Fait d'interner une personne. Se dit spécialement des asiles
d'aliénés. La loi de 1838 a eu pour but de protéger les personnes contre les
internements arbitraires. Elle le fait mieux que la loi de 1790, mais elle
remplit encore très mal son but et il a été souvent question de la réviser.
L'internement arbitraire dans les asiles publics d'aliénés est rare. Ces
établissements sont gratuits et réservés en principe aux indigents ; personne
n'a donc intérêt à y séquestrer des gens dont l'état de folie est contredit par
les observations. Cependant, de temps en temps, il y a des affaires
d'internement de personnes qui ne sont pas folles ; du moins au sens littéral
du terme, car il n'y a pas de frontière très nette entre la raison et la folie.
De la raison absolue à la folie pure, il y a toute une gamme d'états
intermédiaires. Lorsque le demi ou le quart de fou se tient tranquille et garde
pour lui ses impressions, il reste en liberté, s'il n'a pas d'argent ; il faut
ajouter cette restriction. S'il s'attaque à des gens du commun, il pourra
encore rester libre ; car il est assez difficile de faire intervenir le
commissaire de police quand le présumé fou ne cause pas de scandale public :
cris par la fenêtre, projections d'objets, coups et blessures aux tiers,
tentative de suicide, etc. Mais si le déséquilibré s'attaque aux puissants :
lettres de menace au Président de la République, aux parlementaires, cris
devant l'Elysée, attentats, etc., l'internement est certain. Dans les asiles
privés, l'internement arbitraire est beaucoup plus fréquent. Là, le médecin a
tout intérêt à conserver le vrai ou le faux malade pour lequel on le paie très
cher. Le plus souvent, c'est la famille qui fait interner. Un vieux père, une
vieille mère sont encombrants ; on veut s'en débarrasser par un moyen légal.
Rien de plus facile. Le médecin ami est là et il fera le certificat exigé par
la loi. Les éléments ne lui manqueront pas. Quel est le vieillard qui n'a pas
d'affaiblissement de la mémoire ? S'il n'y a pas de troubles mentaux on en
forge aisément les symptômes : la moindre singularité, un chapeau mis de
travers, une robe qui n'est pas à la mode, une façon particulière d'essuyer son
couvert, tout cela est porté sur le certificat, et le médecin de l'asile privé
gardera le malade : il touche pour cela. Le certificat de folie est la lettre
de cachet moderne. Les familles s'en servent pour se délivrer d'un membre
gênant : jeune fille trop sensuelle, jeune homme prodigue, épouse ou époux dont
on convoite la fortune, vieillard qui tarde à mourir, etc. Toute l'horreur de
la société capitaliste a ses effets à la maison de santé privée. Il y a bien la
visite du Procureur de la République ; que vaut-elle au juste comme garantie?
C'est difficile à savoir. Il faut compter avec l'égoïsme humain, et puis
n'importe qui a l'air d'un fou lorsqu'il est interné dans un asile.
L'internement, d'ailleurs, n'a pas pour effet d'arranger l'esprit. Non que la
folie soit à coup sûr contagieuse, mais le désespoir qui résulte de
l'internement, le fait d'être dans une détention pire que la prison, puisqu'on
n'en connait pas le terme, suffit pour abattre les plus forts. La loi sur les
aliénés est archaïque ; il faut la remanier. Le système anglais dit de l'open
door (la porte ouverte), serait un grand progrès. Tout malade qui n'est pas
absolument dangereux, et c'est le cas de la plupart, aurait la faculté de
sortir de l'asile pour se promener. Il devrait même pouvoir vivre en partie de
la vie normale en exerçant par exemple une profession. L'internement arbitraire
subsisterait néanmoins. Celui qui le veut trouver toujours le moyen de tourner
la loi. On dira, de la personne dont on veut se débarrasser, qu'elle est
dangereuse. L'internement arbitraire ne disparaîtra que lorsque personne n'y
aura plus intérêt, c'est-à-dire après la disparition de l'argent et de la
société capitaliste.
- Doctoresse PELLETIER.
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