On définit ordinairement la
pauvreté : l'état de celui qui est dépourvu ou mal pourvu du nécessaire. Mais
ce sens est loin d'être admis par tous unanimement. Dans un Cours de Morale qui
eut son heure de célébrité, Jules Payot demande que l'on distingue
soigneusement la misère de la pauvreté. D'après lui, la misère est une maladie
de la volonté ; elle constitue un retour à l'état de saleté, de paresse,
d'imprévoyance de l'homme primitif. « Découragé, le gueux refuse de continuer
pour sa part la lutte humaine et il renonce aux grandes conquêtes de la
coopération solidaire. Il vit dans la négligence des soins du corps ; il
devient pour tous un danger, parce que livré aux seuls plaisirs grossiers ».
Payot, haut fonctionnaire bien nourri, bien nippé, n'était pas tendre, on le
voit, pour le malchanceux tombé au dernier degré du dénuement. Il en fait même
un parasite sans scrupules, vivant aux dépens de la société, dans les asiles de
nuit et les hôpitaux. Par contre, ce moraliste, grassement rétribué par l'Etat,
ne tarissait pas d'éloges à l'égard de la pauvreté : « Cette condition, qui
impose l'effort persévérant, la prévoyance, la résistance aux passions, laisse
intacte la santé ; elle aiguise l'intelligence ; elle trempe la volonté. Elle
unit la famille dans une solidarité consentie. Avec l'instruction primaire
gratuite et obligatoire, la parole de Raynal cesse d’être exacte : « La
pauvreté engendre la pauvreté, ne fut-ce que par l'impossibilité où se trouve
le pauvre de donner aucune sorte d'éducation ou d'industrie à ses enfants. »
L'ignorance, cette servitude sans espoir, imposée autrefois aux enfants sans
ressources a été vaincue. » Payot se borne à dire, en langage laïc, ce que
prêtres et moines expriment en jargon religieux. Le ciel disparaît pour faire
place à l'école, c'est tout. Jamais les papes, ces riches entre les riches,
dont les robes et les bijoux valent, à eux seuls, des fortunes princières,
jamais les fastueux prélats qui vivent dans le luxe et l'oisiveté, n'oublient
de faire un dithyrambique éloge de la pauvreté. Aux ouailles ils rappellent que
Jésus n'avait pas une pierre pour reposer sa tête, ajoutant que pour gagner le
paradis l'on doit faire des largesses à ces messieurs du clergé. Pareille
duplicité fut fréquente chez les moralistes officiels de toutes les époques : à
Rome, le philosophe Sénèque écrivit, dit-on, l'éloge de la pauvreté sur un
pupitre d'or. Nos idées sont bien différentes : nous condamnons la pauvreté.
Tout au plus admettons-nous qu'elle soit bonne, en certains cas et de façon
transitoire, à titre de moyen pour aboutir à une vie plus haute ou à la
réalisation d'une idée. Mais l'on ne saurait comprendre que le travail normal
d'un homme ne garantisse pas largement sa subsistance. Si le monde est trop
peuplé, qu'on limite les naissances ; si la répartition des biens s'accomplit
sans équité, qu'on la change. Faire de la pauvreté des uns le corollaire de la
richesse des autres est la pire solution ; l'extrême opulence s'avère contre
nature autant que l'extrême misère. L'homme n'a droit qu'à ce dont il peut
user; accaparer d'inutiles moyens d'existence devient un attentat contre le
bonheur d'autrui ; vouloir l'or pour lui-même, non pour ses avantages, est une
criminelle perversion du désir. L'argent, simple instrument d'échange, n'a
d'autre titre à demeurer roi des cités que l'avantage des fainéants rentés. En
attendant que la justice prenne sa revanche, quels moyens s'offrent de se
libérer ? Restreindre nos besoins, limiter nos charges, insoucieux des préjugés
; ou produire sans arrêt, sans relâche, se transformer en bête de somme. Accepte
qui voudra la seconde solution, ce n'est pas celle du sage. Un travail, modéré,
raisonnable, sera toujours nécessaire et sain ; dans une société moins
chaotique, il deviendrait obligatoire pour tous ; l'âge ou la maladie seuls en
dispenseraient. Mais fournir un labeur de forçat pour qu'un parasite repu
daigne vous qualifier de bon citoyen, cela jamais. Aider ses frères dans la
peine, oui ; entretenir des bœufs gras à l'éta sentiment, à la pensée, au rêve,
en éliminant les factices et ruineux plaisirs de l'alcool, du tabac, d'une
cuisine raffinée ou d'une mise excentrique. Une table hygiénique et simple,
pour la bourse comme pour l'estomac ne vaudrait-elle pas mieux ? Et les
vêtements ridicules, fabriqués par nos grands couturiers, sont-ils donc si beaux
? Elégance et confort n'ont rien à voir avec un luxe insolent ; dans les bazars
d'antiquailles nos affûtiaux compléteront bientôt des collections grotesques ;
un visage sans défaut n'a pas besoin de fard et, lors vaut un lit d'or. Certes,
il est des jours où l'on souffre de n'être pas riche, en voyant autour de soi
tant de misères qu'il faudrait soulager, tant d'œuvres qu'il faudrait soutenir.
Une enquête menée dans le Semeur, par Barbé, sur l'utilité que l'argent peut
avoir pour un militant d'avant du problème. Mais comme la richesse durcit le
cœur et le corrompt, sauf chez quelques hommes d'élite comme elle résulte
habituellement d'une spoliation légale faite au préjudice d'autrui, elle ne
fait point l'objet de nos convoitises. –
L. BARBEDETTE.
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