samedi 30 mars 2024

De la domination: le capital, la transparence et les affaires. Par Michel Surya

 Avant-propos:

Des "affaires", tout invite à dire qu'il convient que nous sachions tout, et que ceux qui s'en sont rendus coupables doivent être connus et jugés. On le dit, le plus souvent sans passion, comme convaincus qu'il ne tient qu'à la vérité que nous voudrons ou ne voudrons pas faire sur elles pour que la démocratie se porte mieux ou plus mal. Nul n'en doute. On porte même à son crédit cette possibilité qu'elle offrirait de connaitre et juger ceux qui abusent d'elle. Il en est donc, et c'est le plus grand nombre, qui voient dans cette moralisation de la vie publique le signe que la démocratie elle-même se moralise. Se modernise. En fait, nul ne s'étonne de ce que les affaires ne disent rien de très précis ni surtout de très nouveau sur le système de domination qui l'emporte aujourd'hui sans partage; et rien sur ce dont elles sont l'enjeu vraisemblable.

la question est en effet celle de leur enjeu. Excès de la domination, les affaires seraient ce que l'acquiescement à celle-ci commande de condamner. Elles le seraient même au point de donner raison à tous ceux que la domination commandite (des juges, des journalistes) pour exiger que la vérité soit faite sur tout ce qui la lèse. Ou bien elles seraient la vérité elle-même de la domination, mais il y aurait en ce cas de l'ingénuité à vouloir l'en protéger.

La vérité est plus trouble. Il faut en former ici l'hypothèse: les affaires ne portent qu'apparemment tort à la domination. Elles sont au contraire le moyen de celle-ci s'est aussitôt saisie pour assainir les conditions de son exercice. Pour s'exonérer des excès qui la condamnaient. Et entreprendre la plus grande opération de justification idéologique jamais entreprise par elle.

une opération aussi subreptice n'en a pas moins été aussitôt conceptualisée. Et elle l'a été sous le titre de la "TRANSPARENCE". Il y a longtemps qu'aucun mot n'a joui d'un statut analogue. La domination attend de tous la transparence, et tous l'attendent de la domination. Comme si les affaires n'avaient été révélées que pour que ce mot surgît, on ne sait de quelle nuit politique qui ignorait qu'il pût servir des intérêts apparemment opposés. L'accord s'est fait sur lui. Un accord à ce point profond qu'il semble parfois qu'il n'y a pas de mot plus éloquent ni plus moral. On pourrait cependant soupçonner ce mot, au moyen duquel tous s'accordent aujourd'hui à conjurer les affaires qui menacent la démocratie, de ne la menacer pas moins qu'elles. Même d'être cela qui la menace le plus. Poussant à peine plus loin le paradoxe, tout invite à dire que la transparence est cela même que met momentanément en place la domination pour augmenter d'autant son empire, tout en faisant en sorte que nul ne sache quel il sera ni qui l'exercera. L'hypothèse en est-elle si hasardeuse? Elle ne l'est sans doute pas tant que les pages qui suivent ne tentent d'en établir la légitimité.

Des pages proposées en forme de variations. Variations brèves et désordonnées, comme il était sans doute inévitable dès l'instant qu'il s'agit de saisir des phénomènes récents autant que contradictoires; dès l'instant que ce dont il est question c'est de soupçonner le soupçon lui-même que la domination semble résignée à laisser se porter sur son exercice.

Trois parties constituent ce livre qui, parce qu'elles ont été écrites à des périodes différentes (de 1995 à 1998), font état de faits eux-mêmes différents. Du moins ces trois parties portent-elles toutes la trace de l'évolution d'un processus qu'on ne peut regarder à ce jour comme achevé. Dont on ignore quels développements nouveaux il est susceptible de connaitre dans l'avenir. les deux premières parties ( de la domination I et II) sont cependant assez profondément homogènes. La troisième peut être regardée, sinon comme distincte, du moins complémentaire: elle concentre l'attention sur la nature de la crise sociale de décembre 1995 et des crises sporadiques qui l'ont suivie. Non, bien sûr, sans rattacher l'analyse à celle qui prévaut dans les parties I et II; l'analyse de la rénovation et de l'affermissement des procédures de domination.


ces variations ont été écrites dans la proximité de la pensée de Jean-Paul Curnier. Nomme ici cet ami ne cherche pas à l'en rendre responsable; seulement à tenter de montrer comment la pensée n'est jamais tout entière réductible à celui qui lui donne sa signature."



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