dimanche 24 mai 2020

Eugène varlin partie 1




 Texte de la grève des relieurs :
« 26 août 1864 Paris, le 26 août 1864 M. Les Ouvriers Relieurs désirent depuis longtemps la réduction de la durée du travail. Le progrès moral et matériel de notre société, ainsi que le besoin de conservation, font de cette réduction une nécessité de jour en jour plus impérieuse. Le développement de l’industrie doit avoir pour résultat l’augmentation du bien-être de tous. La  production  augmentant chaque jour, par l’extension de l’emploi des machines, le riche ne suffit plus à la consommation ; il faut donc que l’ouvrier devienne consommateur, et pour cela il lui faut un salaire assez élevé pour acquérir, et le temps nécessaire pour pouvoir posséder, ou que l’industrie arrête ses progrès. Ce qui est vrai pour l’industrie en général est particulièrement vrai pour notre métier ; pour qu’il prospère, il faut que l’instruction soit répandue à flots et que l’ouvrier ait le temps nécessaire pour la recevoir et la développer. Quand les millions de prolétaires auront le temps de lire et les moyens d’avoir des livres, alors la reliure prendra une extension considérable et atteindra une prospérité dont elle est loin actuellement. Puisque l’avenir de la reliure est dans l’amélioration du sort des masses, les relieurs devraient donner l’exemple. Malheureusement il n’en est pas ainsi et, tandis que dans la plupart des autres métiers la journée des ouvriers a été réduite à dix heures de travail, elle est encore de douze heures dans le nôtre. Cependant la reliure aussi a pris sa part dans la marche du progrès en activant sa production ; pourquoi donc ne la compléterait-elle pas en réduisant la durée de travail de ses ouvriers ? Le fait matériel de l’augmentation du labeur, par l’emploi de nouvelles machines et de moyens plus expéditifs de travailler, suffirait pour demander une réduction de travail nécessaire au repos du corps ; mais l’esprit et le cœur en ont surtout besoin. L’instruction nous est rendue impossible par la longueur de notre journée ; cependant notre état exige que nous soyons instruits. Notre industrie, par ses besoins de perfectionnement, nous rend l’éducation aussi nécessaire qu’elle nous rend l’ignorance pénible en nous mettant chaque jour tant de livres entre les mains. De tous côtés des hommes instruits se groupent et s’offrent à nous  communiquer la science, mais leur dévouement est inutile pour nous, étant dans l’impossibilité d’en profiter. La famille, pour nous, aurait aussi ses charmes et sa puissance moralisante ; mais nous sommes privés de ses caresses qui font oublier les fatigues et donnent du courage pour le lendemain. Les devoirs du père de famille, les besoins du ménage, les joies de l’intérieur nous sont impossibles et inconnus, l’atelier absorbant nos forces et toutes nos heures. Nous demandons aussi une augmentation de salaire pour les heures supplémentaires, non dans le but de gagner davantage, mais d’empêcher qu’on abuse du travail de nuit qui n’est jamais lucratif et qui est toujours nuisible à la santé. C’est, nous le croyons, le plus sûr remède au chômage. Nous gémissons de voir que beaucoup d’ouvriers sont sans ouvrage et souvent sans ressources une grande partie de l’année. Avec ces nouvelles propositions, ces bras inoccupés travailleront, et nous pourrons arriver à supprimer les heures de nuit, si nuisibles à la bonne exécution des travaux et si peu profitables à tous. Nous insistons beaucoup sur cette réforme qui est pour nous le plus sérieux progrès. Nos propositions devant avoir pour résultat la régénération de notre métier, patrons et ouvriers sont également intéressés à en discuter les moyens d’application. Nous vous prions donc de bien vouloir venir à la réunion qui aura lieu à cet effet le dimanche,11 septembre, à 9 heures du matin, rue de Cluny, 11, salle Gesell.
Au nom de tous nos camarades : Lancelin Auguste, Marsille Amédée, Varlin Eugène, Lemettais Benjamin, Barrier Élie, Bouvinet Charles, Billard Eugène, Chevraud Jules, Clerambeau Henri, Dumont Eugène, Faciot Marius, Frenoir Alexandre, Gouet Léon, Paucheville Achille, Provenat Pierre, Thomelin Just, Vavasseur Adrien, Viard Louis, Vigny Louis. bnf Vp 29229

11 septembre 1864 Monsieur, La réunion que nous devions avoir le 11 courant pour nous entendre entre patrons et ouvriers n’ayant pu avoir lieu, il ne nous a pas été possible de débattre ensemble les conditions d’application de nos demandes. Nous nous sommes consultés entre nous et nous avons l’honneur de vous soumettre les conditions que nous avons arrêtées définitivement : 1. Réduire la journée de 12 heures à 10 ; 2. Fixer le salaire de la journée de 10 heures à un taux équivalent à celui de 11 actuellement ; 3. Augmenter le salaire des heures supplémentaires ; 4. Cette augmentation fixée à un quart en plus, c’est-à-dire 1 heure payée comme une heure 1/4, 2 heures comme 2 heures 1/2, et 8 heures comme une journée de 10 heures. Nous demandons que ces propositions soient réalisables au 25 courant, et nous attendons votre réponse pour cette époque. Paris, le 11 septembre 1864.

À la fin du mois de septembre, la majorité des patrons cède, les relieurs ont gagné. »


Lors d’un congrès des ouvriers en 1866 :  le citoyen Varlin : « Comme vous tous, je reconnais que le travail des femmes dans les manufactures, tel qu’il se pratique, ruine le corps et engendre la corruption. Mais partant de ce fait, nous ne pouvons condamner le travail des femmes d’une manière générale ; car vous qui voulez enlever la femme à la prostitution, comment pourrez-vous le faire si vous ne lui donnez le moyen de gagner sa vie. Que deviendront les veuves et les orphelins ? Elles seront obligées ou de tendre la main ou de se prostituer. Condamner le travail des femmes, c’est reconnaître la charité et autoriser la prostitution. »

« 29 juillet 1865 Messieurs, Qu’il me soit permis, tout d’abord, de remercier la Société typographique parisienne de sa bienveillante et fraternelle invitation*. Mes camarades et moi, nous sommes heureux de saisir cette occasion pour témoigner
 publiquement de notre gratitude à nos confrères typographes et leur assurer que désormais la solidarité est établie entre nous. La solidarité depuis quelques années était dans toutes les bouches ; aujourd’hui elle pénètre dans les cœurs, elle s’établit dans les mœurs. Les ouvriers comprennent enfin qu’elle seule peut les affranchir de cette lutte incessante produite par l’individualisme ; lutte qui n’a d’autre règle que le hasard et qui réussit plus souvent à la ruse qu’au courage, au vice qu’à l’intelligence. Ceux-là méritent toute notre estime, toute notre reconnaissance, qui en ont jeté les premiers jalons. Elle a grandi depuis, et les ouvriers, après s’être solidarisés par groupes de profession ou d’affinité, ont cherché à relier ces groupes entre eux. Déjà on ne s’en tient plus aux groupes avec lesquels on se trouvait en contact, et les bases d’une vaste association internationale ouvrière ont été posées dans le but d’établir la solidarité universelle. Il ne faut cependant pas s’illusionner, il y a encore de grandes difficultés à vaincre, de nombreux obstacles à surmonter pour compléter notre œuvre ; et il n’y aura pas trop des efforts de tous les hommes de cœur. Ce que nous devons surtout combattre de toutes nos forces, c’est l’ignorance, la routine et les préjugés ; car ce sont là les plus grands obstacles que nous rencontrons sur la route du progrès. Ce qu’il faut, pour les combattre, c’est le développement de l’éducation des masses. Aujourd’hui, tout le monde reconnaît la nécessité de l’instruction et discute les moyens de la répandre ; mais, en attendant, un grand nombre de nos camarades en sont privés et la génération future, même, n’est pas assurée d’en posséder les éléments indispensables. Des professeurs, des hommes instruits, se sont courageusement dévoués à l’instruction des ouvriers ; nous devons profiter de toutes occasions pour les remercier de leurs efforts. Mais, ce qu’il faut surtout aux ouvriers, c’est plutôt une éducation pratique qu’une instruction théorique ; celle-ci n’offre pas à beaucoup d’entre eux, privés des premières notions indispensables à l’étude froide et théorique de la science, assez d’attraits pour qu’ils s’y livrent après un labeur journalier souvent pénible. L’éducation est plus accessible à tous, elle demande moins de travail, d’assiduité, d’efforts intellectuels ; et si, comme Jean-Jacques Rousseau, nous lui proposons pour but de former le cœur, le jugement et l’esprit, nous pourrions nous estimer heureux de la voir se répandre partout. Pour que l’éducation soit pratique, elle doit être l’œuvre de tous. Chacun de nous doit faire participer ses camarades aux avantages qui résultent pour lui de son expérience et de ses observations. Mais le moyen d’appliquer ce genre d’éducation mutuelle ? me direz-vous. Le moyen ! Gutenberg ne l’a-t-il pas trouvé ? L’imprimerie n’est-elle pas là ? Des ouvriers ont créé la Bibliothèque nationale. Des ouvriers vont faire paraître un journal : La Presse ouvrière. Que chacun de nous veuille concourir à ces tentatives, et nous aurons résolu le problème de l’éducation mutuelle. Messieurs, l’émancipation matérielle des travailleurs ne peut exister sans leur émancipation morale et intellectuelle ; c’est pourquoi je vous propose ce toast : À l’émancipation intellectuelle des travailleurs ! »

« Les délégués français et quelques Suisses demandaient que, pour être admis, il fallût justifier de sa qualité de travailleur manuel afin de tenir à l’écart tous ces soi-disant amis du peuple qui n’ont d’autre but que de le tromper, en le caressant, que de se servir de lui, pour atteindre ce but à la satisfaction de leurs intérêts ou de leur amour-propre… »

« 20 octobre 1867 Commission ouvrière M. Varlin, relieur, croit que la femme doit travailler et doit être rétribuée pour son travail. Il croit que ceux qui veulent lui refuser le droit au travail veulent la mettre pour toujours sous la dépendance de l’homme. Nul n’a le droit de lui refuser le seul moyen d’être véritablement libre. Elle doit se suffire à elle-même, et comme ses besoins sont aussi grands que les nôtres, elle doit être rétribuée comme nousmêmes. Que le travail soit fait par un homme, qu’il soit fait par une femme : même produit, même salaire. Par ce moyen, la femme ne fera pas baisser le salaire de l’homme, et son travail la fera libre ! »

«Janvier 1868 Aux ouvriers ! Aux ouvrières ! Aux consommateurs ! Appel pour la formation d’une cuisine coopérative.
Depuis quelques années les ouvriers ont fait de grands efforts pour obtenir l’augmentation de leurs salaires, espérant ainsi améliorer leur sort. Aujourd’hui les spéculateurs prennent leur revanche et font payer cher les aspirations des travailleurs en produisant une hausse excessive sur tous les objets de première nécessité et particulièrement sur l’alimentation. On a proclamé la liberté du commerce ; la spéculation en use pour nous exploiter à merci. Travailleurs ! consommateurs ! ne cherchons pas ailleurs que dans la liberté le moyen d’améliorer les conditions de notre existence. L’association libre, en multipliant nos forces, nous permet de nous affranchir de tous ces intermédiaires parasites dont nous voyons chaque jour les  fortunes s’élever aux dépens de notre bourse et souvent de notre santé. Associons-nous donc, non seulement pour défendre notre salaire, mais encore, mais surtout pour la défense de notre nourriture quotidienne. Déjà, des sociétés d’approvisionnement de denrées de consommation se sont formées et fournissent à leurs membres des denrées alimentaires de bonne qualité et à prix de revient ; une vaste Société coopérative s’organise pour fabriquer et fournir à ses sociétaires du bon pain, à bon marché ; mais les gens de ménage seulement peuvent profiter des avantages de ces sociétés. Une nombreuse population d’ouvriers, d’ouvrières, absorbée par un travail journalier incessant, ne peut s’alimenter qu’au dehors, dans des établissements publics où l’on trouve le luxe avec la cherté, ou bien, avec un bon marché relatif, une nourriture malsaine ou un service malpropre. C’est à cette nombreuse population de travailleurs, c’est à vous tous, ouvriers, ouvrières surtout qui voyez disparaître si vite le modique salaire de vos laborieuses journées que nous faisons appel. Unissons-nous. Formons une société coopérative d’alimentation. Quelques cotisations nous permettront facilement l’achat d’ustensiles de cuisine et la location d’un logement où quelques employés, travailleurs comme nous et nos associés, nous prépareront une nourriture saine et abondante que nous pourrons, à notre gré, consommer dans notre établissement ou emporter chez nous. Point de luxe, point de dorures ni de glaces, mais de la propreté, mais du confortable. Nous réaliserons là des avantages que n’obtiennent pas les ménages : économie de temps, car il n’est pas plus long d’approvisionner et de faire cuire pour cinquante personnes que pour deux ou trois ; meilleure cuisine, car une personne de métier y consacrant son temps et son savoir doit faire mieux qu’une ménagère sans instruction culinaire et souvent pressée par le temps. Nous obtiendrons même, pour nos approvisionnements, des conditions meilleures que la plupart des gargotiers, en nous unissant, pour nos achats, avec les Sociétés de consommation existantes. Que tous les consommateurs soucieux de leur bienêtre se joignent à nous et bientôt nous ouvrirons un premier établissement dans le sixième arrondissement, où réside le groupe d’initiative, puis successivement, au fur et à mesure que nos ressources le permettront, nous en ouvrirons dans tous les quartiers où nous aurons réuni un nombre suffisant d’adhérents. On peut adhérer dès maintenant et se procurer gratuitement le projet de statuts : Au siège de la Société civile de consommation La  Ménagère, rue Saint-Jacques, 21, tous les soirs, de 8 à 10  h., et le dimanche toute la matinée ; et chez MM.  Loiseau, menuisier, rue Hautefeuille, 20 ; Rifflet, relieur, rue Grégoire-de-Tours, 42.
Une assemblée générale aura lieu dimanche prochain, 19 janvier, à 1 heure et demie précise dans le petit amphithéâtre de l’École de médecine.
Ordre du jour : Discussion des statuts et constitution immédiate de la société. Les adhésions ne seront définitives qu’aussitôt l’adoption des statuts ; jusque-là les adhérents conservent la faculté de se retirer si quelques dispositions adoptées par l’assemblée ne les satisfaisaient pas. Le comité d’initiative du conseil de la société La Ménagère et du conseil de la Société de crédit mutuel des ouvriers relieurs
Varlin, Eugène, relieur ; Bourdon, Antoine, graveur ; Gouet, Léon, relieur ; Boullet, Just, relieur ; Delacour, Alphonse, relieur ; Lemel, Nathalie, relieuse ; Varlin, Louis, expéditionnaire ; Lagneau, gainier. On est prié de faire circuler. »

« C’est d’une question de solidarité qu’il s’agit. Les patrons genevois refusent de traiter avec l’Internationale ; ils veulent, disent-ils, traiter avec leurs ouvriers personnellement. Nous savons ce qu’il en coûte, à l’ouvrier, de traiter seul avec ses patrons. Que tous les travailleurs y songent bien, la cause qui s’agite à Genève aujourd’hui, s’agitera ici demain ; ce n’est que par l’union que les travailleurs peuvent défendre leur salaire. »

« La grève, pour nous, n’est qu’un moyen barbare de régler les salaires ; nous ne l’employons jamais qu’à regret ; car il est toujours pénible pour l’ouvrier de se priver, lui et sa famille, pendant plusieurs semaines, plusieurs mois quelquefois, pour n’obtenir jamais qu’un salaire inéquitable. »

« L’Antiquité est morte d’avoir gardé dans ses flancs la plaie de l’esclavage ; l’ère moderne fera son temps si elle ne tient pas plus compte des souffrances du grand nombre, et si elle persiste à croire que tous doivent travailler et s’imposer des privations pour procurer le luxe à quelquesuns, si elle ne veut pas voir ce qu’il y a d’atroce dans une organisation sociale dont on peut tirer des comparaisons comme celle-ci »

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