déjà on ne s’en tient
plus aux groupes avec lesquels on se trouvait en contact, et les bases d’une
vaste association internationale ouvrière ont été posées dans le but d’établir
la solidarité universelle. Il ne faut cependant pas s’illusionner, il y a
encore de grandes difficultés à vaincre, de nombreux obstacles à surmonter pour
compléter notre œuvre ; et il n’y aura pas trop des efforts de tous les hommes
de cœur. Ce que nous devons surtout combattre de toutes nos forces, c’est l’ignorance,
la routine et les préjugés ; car ce sont là les plus grands obstacles que nous
rencontrons sur la route du progrès. Ce qu’il faut, pour les combattre, c’est
le développement de l’éducation des masses. Aujourd’hui, tout le monde
reconnaît la nécessité de l’instruction et discute les moyens de la répandre ;
mais, en attendant, un grand nombre de nos camarades en sont privés et la
génération future, même, n’est pas assurée d’en posséder les éléments
indispensables. Des professeurs, des hommes instruits, se sont courageusement
dévoués à l’instruction des ouvriers ; nous devons profiter de toutes occasions
pour les remercier de leurs efforts. Mais, ce qu’il faut surtout aux ouvriers,
c’est plutôt une éducation pratique qu’une instruction théorique ; celle-ci
n’offre pas à beaucoup d’entre eux, privés des premières notions indispensables
à l’étude froide et théorique de la science, assez d’attraits pour qu’ils s’y
livrent après un labeur journalier souvent pénible. L’éducation est plus
accessible à tous, elle demande moins de travail, d’assiduité, d’efforts
intellectuels ; et si, comme Jean-Jacques Rousseau, nous lui proposons pour but
de former le cœur, le jugement et l’esprit, nous pourrions nous estimer heureux
de la voir se répandre partout. Pour que l’éducation soit pratique, elle doit
être l’œuvre de tous. Chacun de nous doit faire participer ses camarades aux
avantages qui résultent pour lui de son expérience et de ses observations. Mais
le moyen d’appliquer ce genre d’éducation mutuelle ? me direz-vous. Le moyen !
Gutenberg ne l’a-t-il pas trouvé ? L’imprimerie n’est-elle pas là ? Des
ouvriers ont créé la Bibliothèque nationale. Des ouvriers vont faire paraître
un journal : La Presse ouvrière. Que chacun de nous veuille concourir à
ces tentatives, et nous aurons résolu le problème de l’éducation mutuelle.
Messieurs, l’émancipation matérielle des travailleurs ne peut exister sans leur
émancipation morale et intellectuelle ; c’est pourquoi je vous propose ce
toast : À l’émancipation intellectuelle des travailleurs ! »
« Les délégués français et quelques Suisses demandaient
que, pour être admis, il fallût justifier de sa qualité de travailleur manuel
afin de tenir à l’écart tous ces soi-disant amis du peuple qui n’ont d’autre
but que de le tromper, en le caressant, que de se servir de lui, pour atteindre
ce but à la satisfaction de leurs intérêts ou de leur amour-propre… »
« 20 octobre 1867 Commission ouvrière M. Varlin,
relieur, croit que la femme doit travailler et doit être rétribuée pour son
travail. Il croit que ceux qui veulent lui refuser le droit au travail veulent
la mettre pour toujours sous la dépendance de l’homme. Nul n’a le droit de lui
refuser le seul moyen d’être véritablement libre. Elle doit se suffire à
elle-même, et comme ses besoins sont aussi grands que les nôtres, elle doit
être rétribuée comme nousmêmes. Que le travail soit fait par un homme, qu’il
soit fait par une femme : même produit, même salaire. Par ce moyen, la
femme ne fera pas baisser le salaire de l’homme, et son travail la fera libre ! »
«Janvier 1868 Aux ouvriers ! Aux ouvrières ! Aux
consommateurs ! Appel pour la formation d’une cuisine coopérative.
Depuis quelques années les ouvriers ont fait de grands
efforts pour obtenir l’augmentation de leurs salaires, espérant ainsi améliorer
leur sort. Aujourd’hui les spéculateurs prennent leur revanche et font payer
cher les aspirations des travailleurs en produisant une hausse excessive sur
tous les objets de première nécessité et particulièrement sur l’alimentation.
On a proclamé la liberté du commerce ; la spéculation en use pour nous
exploiter à merci. Travailleurs ! consommateurs ! ne cherchons pas ailleurs que
dans la liberté le moyen d’améliorer les conditions de notre existence.
L’association libre, en multipliant nos forces, nous permet de nous affranchir
de tous ces intermédiaires parasites dont nous voyons chaque jour les fortunes
s’élever aux dépens de notre bourse et souvent de notre santé. Associons-nous
donc, non seulement pour défendre notre salaire, mais encore, mais surtout pour
la défense de notre nourriture quotidienne. Déjà, des sociétés
d’approvisionnement de denrées de consommation se sont formées et fournissent à
leurs membres des denrées alimentaires de bonne qualité et à prix de revient ;
une vaste Société coopérative s’organise pour fabriquer et fournir à ses
sociétaires du bon pain, à bon marché ; mais les gens de ménage seulement
peuvent profiter des avantages de ces sociétés. Une nombreuse population
d’ouvriers, d’ouvrières, absorbée par un travail journalier incessant, ne peut
s’alimenter qu’au dehors, dans des établissements publics où l’on trouve le
luxe avec la cherté, ou bien, avec un bon marché relatif, une nourriture
malsaine ou un service malpropre. C’est à cette nombreuse population de
travailleurs, c’est à vous tous, ouvriers, ouvrières surtout qui voyez
disparaître si vite le modique salaire de vos laborieuses journées que nous
faisons appel. Unissons-nous. Formons une société coopérative d’alimentation.
Quelques cotisations nous permettront facilement l’achat d’ustensiles de
cuisine et la location d’un logement où quelques employés, travailleurs comme
nous et nos associés, nous prépareront une nourriture saine et abondante que
nous pourrons, à notre gré, consommer dans notre établissement ou emporter chez
nous. Point de luxe, point de dorures ni de glaces, mais de la propreté, mais
du confortable. Nous réaliserons là des avantages que n’obtiennent pas les
ménages : économie de temps, car il n’est pas plus long d’approvisionner
et de faire cuire pour cinquante personnes que pour deux ou trois ; meilleure
cuisine, car une personne de métier y consacrant son temps et son savoir doit
faire mieux qu’une ménagère sans instruction culinaire et souvent pressée par
le temps. Nous obtiendrons même, pour nos approvisionnements, des conditions
meilleures que la plupart des gargotiers, en nous unissant, pour nos achats,
avec les Sociétés de consommation existantes. Que tous les consommateurs
soucieux de leur bienêtre se joignent à nous et bientôt nous ouvrirons un
premier établissement dans le sixième arrondissement, où réside le groupe
d’initiative, puis successivement, au fur et à mesure que nos ressources le
permettront, nous en ouvrirons dans tous les quartiers où nous aurons réuni un
nombre suffisant d’adhérents. On peut adhérer dès maintenant et se procurer
gratuitement le projet de statuts : Au siège de la Société civile de
consommation La Ménagère, rue Saint-Jacques, 21, tous les soirs, de 8 à
10 h., et le dimanche toute la matinée ; et chez MM. Loiseau,
menuisier, rue Hautefeuille, 20 ; Rifflet, relieur, rue Grégoire-de-Tours, 42.
Une assemblée générale aura lieu dimanche prochain, 19
janvier, à 1 heure et demie précise dans le petit amphithéâtre de l’École
de médecine.
Ordre du jour : Discussion des statuts et constitution
immédiate de la société. Les adhésions ne seront définitives qu’aussitôt
l’adoption des statuts ; jusque-là les adhérents conservent la faculté de se
retirer si quelques dispositions adoptées par l’assemblée ne les satisfaisaient
pas. Le comité d’initiative du conseil de la société La Ménagère et du conseil
de la Société de crédit mutuel des ouvriers relieurs
Varlin, Eugène, relieur ; Bourdon, Antoine, graveur ; Gouet,
Léon, relieur ; Boullet, Just, relieur ; Delacour, Alphonse, relieur ; Lemel,
Nathalie, relieuse ; Varlin, Louis, expéditionnaire ; Lagneau, gainier. On
est prié de faire circuler. »
« C’est d’une question de solidarité qu’il s’agit. Les
patrons genevois refusent de traiter avec l’Internationale ; ils veulent,
disent-ils, traiter avec leurs ouvriers personnellement. Nous savons ce qu’il
en coûte, à l’ouvrier, de traiter seul avec ses patrons. Que tous les
travailleurs y songent bien, la cause qui s’agite à Genève aujourd’hui,
s’agitera ici demain ; ce n’est que par l’union que les travailleurs peuvent
défendre leur salaire. »
« La grève, pour nous, n’est qu’un moyen barbare de
régler les salaires ; nous ne l’employons jamais qu’à regret ; car il est
toujours pénible pour l’ouvrier de se priver, lui et sa famille, pendant
plusieurs semaines, plusieurs mois quelquefois, pour n’obtenir jamais qu’un
salaire inéquitable. »
« L’Antiquité est morte d’avoir gardé dans ses flancs
la plaie de l’esclavage ; l’ère moderne fera son temps si elle ne tient pas
plus compte des souffrances du grand nombre, et si elle persiste à croire que
tous doivent travailler et s’imposer des privations pour procurer le luxe à
quelquesuns, si elle ne veut pas voir ce qu’il y a d’atroce dans une
organisation sociale dont on peut tirer des comparaisons comme celle-ci »
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