"Le rajeunissement de la politique"
On a affirmé souvent que les démocraties ne savaient pas intéresser le peuple à son destin et ne l'associaient qu'abstraitement à un pouvoir dont elles prétendaient lui réserver l'usage légitime. Beaucoup de braves gens, aujourd'hui encore, se refusent à participer même modestement à l'action politique. Ils voudraient bien que tout s'arrangeât. Ils ne voient pas ce que la vie politique gagnerait à leur intervention. Pendant très longtemps, cet état d'esprit a été partagé par les écrivains, les intellectuels, par les élites les plus diverses. Le dégoût que leur inspiraient les combinaisons politiciennes, la répugnance qu'ils montraient à mêler les idées aux intérêts, les exigences mêmes de l'action qui ne se conforme point aux préoccupations d'une pensée subtile et nuancée, semblaient les justifier de ne pas prendre part aux débats.
Il y avait beaucoup de puérilité dans ces raisons. Il y avait surtout dans cette attitude un refus assez périlleux de s’engager et, pour chacun, une impuissance inquiétante à prendre mesure sur les événements de ses sentiments et de ses ambitions. On ne peut donc qu’accorder une grande importance aux signes d’un « rajeunissement de la politique » qui est annoncé d’abord par une renaissance de la politique. Dans un ensemble d’essais qu’ont réunis sous ce titre M. Pierre d’Exideuil et plusieurs jeunes écrivains 1, quelques témoignages sur ce sujet offrent un grand intérêt. La force d’une même conclusion donne sa consistance à un débat où sont intervenus des esprits assez divers qui n’ont pas eu le dessein d’atténuer leur diversité : il faut que la pensée vienne nourrir la vie politique. Pour M. Pierre d’Exideuil, cette conclusion exprime la nécessité d’une culture politique. Non seulement la nation est généralement tenue dans l’ignorance, mais elle est incapable d’apprécier la réussite des gouvernements, leur échec ; elle est insensible à la leçon des événements. Elle ne peut échapper aux faux calculs des partis et aux incertitudes de son instinct qu’en appliquant à la politique un sens critique qui est, nous semble-t-il, le bon sens restauré et aidé par l’expérience. C’est la même idée que M. Daniel-Rops développe très fortement : le bilan qu’il dresse de notre situation n’est pas favorable aux intellectuels. Leur désintéressement en ces sortes de questions marque plutôt la démission d’une charge qu’ils ont craint d’assumer. Si la faillite de l’État est trop certaine, c’est que, trop souvent, le sentiment politique a manqué aux individus. La politique a sans doute trahi l’esprit. Mais l’esprit a commencé par trahir la politique. M. Daniel-Rops répond brillamment aux objections qu’on peut élever au nom d’une prétendue morale des clercs qui imposeraient à l’intellectuel de se désintéresser de la chose publique. Il peut lui arriver de s’en désintéresser : il lui arrivera difficilement de se soustraire aux conditions politiques que demande l’exercice désintéressé de sa pensée. Il lui faudra bien être sensible aux signes du désastre qui menace l’héritage de notre civilisation et qui le minerait, lui héritier privilégié, plus que tout autre. Telles sont également les conclusions de M. Jean Maxence, qui reprend ici des idées qu’il soutient depuis longtemps déjà avec courage et avec talent. Sans doute, dans le livre que nous signalons, le rajeunissement de la politique exprime surtout une nécessité, le besoin de rompre avec les explications conventionnelles, les formules toutes faites, les cadres ordinaires de l’action politique. Il nous semble que M. Pierre Cot se trompe, lorsque, dans le même livre, il ébauche « un plan de rajeunissement à l’usage du parti radical-socialiste ». C’est là une entreprise assez singulière, quoique l’ambition soit honorable. M. Cot admet que le parti radical a besoin d’être rajeuni. Il fait même un effort méritoire : il reconnaît que les luttes pour la laïcité sont périmées. Puis, il présente le programme pour lequel les jeunes générations sont appelées à s’enthousiasmer : le stade du patriotisme étant dépassé, la politique radicale ne sera ni une politique du prestige, ni une politique d’impérialisme ; elle combattra en faveur de l’organisation internationale de la paix et de l’école unique. Il annonce encore que les radicaux devront lutter contre le capitalisme et il affirme que, s’il faut absolument choisir entre Socialisme et Capitalisme, au nom de l’Individualisme il choisirait le Socialisme. En terminant sur ce sujet, M. Cot écrit enfin cette phrase qui est bien belle : « Les idées développées par Daladier ont fait le point et opéré ici le rajeunissement nécessaire. »Nous croyons que M. Cot se fait des illusions. Si la politique a besoin d’être rajeunie, c’est qu’elle est accaparée par les idées dont il tente l’émouvant sauvetage, et par d’autres du même genre. Toutes ces anciennes erreurs, ces programmes qu’épuisent les vieilles formules, ces combinaisons de mots fatigués ne représentent plus guère, pour les générations nouvelles, que des ambitions tenaces et des intérêts persévérants. Si jamais une réaction de jeunesse devient nécessaire, il y a vraiment bien peu de chances pour qu’elle se produise en faveur du radicalisme sénatorial et du jacobinisme sectaire. – M. BL.
Journal des débats, 2 mai 1932, à la Une
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