Bernard Noël écrivit en son temps "Les premiers mots".
Que furent-ils? Ils furent ceux que personne ne prononce à ces instants-là. Ce sont ceux que l'on ne veut pas entendre quand on les pense si fort qu'ils sont audibles à nos proches. A ceux qui ont été proches de celui qui a disparu. Disparu pas décédé. Disparu. Il a décidé de disparaitre car être n'avait plus la saveur de la vie,. Ou alors, il n'avait plus la force de supporter ce manque de saveur de la vie.
Et la mort, dans tout cela? Est-elle cette abjecte issue que chacun craint, que certains souhaitent, que d'autres provoquent. La mort n'est pas la fin. Elle est l'inachevé définitif. Nous emplissons nos vies de futilités discursives afin de croire que tant que nos plannings sont pleins il ne peut être question de mort, de fin, d'interrompu.
L'homme est cet être qui restera à jamais inachevé, toujours sur un parcours. Parfois vers le haut et parfois vers le bas. Vite ou lentement. Notre souffrance nous vient de penser que jamais nous ne pourrons dire avant de partir:" ça y est, je peux mourir, j'ai fait ce que j'avais à faire, Je suis l'homme que j'ai toujours voulu être. "
L'écrivain peut à tout moment décidé de mourir de mourir littérairement s'entend. Roger Laporte le fit, en toute conscience, en toute souffrance ( comme le releva Maurice Blanchot dans "Lettre pour personne" )mais il le fit, il s'y tint.
Dans un autre style, une autre personnalité, une autre offense, souffrance, Houellebecq qui nous inflige la saveur de la non vie dans la haine quotidienne, normale, dans la peur normative d'une vie de souffrance. La souffrance de l'ennui? L'ennui comme la souffrance ultime, celle qui fait que certains vont très loin, trop loin.
Baudelaire nous le chante dans son poème "enivrez-vous". Perdez pieds dans cette réalité que les autres nous construisent.
Et si nous ne les laissions pas faire. Et si il nous était impossible de ne plus chanter la vie et l'art, l'amour, l'humain et la croyance dans l'humain.
Pour revenir à l'objet de ce texte, Bernard Noël, Michel Surya a écrit à propos de l'ouvrage "Les premiers mots":
"Il écrit. Il semble qu’il n’a jamais cessé d’écrire. Qu’écrire est ce qu’il n’a jamais cessé de faire. Quoiqu’il semble aussi le contraire. Quoiqu’il semble que s’il y a quelque chose qu’il n’a jamais cessé, c’est de pouvoir ne pas écrire, ou le redouter. Autrement dit, il n’aurait jamais cessé d’écrire et de ne pas écrire. De là que ce qu’il écrit, qu’il ne cesse pas d’écrire et qu’il ne cesse pas de pouvoir arrêter d’écrire, ait cette si parfaite simplicité : il serait celui qui aura témoigné à chaque mot écrit par lui de la discrétion de qui s’excuse d’écrire, quoiqu’il ait toujours tenu qu’écrire était ce à quoi il pouvait le plus cesser de tenir. C’est une étrange ambivalence, qui fait qu’il est écrivain – et nul n’est plus écrivain que lui – et qui fait qu’écrivant il ne l’est pas – que nul n’a plus que lui l’envie de ne pas l’être. Non pour n’être rien. Mais pour être autre chose. Autre chose qu’écrivain, ou poète, ou critique (d’art), rien qui suffise dans chacun ni dans tous réunis. La politique est plus ample, qui l’attire davantage, à laquelle il se reconnaît mieux, mais qui le désenchante à tout instant, et trop, avec laquelle, il le sait, il faudrait aussi qu’il en finisse. Cette question s’est posée à moi, pensant à lui : comment peut-on ne pas soi-même suffire à ce qui ne nous suffit pourtant pas ? Écrivant des romans magnifiques, ne tirant rien pourtant pour soi de cette magnificence. Des poèmes : pareillement. Des traités, etc. On tend à l’art le plus haut et, qu’on l’atteigne ou pas, c’est l’art lui-même qui déçoit. Dont c’est l’insuffisance qui déçoit. Une autre insuffisance, mais qui s’ajoute à celle par laquelle on tend vers lui. J’aurai connu de grands écrivains, d’aucuns modestes, d’autres moins, de derniers enfin aucunement ; et tous pourtant m’ont témoigné de cette insuffisance à la puissance deux : d’eux-mêmes à l’atteindre, d’elle-même à y répondre. Certaines de leurs œuvres, parfois toutes, leur donneraientelles pourtant tort que rien ne s’en trouverait changé : leur espérance était plus haute, laquelle pensait aux œuvres elles-mêmes, qui pensait à eux aussi, qui pensait les atteindre.
Michel Surya "
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire