vendredi 31 mars 2017

Par un « Incontrôlé » de la Colonne de Fer part 4

La seule chose que nous considérons, c’est leur capacité éprouvée, et c’est pour cela que nous les choisissons ; pour autant que leur valeur était confirmée, ils furent nos délégués. Il n’y a pas de hiérarchies, il n’y a pas de supériorités, il n’y a pas d’ordres sévères : il y a la sympathie, l’affection, la camaraderie ; vie heureuse au milieu des désastres de la guerre. Et ainsi, entre camarades, se disant que l’on combat à cause de quelque chose et pour quelque chose, la guerre plaît, et l’on va jusqu’à accepter avec plaisir la mort. Mais quand tu te retrouves chez les militaires, là où tout n’est qu’ordres et hiérarchies ; quand tu vois dans ta main la triste solde avec laquelle tu peux à peine soutenir la famille que tu as laissée derrière toi, et quand tu vois que le lieutenant, le capitaine, le commandant, le colonel, empochent trois, quatre, dix fois plus que toi, bien qu’ils n’aient ni plus d’enthousiasme, ni plus de connaissances, ni plus de bravoure que toi, la vie te devient amère, parce que tu vois bien que cela, ce n’est pas la Révolution, mais la façon dont un petit nombre tire profit d’une situation malheureuse, ce qui ne tourne qu’au détriment du peuple.
Je ne sais pas comment nous vivrons désormais. Je ne sais pas si nous pourrons nous habituer à entendre les paroles blessantes d’un caporal, d’un sergent ou d’un lieutenant. Je ne sais pas si, après nous être sentis pleinement des hommes, nous pourrons accepter d’être des animaux domestiques, car c’est à cela que conduit la discipline et c’est cela que représente la militarisation.
Il est sûr que nous ne le pourrons pas, il nous sera totalement impossible d’accepter le despotisme et les mauvais traitements, parce qu’il faudrait n’être guère un homme pour, ayant une arme dans la main, endurer paisiblement l’insulte ; pourtant nous avons des exemples inquiétants à propos de camarades qui, en étant militarisés, en sont arrivés à subir, comme une dalle de plomb, le poids des ordres qui émanent de gens le plus souvent ineptes, et toujours hostiles.
Nous croyions que nous étions en marche pour nous affranchir, pour nous sauver, et nous allons tombant dans cela même que nous combattons : dans le despotisme, dans le pouvoir des castes, dans
l’autoritarisme le plus brutal et le plus aliénant. Cependant le moment est grave. Ayant été pris — nous ne savons pas pourquoi, et si nous le savons, nous le taisons en ce moment — ; ayant été pris, je le répète, dans un piège, nous devons sortir de ce piège, nous en échapper, le mieux que nous pouvons, car enfin, de pièges, tout le champ s’est trouvé truffé. Les militaristes, tous les militaristes — il y en a de furieux dans notre camp — nous ont cernés. Hier nous étions maîtres de tout,
aujourd’hui c’est eux qui le sont. L’armée populaire, qui de populaire n’a rien d’autre que le fait d’être recrutée dans le peuple, et c’est ce qui se passe toujours, n’appartient pas au peuple ; elle appartient
au Gouvernement, et le Gouvernement dirige, et le Gouvernement ordonne. Au peuple, il est simplement permis d’obéir, et l’on exige qu’il obéisse toujours. 
Étant pris entre les mailles militaristes, nous n’avons plus de choix qu’entre deux chemins : le premier nous conduit à nous séparer, nous qui, jusqu’à ce jour, sommes camarades dans la lutte, en proclamant la dissolution de la Colonne de Fer ; le second nous conduit à la militarisation.
La Colonne, notre Colonne, ne doit pas se dissoudre. L’homogénéité qu’elle a toujours présentée a été admirable — je parle seulement pour nous, camarades — ; la camaraderie entre nous restera dans l’histoire de la Révolution espagnole comme un exemple ; la bravoure qui a paru dans cent combats aura pu être égalée dans cette lutte de héros, mais non surpassée. Depuis le premier jour, nous avons été des amis ; plus que des amis, des camarades, des frères. Nous séparer, nous en aller, ne plus nous revoir, ne plus ressentir, comme jusqu’ici, nos désirs de vaincre et de combattre, c’est impossible.
La Colonne, cette Colonne de Fer, qui depuis Valence jusqu’à Teruel a fait trembler les bourgeois et les fascistes, ne doit pas se dissoudre, mais continuer jusqu’à la fin. Qui peut dire que d’autres, pour s’être militarisés, ont été dans les combats plus forts, plus hardis, plus généreux pour arroser de leur
sang les champs de bataille ? Comme des frères qui défendent une noble cause, nous avons combattu ; comme des frères qui ont les mêmes idéaux, nous avons rêvé dans les tranchées ; comme des frères qui aspirent à un monde meilleur, nous sommes allés de l’avant avec notre courage. Dissoudre notre totalité homogène ? Jamais, camarades. Tant que nous restons une centurie, au combat. Tant qu’il
reste un seul de nous, à la victoire. Ce sera un moindre mal, quoique le mal soit grand d’avoir à accepter que quiconque, sans avoir été élu par nous, nous donne des ordres.
Pourtant…
Être une colonne ou être un bataillon est presque indifférent. Ce qui ne nous est pas indifférent, c’est qu’on ne nous respecte pas. Si nous restons, réunis, les mêmes individus que nous sommes en ce
moment, que nous formions une colonne ou un bataillon, pour nous ce devrait être égal. Dans la lutte, nous n’aurons pas besoin de gens qui nous encouragent, au repos, nous n’aurons pas de gens qui nous
interdisent de nous reposer, parce que nous n’y consentirons pas. Le caporal, le sergent, le lieutenant, le capitaine, ou bien sont des nôtres, auquel cas nous serons tous camarades, ou bien sont nos ennemis, auquel cas il n’y aura qu’à les traiter en ennemis. Colonne ou bataillon, pour nous, si nous le voulons, ce sera la même chose. Nous, hier, aujourd’hui et demain, nous serons toujours les guerrilleros de la Révolution. Ce qu’il nous adviendra dans la suite dépend de nous mêmes, de la cohésion qui existe entre nous. Personne ne nous imprimera son rythme, c’est nous qui l’imprimerons, afin de garder une attitude adaptée à ceux qui se trouveront à nos côtés.
Tenons compte d’une chose, camarades. Le combat exige que nous ne retirions pas de cette guerre nos bras ni notre enthousiasme. En une colonne, la nôtre, ou en un bataillon, le nôtre ; en une division ou
en un bataillon qui ne seraient pas les nôtres, il nous faut combattre. Si la Colonne est dissoute, si nous nous dispersons, ensuite, étant obligatoirement mobilisés, nous n’aurons plus qu’à aller là où on
nous l’ordonnera, et non avec ceux que nous avons choisis. Et comme nous ne sommes ni ne voulons être des bestioles domestiquées, il est bien possible que nous nous heurtions avec des gens que nous ne devrions pas heurter : avec ceux qui, que ce soit un mal ou un bien, sont nos alliés.
La Révolution, notre Révolution, cette Révolution prolétarienne et anarchiste, à laquelle, depuis les premiers jours, nous avons offert des pages de gloire, nous requiert de ne pas abandonner les armes,
et de ne pas non plus abandonner le noyau compact que jusqu’à présent nous avons constitué, quel que soit le nom dont on l’appelle : colonne, division ou bataillon.
UN « INCONTRÔLÉ » DE LA COLONNE DE FER

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