La fin du XIXème
siècle et le début du XXème ont vu se lever une revendication nouvelle : celle
de la liberté de pratique et d'expression des « anomalies sexuelles » parmi
lesquelles il faut ranger l'homosexualité ou uranisme, autrement dit
l'inversion sexuelle. Le mot homosexuel a été employé pour la première fois par
un médecin allemand qui ne nous est connu que sous son pseudonyme de Kertbeny.
Le mot grec Homo, qui lui donne sa signification, répond à même, semblable. Il
désigne les relations intimes que peuvent avoir entre eux des individus du même
sexe, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes. Le mot pédérastie comme sodomie,
étant plus spécialement réservé aux relations sexuelles entre hommes. L'un des
plus éminents collaborateurs à l'Humanité Nouvelle, le penseur Edward
Carpentier, trouvait le terme homosexualité impropre, il aurait voulu le voir
remplacer par homogénie. On écrit aussi unisexualité, unisexuel. Quant au mot
uraniste, qui vient d'Uranus, et traduit l'allemand urnung, il a été créé par
l'assesseur hanovrien Carl Heinrich Ulrich qui, dès 1825, se consacra à la
défense de l'amour homosexuel ; il l'avait emprunté à Platon. Ulrich voyait
dans l'Urnung une espèce spéciale d'humains, par opposition au Dionung (de
Dioné, mère d'Aphrodite), l'amoureux normal, hétérosexuel (du grec heteros,
autre). En se plaçant au point de vue de la liberté toute pure, il est évident
qu'on ne peut refuser à un individu le droit de disposer de son corps comme il
l'entend. Sinon, et cela s'entend aussi bien de l'homosexualisme que de la
masturbation ou de la prostitution, le chemin n'est pas long qui conduit à
l'arbitraire et à l'inconséquence. Pourquoi tolérer la prostitution féminine et
non la prostitution masculine? Il y a là un illogisme flagrant qui ne se
conçoit que si on se rappelle que nos mœurs et notre législation sont régies
par la conception judéo-chrétienne de la vie. Le feu du ciel n'a-t-il pas
consumé les villes maudites de Sodome et de Gomorrhe? Ou la pratique de
l'anomalie sexuelle relève de la nature, de la conscience individuelle, ou
c'est un délit. Si c'est un délit, il est nécessaire d'en expliquer la raison.
En effet, l'homme qui a réfléchi ne se contente pas de mots comme « contraire
aux bonnes mœurs », « ignoble », « infâme », il veut savoir ce qu'il y a de délictueux
dans l'accomplissement d'un acte qui n'est accompagné ni de dol ni de violence,
quel que soit cet acte. L'affirmation « c'est parce que c'est mal » ne répond à
rien de scientifique ni de logique pour un esprit épris de libre examen et
dépouillé de préjugés. Si l'anomalie sexuelle relève de la nature, de la
conscience individuelle, qu'on lui concède toute liberté de pratique et
d'expression. Si c'est une maladie, qu'on la soigne, après nous avoir démontré
qu'on peut la guérir. Trop d'hommes et de femmes homosexuels, par exemple, ont
montré une santé égale à la normale ou une intelligence dépassant la moyenne (philosophes,
stratèges, hommes d'Etat, artistes, poètes, littérateurs, Epaminondas, Virgile,
Alexandre, Jules César, Auguste, Michel Ange, le peintre Le Sodoma, le
sculpteur belge Jérôme Duquesnoy, Jules II, le grand Condé, le prince Eugène,
Platen, Winckelmann, Kirkegaard, Hans Andersen, Walt Whitman, Renée Vivien,
Paul Verlaine, Oscar Wilde, etc.) pour qu'on puisse parler à leur égard d'une
déchéance de la production cérébrale. Le fait qu'il y a des animaux unisexuels,
même à l'état de liberté (parmi les cervidés, canidés, ovidés, gallinacés,
palmipèdes, colombins, certains hyménoptères et coléoptères), devrait faire
réfléchir à deux fois ceux qui parlent de maladie. L'observation montre, en
effet, que les fonctions de relation et de nutrition, etc., s'accomplissent
régulièrement chez eux. Sur 49 cas d'homosexualité humaine étudiés très
soigneusement par le sexologue Havelock Ellis, 31 jouissaient d'une santé
bonne, sinon excellente ; 4 ou 5 cas montraient des signes de mauvaise santé
évidente, ce qui ne dépasse pas la normale. C'est tenant compte de toutes ces
considérations et de maintes autres que Havelock Ellis a pu dire que l'anormal
sexuel n'est pas un malade (ni l'anomalie sexuelle une maladie), que c'était
tout simplement un individu sorti de l'espèce et que le mot dégénérescence, qui
appartient au parler journalistique, ne possédait aucune valeur scientifique.
De même, dans ses derniers ouvrages, le fameux psychiatre Von Krafft Ebbing,
qui a observé des centaines et des centaines de cas, a reconnu que l'anomalie
sexuelle n'est ni une maladie ni une dégénérescence physique. Ch. Féré a
comparé l'inversion congénitale à la cécité des couleurs (l'insensibilité aux
rayons vert-rouge, par exemple). Kurella considère l'inverti comme une forme de
transition entre l'homme complet ou femme complète et l'hermaphrodite vrai.
Albert Moll, autre sexologue célèbre, reconnut qu'il n'était pas possible de
prouver que les individus invertis sont des névrosés. Se plaçant à un tout
autre point de vue que le point de vue scientifique, Gœthe avait déjà écrit,
concernant l'homosexualité : « Elle est dans la nature, bien qu'elle soit
contre nature ». De tout cela, il appert que les anormaux sexuels sont surtout
victimes de l'hostilité sociale, la majorité normale étant encore trop
ignorante pour comprendre que l'anomalie semelle est un phénomène congénital
(et non acquis) dans la plupart des cas d'inversion vraie. Il ressort des
observations historiques que l'inversion sexuelle a été connue de tout temps.
Les Egyptiens attribuaient l'homosexualité à leurs dieux Horus et Têt. Selon le
docte Aristote, elle avait dû être officiellement encouragée pour parer à la
surpopulation, dans l'antique Crète, par exemple. D'ailleurs, l'opinion
publique semble avoir passé par trois stades. Dans le premier stade,
l'homosexualité est permise ou défendue, c'est une question qui dépend de la
population. Dans le second stade, la question se transporte sur le terrain
religieux, c'est un sacrilège (christianisme). Dans le troisième stade, ce
n'est plus qu'affaire de goût, d'esthétique : elle déplait à la grande majorité
et plait à une petite minorité. « Je ne vois pas - écrit Havelock Ellis - qu'on
puisse critiquer cette attitude esthétique. Mais elle ne saurait tomber sous le
coup de la loi, car la loi ne peut se fonder sur le dégoût qu'on peut éprouver
pour un acte... Les opinions esthétiques sont autant en dehors de la loi que
les opinions politiques. Un acte n'est pas criminel parce qu'il est
dégoûtant... C'est cette confusion qui sert de base à la législation dans
l'homosexualité ; ceci montre, en outre, que l'opinion sociale doit, elle
aussi, dissocier ces questions ». Si « modifier l'instinct d'un inverti, c'est
le jeter dans la perversion » (Ch. Féré), l'intervention légale est une
monstruosité. Ne parlons que pour mémoire des suggestions de Schrank-Notzing
qui voulait confier à la prostitution féminine des maisons closes la guérison
des invertis! Il y a relativement peu de temps, l'homosexualité « était un vice
honteux et dégoûtant, auquel on ne pouvait toucher qu'avec des pincettes en
prenant toutes sortes de précautions, aujourd'hui c'est un phénomène psychologique
et médicolégal d'une telle importance sociale que nous devons l'examiner
franchement et ouvertement » (Havelock Ellis). « Chez les dirigeants éthiques
ou religieux et en général chez les individus doués d'un puissant instinct
moral, il existe une tendance vers les formes supérieures du sentiment «
homosexuel » (Id). Le philosophe du Pragmatisme, William James, a même émis
l'opinion que la plupart des hommes possédaient le germe potentiel de
l'inversion sexuelle. Cependant la loi intervient et de deux façons selon les
pays. Dans les pays dits « de civilisation latine » on se conforme en général
au Code Napoléon qui n'intervient pas dans les cas d'inversion sexuelle, sauf
s'ils se compliquent d'outrages publics à la pudeur ou de violence ou non
consentement, à quelque degré que l'acte ait été consommé - ou si l'une des
parties est mineure ou incapable de donner son consentement. C'est le droit
commun. Ce point de vue du Code Napoléon, du à l'ancien Directeur Cambacérès,
est celui adopté en Belgique, Espagne, France, Hollande, Italie, Portugal, en
Amérique et dans les colonies hispano-portugaises. En Allemagne, dans les pays
anglo-saxons, en Russie (avant la Révolution), l'inversion est considérée comme
un crime en soi. En Angleterre, tout coït anal avec une femme ou un homme ou un
animal est passible des travaux forcés à perpétuité, de deux ans de « hard
labour » au minimum. Le Criminal Law Amendment Act de 1885 punit de même tout
acte d'indécence grossière entre hommes, même commis en privé, d'une peine ne
dépassant pas deux ans, avec ou sans travaux forcés. Il s'est trouvé un juge
anglais, paraît-il, pour regretter que cet Act ne comportât pas la peine de
mort! Les EtatsUnis suivent l'Angleterre et la pénalité peut atteindre jusqu'à
20 ans d'emprisonnement. En Allemagne existe le fameux § 175 du Code Pénal qui
ne s'appliquait jadis qu'à « l'acte » semblable au coït anal ; on l'a aggravé
en y joignant l'addition des « mouvements » semblables, addition très
arbitraire, cela va sans dire. En Russie, la loi tsariste, adoucie ensuite,
infligeait à l'homosexuel la privation des droits politiques et l'exil en
Sibérie. Aujourd'hui, le droit criminel de la Russie soviétique n'inflige
aucune pénalité, ni pour sodomie ni pour homosexualité masculine ou féminine.
(Correspondance Internationale, 11 août 1928, n° 80). Examinons quel a été
l'effet de la répression légale. Elle n'a eu aucune influence sur la «
prospérité » de l'inversion sexuelle, même en pays anglo-saxons ; elle a
simplement ruiné à jamais des malheureux incapables de réagir contre le séjour
en prison et l'ambiance des établissements pénitentiaires (un exemple frappant est
celui d'Oscar Wilde). En Allemagne, les partisans de « l'amitié masculine » ont
réagi avec vigueur ; ils ont leurs journaux, leurs associations, leurs clubs ;
quant au § 175, il a naturellement servi de prétexte a maints chantages ; sous
prétexte de servir la morale, il a favorisé l'escroquerie. Son abolition a été
réclamée par des personnalités éminentes (parmi lesquelles le grand socialiste
Bebel, mort aujourd'hui) et l'est encore. Il s'est publié quelque temps à Paris
une revue d'amitié masculine, Inversions, supprimée à la suite d'une
intervention parlementaire et d'une poursuite judiciaire, dont la suppression
aurait pu soulever davantage de protestations. Il nous a paru que les
fondateurs de cette revue, que son prix mettait hors de l'atteinte du grand
public, n'ont pas réagi avec l'énergie de leurs camarades d'outre-Rhin. Il
convient de dire aussi que certains invertis sexuels - et il y en a trop de
ceux-là - dépassent la mesure en affirmant sur un mode dithyrambique que
l'amour homosexuel est supérieur a l'amour normal, hétérosexuel. Cela indispose
même les mieux prévenus en leur faveur. On peut citer, parmi les hommages
littéraires à l'inversion, un poème d'Edward Carpenter, philosophe doublé d'un
sociologue anarchisant, disciple de Walt Whitman, et qui n'a jamais été
soupçonné d'être un inverti lui-même. Ce poème, intitulé O ENFANT D’URANUS, est
extrait de Vers l'Affranchissement (traduction M. Senard), Paris, 1914 ; c'est
une véritable glorification du « troisième sexe » : « 0 enfant d'Uranus, qui
erres et passes à travers les temps… Mystérieux deux fois né, deux mondes te
sont ouverts… Etc.…, etc.… ». Ce n'est que depuis 1870 que l'inversion sexuelle
a été étudiée de façon scientique et rationnelle. On peut attribuer à quatre
causes l'existence de l'homosexualité. 1°) L'hérédité ou congénitalité (les
invertis-nés). Médical du 10 janvier 1925, le docteur Saint-Paul, le plus
éminent des savants qui se sont occupés, en France, de la question, a défini
l'inversion (vraie) comme le fait d'une structure ou de conditions antérieures
à la naissance. Selon la statistique dressée par Hirschfeld (pour l'Allemagne),
il y aurait 1,5 % d'homosexuels purs, 3,9 % de bisexuels, le reste des humains
se composant d'individus normaux. Selon Havelock Ellis, il y aurait en
Angleterre 5 % d'invertis, la plupart répandus parmi les classes libérales et
instruites. Nous ne croyons pas ces statistiques (et d'autres) concluantes. La
race. - Dans ses Arabian Nights, Richard Burton avait établi sa fameuse « Zone
Sotadique » qui comprenait le midi de la France, l'Espagne, l'Italie, la Grèce,
les côtes méditerranéennes de l'Afrique, l'Asie Antérieure jusqu'au Cachemire,
au Turkestan, au Gange, puis le Japon, la Chine, l'Océanie et le Nouveau Monde,
où, avant l'arrivée des Européens, la pédérastie était de pratique courante.
Richard Burton voulait qu'au dedans de cette zone l'inversion sexuelle fût
considérée comme une peccadille, au dehors comme un délit. Cela répond à peu
près à l'état de la législation en matière d'homosexualité, mais ne repose sur
aucune base scientifique d'observations, les Anglo-Saxons et les Slaves
fournissant un contingent important à l'homosexualité. 3°) La suggestion. - On
n'est pas très bien renseigné sur le rôle de la suggestion dans
l'homosexualité. Sur les 49 cas étudiés par Havelock Ellis, 13 indiqueraient
qu'un événement ou milieu spécial a détourné, pendant l'enfance, l'instinct
sexuel vers l'homosexualité ; et encore, dans 1 ou 2 cas au moins, il y avait
une prédisposition déjà bien marquée. 4°) La privation normale de la
satisfaction des besoins sexuels. - Bouchard, dans ses Confessions (1861) ;
Sainte-Claire Deville, dans sa communication sur « L'Internat et son influence
sur l'éducation de la jeunesse » ; Balzac, dans la Dernière incarnation de
Vautrin ; Dostoïevski, dans ses Souvenirs de la Maison des Morts, A. Hamon,
dans La Psychologie du Militaire professionnel ; Lucien Descaves, dans
Sous-Offs ; G. Darien, dans Biribi, Mirbeau, dans Sébastien Roch, etc., etc.,
nous ont magistralement dépeint la façon dont la promiscuité masculine, jointe
à l'impossibilité des échanges habituels avec le sexe féminin, dans les
établissements d'éducation, les casernes, les lieux d'emprisonnement et de
déportation, etc., favorisaient, développaient, accentuaient la tendance
homosexuelle. Dans ses Prison Memoirs of an Anarchist, le révolutionnaire
Alexander Berkman raconte la naissance, dans ce milieu spécial, d'un amour
unisexuel. Alors que l'élément masculin normal montre le plus souvent une
hostilité farouche à l'égard de l'homosexualité masculine, il se montre bien
plus indulgent à l'égard des homosexuels du genre féminin (lesbiennes,
saphistes, tribades), que l'hindoustani désigne par cinq mots différents. Dès
lors qu'il s’agit du beau sexe, il est porté à considérer cette anomalie comme
un péché mignon. Il convient de faire remarquer que l'homosexualité féminine
n'a pas été étudiée avec autant de soins et de détails que l'homosexualité
masculine, la documentation est loin d'être aussi importante, et les
spécialistes obtiennent moins facilement une confession de la femme que de
l'homme. Il existe probablement beaucoup plus de femmes vivant « en ménage »
que d'hommes ; les mœurs le supportent plus facilement. Citons, parmi les
ouvrages que l'homosexualité féminine a inspirés : La Religieuse de Diderot ;
Mademoiselle de Maupin, de Théophile Gautier ; Parallèlement, de Paul Verlaine
; Les Chansons de Bilitis, de Pierre Louys, un chefd'œuvre. L'attitude des
individualistes anarchistes à l'égard de l'homosexualité est dénuée de
préjugés, de parti pris ; elle concilie le point de vue scientifique avec le
respect le plus absolu de la liberté individuelle. Dans le N° 15 de L'En Dehors
(nouvelle série), le philosophe-romancier individualiste Han Ryner a déclaré
que les causes des perversions sexuelles lui apparaissaient « multiples,
complexes, enchevêtrées. Les obstacles à la satisfaction normale sont du nombre
- ajoute-t-il - mais la pleine liberté diminuera ces fantaisies moins qu'on ne
le croit. Je ne trouve d'ailleurs rien de coupable dans ces recherches, si tous
les participants ont l'âge de raison et si aucun ne subit de contrainte ». Un
autre philosophe individualiste, l'esthéticien Gérard de Lacaze-Duthiers, au
cours d'une réponse à une Enquête sur le Sexualisme, a écrit (N° 136 du même
journal) : « Je suis contre tous les tabous sexuels. Je suis pour toutes les
libérations. Je ne m'effraye d'aucune combinaison d'ordre sentimental ou
érotique, estimant que chaque individu a le droit de disposer de son corps
comme il lui plaît et de se livrer à certaines expériences ». Somme toute,
logiques et conséquents, les individualistes anarchistes nient qu'il
appartienne à la loi, à l'autorité d'intervenir. Les cas d'inversion de l'ordre
congénital regardent les homosexuels eux-mêmes ; ceux qui sont vraiment des
maladies relèvent, si la preuve en est faite, de la pathologie et non point de
sanctions disciplinaires... Ils reconnaissent aux homosexuels le droit de
s'associer ; de publier des journaux, des revues, des livres, pour exposer,
défendre leur cas, réunir à leurs groupements les uranistes qui s'ignorent. Les
individualistes anarchistes ne font pas d'exception pour les invertis de l'un
ou l'autre sexe. –
E. ARMAND.
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