jeudi 9 mars 2017

Filip Kota "Deux lignes opposées dans le mouvement syndical"

L'histoire prouve que les formes et les méthodes de lutte de la classe ouvrière et du mouvement syndical sont différentes et multiples. Les grèves cependant ont été et restent l'une des formes et des
moyens les plus puissants de la lutte de classes. Les grèves revêtent une importance particulière, car
elles éduquent les travailleurs et le mouvement syndical dans l'esprit de classe et de solidarité, de haine envers la bourgeoisie et ses instruments. « Les grèves, souligne Engels, sont une école de combat où les travailleurs se préparent au grand affrontement devenu désormais inévitable (1). »
D'abord une action spontanée et isolée, la grève à mesure que s'élève le degré de la conscience de la
classe ouvrière, devient une action organisée qui traduit l'esprit de protestation contre l'exploitation et l'oppression capitaliste. La classe ouvrière revendique, par la grève, non seulement la reconnaissance de ses droits niés et des garanties de travail, mais aussi le droit d'être entendue chaque fois que se posent les problèmes économiques, sociaux et politiques du pays.
Les conditions misérables et l'appauvrissement des larges masses travailleuses dans les pays capitalistes ont inévitablement porté à des conflits sociaux aigus. La puissante montée du mouvement gréviste, les manifestations, l'occupation des entreprises et des institutions capitalistes, de même que les sanglantes échauffourées avec la police et les forces armées bourgeoises reposent, certes, sur une base objective. Loin d'avoir un caractère « émotionnel », elles sont le résultat et l'expression concrète d'une prise de conscience politique plus nette de la classe ouvrière et des autres masses exploitées, de l'exaspération des contradictions entre le travail et le capital, de la crise profonde dans laquelle se débat le capitalisme.
Dans les pays capitalistes, le chômage a pris de vastes proportions. A la fin de 1971, le nombre des
chômeurs aux USA est monté à 5 millions et demi, soit 6 pour cent de la population active. Au début de 1972, il y avait en Grande-Bretagne plus de 1 million de chômeurs alors qu'en Suède le nombre des chômeurs s'élevait en août 1971 à 107 000, le chiffre le plus élevé atteint dans ce pays après la Seconde Guerre mondiale.
Le mouvement gréviste, produit du système capitaliste, ne cesse de croître et de s'amplifier comme le fait apparaître la dynamique des grèves. Alors qu'en vingt ans, de 1920 à 1939 on a enregistré 17 700 grèves avec 81 millions de participants, de 1947 à 1966 leur nombre s'est élevé à 380 000 avec environ 300 millions de personnes. Rien que de 1965 à 1970 le nombre des grévistes dans les pays capitalistes développés a atteint le chiffre record de 312 millions.
« La lutte de classes du prolétariat et des autres couches sociales exploitées, a dit le camarade Enver Hoxha au VIe Congrès du Parti du Travail d'Albanie, a pris une telle ampleur, par le nombre des participants comme par son âpreté, que la période actuelle peut être comparée, pour la bourgeoisie capitaliste, aux périodes les plus critiques qu'elle ait traversées (2). »
Le développement impétueux de la lutte de classes du prolétariat, son caractère de masse et son exaspération, de même que l'approfondissement de la crise politique et sociale dans les pays capitalistes constituent le trait fondamental de la période actuelle. Cela se traduit essentiellement par
une participation sans cesse croissante de la classe ouvrière et des autres couches exploitées au mouvement gréviste, par l'augmentation du poids spécifique des grèves à caractère politique, par l'entrelacement des revendications économiques et des revendications politiques et par un niveau plus élevé de leur organisation. Les grèves et les manifestations pour des revendications économiques s'accompagnent toujours plus d'actions politiques et de revendications pour des libertés démocratiques et des droits syndicaux, contre la répression policière de l'Etat bourgeois, contre l'impérialisme et les monopoles.
Dans les pays capitalistes c'est pour servir la bourgeoisie qu'est élaborée la législation qui résout les conflits du travail en sa faveur. Les gouvernements bourgeois recourent souvent à la loi pour suspendre, arrêter et réprimer les grèves sous le prétexte de « défendre les intérêts nationaux ». C'est
ainsi qu'aux USA, la loi anti-ouvrière Taft-Hartley, a conféré au président des pouvoirs illimités qui lui permettent d'intervenir dans les conventions collectives, d'interdire le droit de grève toutes les fois qu'il le juge opportun, et de dicter les conditions de règlement du « conflit » entre les ouvriers et les employeurs, etc. Il intervient légalement et peut suspendre provisoirement la grève pendant 90 jours.
Et les faits témoignent que le président des USA a usé toujours plus de ces lois contre les droits légitimes de la classe ouvrière. En Grande-Bretagne, également, le gouvernement conservateur de Heath a fait promulguer en 1970, la loi sur les « Rapports dans l'industrie » qui limite le droit de grève à la classe ouvrière. De pareilles mesures de restrictions du droit de grève, sanctionnées par la loi, ont été prises de façon plus ou moins semblables dans tous les pays capitalistes.
Les idéologues bourgeois cherchent à dénigrer le rôle des grèves, à atténuer leur esprit de classe et révolutionnaire, à les diffamer. Dans leur propagande, ils cherchent à faire croire que la grève « a fait son temps », « qu'elle a changé de nature », etc. Ainsi C. Harmel affirme : « Elle est morte, la grève héroïque, la grève exaltante, la grève où l'on courait des risques, la grève qui était une bataille, une vraie bataille (3). »
Les « leaders » des syndicats réformistes et révisionnistes prêtent une grande aide à la bourgeoisie en s'efforçant d'éviter les collisions entre les classes antagonistes. Ils cherchent à adoucir les conflits
sociaux en s'entremettant pour les régler d'en haut, pour contrôler et freiner les actions de la classe ouvrière. Parfois ils sont obligés d'approuver les grèves, et ce sous la pression des ouvriers et pour des raisons démagogiques. Ils déploient tous leurs efforts qui ne sont pas toujours fructueux, pour que les grèves se déroulent dans l'ordre et le calme, sans manifestations, sans troubles et dans le respect des normes et de la légalité bourgeoise. Ils cherchent à engager le mouvement gréviste dans la voie du pacifisme et du réformisme bourgeois, de le rendre le plus apolitique possible. Les dirigeants révisionnistes de la CGIL, dans le but de maintenir l'ordre et la paix et d'éviter les « excès » sont allés jusqu'à créer durant les grèves « la police syndicale » qui est dirigée contre les ouvriers révolutionnaires et soutient en fait l'Etat bourgeois. Un tel agissement est sans précédent dans l'histoire du mouvement syndical.
Afin d'affaiblir l'unité et la solidarité de la classe ouvrière et du mouvement syndical, leur esprit de combat et d'unité de classe, les « leaders » des syndicats réformistes et révisionnistes dans les pays capitalistes, ne pouvant en de nombreux cas éviter les grèves, cherchent à les limiter ou à les saper. C'est pourquoi, ils s'efforcent de faire en sorte qu'elles soient dispersées et morcelées, qu'elles n'englobent pas toutes les professions et les divers secteurs mais seulement des branches isolées.
Selon la pratique bien connue réformiste et révisionniste, la date de la grève doit être annoncée plusieurs jours d'avance et les travailleurs des services publics ne doivent pas se mettre en grève, soi-disant pour ne pas faire du tort au peuple, etc. Ces procédés ne peuvent que favoriser les monopoles et les gouvernements bourgeois afin que ceux-ci ne soient pas pris à l'improviste, qu'ils aient le temps de prendre des mesures répressives, remplacer les grévistes par des briseurs de grève et de faire pression sur les hésitants.
A l'heure actuelle, les grèves se développent et s'étendent toujours davantage dans les pays capitalistes, mais cela ne veut pas dire qu'elles soient incitées et soutenues par les dirigeants des centrales syndicales réformistes et révisionnistes. Si le mouvement gréviste a acquis plus de mordant et de force, cela n'est pas dû aux chefs syndicaux, mais aux ouvriers, à la pression et à l'impulsion de la base. C'est ce qui est arrivé en Italie pendant les grandes grèves du 19 novembre 1968, auxquelles ont participé 20 millions de travailleurs, et celles de 1970 connues sous le nom d' « Automne chaud », etc.
Les dirigeants syndicaux réformistes et révisionnistes, pour ne pas être démasqués et ne pas rester à la traîne, se voient souvent obligés de prendre eux-mêmes la direction des grèves pour les saboter du dedans. Il en est ainsi en Italie, en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne Occidentale et dans d'autres pays capitalistes. L'exemple le plus typique de la trahison des dirigeants syndicaux est fourni par les grandes grèves de mai-juin 1968 en France auxquelles ont participé plus de 10 millions de travailleurs ; elles ont éclaté non seulement sans l'initiative mais aussi contre la volonté de la CGT.
Son président, B. Frachon, est allé jusqu'à considérer cette grève comme un « maux du gauchisme ». Les dirigeants de la CGT de France effrayés par la durée de la grève et le caractère politique qu'elle revêtait, ont tenté de la saboter en faisant appel à la « réserve » et à la « modération » ; mais voyant qu'ils risquaient de s'isoler des ouvriers, ils l'ont soutenue et se sont efforcés d'en prendre la direction dans le but de la saper par la suite. Leur principal souci était la reprise immédiate des négociations avec le patronat et le gouvernement. Dans les pays capitalistes l'Etat comme le patronat reconnaissent légalement à certaines centrales syndicales seulement le droit de grève. Toute grève faite en dehors et sans l'approbation de ces centrales est considérée comme illégale, tant par celles-ci que par le patronat et l'Etat. Actuellement, il y a de nombreux cas où la classe ouvrière, de sa propre initiative, et sans consulter les chefs syndicaux, et souvent en opposition avec eux, se met en grève, et ce sont ces arrêts de travail que la bourgeoisie qualifie de « grèves sauvages ».
Les grèves sauvages qui sont un autre aspect de l'exacerbation des contradictions non seulement entre le capital et le travail, mais aussi entre les travailleurs et les simples membres des syndicats d'une part, et la direction syndicale réformiste et révisionniste, d'autre part, représentent un degré plus avancé de la lutte gréviste. Le trait dominant de ces grèves est qu'elles sont décidées et dirigées par la base, par les ouvriers, et sortent du cadre traditionnel des grèves officielles.
Faisant état des grèves « sauvages » de 1969, « Le Monde » indiquait qu'en recherchant la confiance du patronat, les dirigeants syndicaux risqueraient de perdre une partie de la confiance des ouvriers.
Ces grèves ont surtout eu lieu dans la deuxième moitié des années 60, et elles ont éclaté dans de nombreux pays capitalistes. En Grande-Bretagne leur nombre moyen annuel entre les années 1964-1967 a été de 2 150 contre 84 grèves « officielles ». En 1967, une grève « sauvage » des dockers anglais a paralysé durant sept semaines consécutives tous les ports britanniques ; les ouvriers ont élu leurs propres organes, les comités de grève, comme instruments de direction et d'organisation pendant la période de cessation du travail.
La Suède, que la bourgeoisie considère encore comme le pays classique de « la paix des classes », comme « la société du bien-être », etc., a été secouée, en 1969, pendant de longs mois, par de grandes grèves qui ont éclaté dans les mines de Göteborg, de Norbatten, etc. La social-démocratie suédoise, qui gouverne le pays depuis plus de quarante ans, n'a nullement affecté les bases du capitalisme ; au contraire, l'exploitation s'y accentue, les salaires réels baissent, ce qui conduit à une croissance du mouvement de protestation. Il résulte des statistiques qu'en 1965 la Suède venait au dernier rang des dix plus grands pays capitalistes quant aux journées de travail perdues du fait des conflits sociaux, en 1968, par contre, elle occupait la cinquième place dans ce même classement. Le mouvement gréviste ne fait que gagner en ampleur ; de nouveaux contingents et de nouvelles couches exploitées s'y engagent de plus en plus. La valeur des grèves ne se mesure pas, comme le font les réformistes et les révisionnistes, aux quelques avantages économiques immédiats, mais avant tout aux résultats moraux et politiques qu'elles entraînent, car c'est seulement par des actions et des luttes de classes que le prolétariat élève son esprit révolutionnaire et affermit sa conscience.
A partir de là, les UPA ont toujours soutenu et épaulé par tous les moyens les grèves, les actions de
masse et autres formes de la lutte de classes du prolétariat contre les monopoles, le pouvoir bourgeois, l'impérialisme et ses instruments contre les dirigeants syndicaux réformistes et révisionnistes.
Dans la déclaration de solidarité que le Conseil Central des UPA a adressé aux ouvriers français lors
de la grève générale de mai-juin 1968, il était dit : « Notre classe ouvrière et son organisation les
Unions Professionnelles d'Albanie saluent chaleureusement et soutiennent sans réserve l'action
courageuse de la classe ouvrière et des étudiants français, et elles se solidarisent entièrement avec
leur juste lutte contre les monopoles et leur pouvoir d'oppression. Tout en dénonçant et en
condamnant l'activité de trahison de la direction révisionniste de la Confédération Générale du
Travail en France, les travailleurs et les Unions Professionnelles d'Albanie assurent les travailleurs
français qu'ils seront toujours avec eux jusqu'à la victoire définitive, jusqu'à la liquidation de

l'oppression et l'exploitation capitaliste (4). »

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