Il y a les faits et leur lecture.
Leur lecture est changeante,
et c’est cela qu’on appelle l’histoire :
je l’ai déjà dit. Ce changement qui fait trembler les souvenirs dans la mémoire, j’en observe les effets avec méfiance, mais écrivant, je ne me souviens pas : j’écris.
Les lettres qui suivent s’éclairent l’une l’autre : elles ont paru dans la revue Digraphe au début de cette année 1985.
Entre la mémoire, qui leur sert de terrain, et l’écriture, il y a un rapport offensif.
Je ne sais trop comment aborder ce rapport.
Je ne sais trop parce qu’il m’échappe à l’instant même où, le percevant, il me paraît capital.
L’écriture est ce qui isole.
L’écriture est ce qui rend public.
Entre l’isolement et le public, la liaison est du genre de celle qu’on voit entre opposition et majorité : une liaison qui ne serait pas dévoyée par le goût du pouvoir.
L’écriture s’oppose à ce qui la porte en public, et cependant elle appelle ce public – cette publication.
Devenue publique, l’écriture n’appartient plus à l’écriture.
Elle se rappelle à elle-même à travers son lecteur.
La publication conteste l’écriture, mais c’est en la poussant vers l’audelà de sa limite.
L’écriture conteste la publication, qui la ramène à son effacement, à son oubli.
Ce jeu d’opposition, j’y sens l’aube d’une règle, qui changerait la situation sociale par une véritable alternance.
L’opposition n’est pas une guerre : elle est une exigence.
Cette exigence est pareille au mouvement de l’altérité, qui fait de l’autre mon opposé et mon semblable.
L’écriture s’oppose à l’agressivité malade, à la prise du pouvoir, à la totalité triomphante parce qu’elle ne vit qu’en se remettant en jeu.
L’opposition est cette relance, qui fait que rien ne sera jamais acquis.
Elle rature en nous le mouvement de la mort qui toujours voudrait couvrir le mouvement de la vie.
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