samedi 29 avril 2023

Le syndrome de Gramsci. Par Bernard Noel

 Que faire ? J’insiste afin de provoquer un trouble égal à celui qui m’habite. Et de toute urgence, car le mal peut faire s’effondrer brusquement ce qu’il ronge pour l’instant avec discrétion. Je vous ai dit que j’essayais de prévenir l’effondrement interne par une abondance, un débordement externes. Peut-être ne dois-je qu’à l’angoisse cette projection excessive ? En somme, je ne me retiens plus dans l’espoir que ce relâchement compensera la perte d’une retenue intérieure dont le mécanisme naturel s’est détérioré. Je ne savais rien de lui tant qu’il fonctionnait sans problème, et maintenant j’invente une homéopathie. Tandis que je prononçais cette dernière phrase, j’ai vu le visage de mon père. Il venait de mourir étouffé par son propre cerveau, qui ne commandait plus la respiration. Est-ce bien le cerveau ? Il y a chez nous des fonctions programmées, qui n’ont besoin ni de conscience ni d’effort. On pourrait dire qu’elles sont la vie même, et donc que le propre de la vie est, en chacun de nous, d’exister à l’écart de ce qui, en chacun de nous, constitue le caractère, la personnalité. Mon père avait le visage cyanosé. Je n’ai pas pensé alors que les pendus ont ce même visage violacé. Je n’ai pas pensé que la vie venait de le tuer. Une chose identique peut arriver à la langue, sauf que pareil étranglement lui coupe le souffle sans la tuer tout de suite. Notre langue dépérit lentement". 

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