dimanche 9 avril 2023

Les premiers mots" de Bernard Noël

 

Il expliquera que, de toute façon, nous sommes en train de mourir. Il nous montrera la paix du déjà mort. Je veux que ce déjà nous fasse rire du haut de notre pas encore.

 

Vous retournez mon miroir. Vous nous condamnez à l’immobilité, nous qui pourtant connaissons encore l’attente. Vous ne pensez pas que sa haine des miroirs avait quelque chose de très puritain. Je crois que c’était chez lui une vieille histoire. Il doutait de son apparence. Il ne se trouvait pas beau. Il craignait d’être confronté à une réalité qu’il lui était suffisamment pénible d’imaginer sans devoir, en plus, la contempler. Il avait cru comprendre, étant enfant, qu’il était laid, et qu’à cause de cela sa mère ne pouvait pas l’aimer. Il n’essayait de se faire aimer que pour vaincre, en chaque femme, l’image de sa mère.

 

Je vous demande pardon. Je pense à lui encore. Je trouve que les morts sont égoïstes : ils nous laissent aux prises avec leur absence, et il nous faut en plus nous débrouiller pour trouver une explication à leur départ. Je l’entends hurler : La vie manque de réalité.

 

Vous ne pouvez savoir qu’il m’a fait à peu près la même scène : Tu devrais avaler un couteau à ouvrir les mots, disait-il. Tu saurais peut-être enfin qu’ils sont vides. Tu comprendrais que le vide ne peut véhiculer que le vide, et que ce n’est pas la peine d’aller baver du vide sur ma tombe.

 

 

Je suppose que nous échappons de temps en temps au raisonnable, et que c’est alors seulement que nous tombons parfois dans le vrai

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