Annexe : le livre et son lecteur
"Qui se pose la question de savoir "pour qui" il écrit n'écrit pas. Écrit, au contraire, qui ne s'en pose pas la question. Écrit "à fortiori" qui se pose la question de savoir "contre qui".
Et répond à cette question: "contre moi-même". Ajoute (accessoirement) à cette réponse : "contre quiconque me lit".
Qui n'est pas humilié parce qu'il écrit, qui n'en a pas honte, fait autre chose qui écrire. S'est laissé prendre au jeu qu'écrire encourage à qui en use sans inconvenance.
À peu près personne n'écrit pour avoir honte. À peu près personne n'écrit pour être le même que la honte qui le fait écrire. Chacun cherche à pouvoir donner à ce qu'il écrit "son nom". Alors qu'écrire est fait pour le fuir. Pour fuir tout nom (dont même la littérature enorgueillirait).
Le lecteur n'est que trop connu de qui écrit. Qui écrit le connaît que trop qui le lit, et pourquoi. Mais qui le lit -c'est ce que celui-ci ignore- l'accuse. C'est-à-dire ajoute à sa honte la sienne. La honte est l'état dans lequel ce qui doit être écrit l'est. Rarement celui dans lequel ce qui est lu doit l'être. Qui écrit a honte de qui le lit, s'il sait ce qu'il écrit. Mais qui le lit l'ignore le plus souvent, fuit à son tour cette honte (ne lisant pas tout ; lisons ce qu'il peut; se donne rendez-vous de lire non sans se retirer celles qu'il a réellement de lire cela, et rien d'autre).
Mettre à nu : 1. La raison d'écrire autre chose que ce qui devrait l'être; 2. Les raisons de ne pas pouvoir lire autre chose que ce qui n'a pas pu l'être.
Inventer pour cela une langue. Et que cette langue s'invente ses lecteurs.
Qui ne pouvait pas exister avant quelle même existât. Qui n'existeront la plupart du temps que bien après qu'elle aura cessé d'exister. Le lecteur ne préexiste pas à la langue. Chaque langue créé ses lecteurs (il n'y a rien qui soit tout de suite lui qui aurait aussi bien pu ne pas être écrit).
Un seul lecteur ("le" lecteur exemplaire!), celui qui ne peut lire qu'un livre : celui qu'il lit. Lequel fait de lui le même que celui qui l'a écrit. Pour celui qui l'a écrit : l'horreur.
Aller à la rencontre de ses lecteurs. Supposer qu'il en existe. Vouloir le vérifier. Rien de plus ridicule.
Ni de plus dégoûtant. Aimer ce qu'ils disent de ce qu'ils lisent, et cetera. S'aimer à travers eux. C'est n'avoir pas su faire que ce qui devait être écrit fut fait pour ne trouver personne à pouvoir le lire. N'avoir pas su faire que ce qui devait être écrit n'est pas été fui.
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