Acte III scène première
M. Filerin :
N'avez-vous
point de honte, Messieurs, de montrer si peu de prudence, pour des gens de
votre âge, et de vous être querellés comme de jeunes étourdis ? Ne voyez-vous
pas bien quel tort ces sortes de querelles nous font parmi le monde ? Et
n'est-ce pas assez que les savants voient les contrariétés, et les dissensions
qui sont entre nos auteurs et nos anciens maîtres, sans découvrir encore au
peuple, par nos débats et nos querelles, la forfanterie de notre art ? Pour moi,
je ne comprends rien du tout à cette méchante politique de quelques-uns de nos
gens. Et il faut confesser, que toutes ces contestations nous ont décriés,
depuis peu, d'une étrange manière, et que, si nous n'y prenons garde, nous
allons nous ruiner nous-mêmes. Je n'en parle pas pour mon intérêt. Car, Dieu
merci, j'ai déjà établi mes petites affaires. Qu'il vente, qu'il pleuve, qu'il
grêle, ceux qui sont morts sont morts, et j'ai de quoi me passer des vivants.
Mais enfin, toutes ces disputes ne valent rien pour la médecine. Puisque le
Ciel nous fait la grâce, que depuis tant de siècles, on demeure infatué de
nous, ne désabusons point les hommes avec nos cabales extravagantes, et
profitons de leur sottise le plus doucement que nous pourrons. Nous ne sommes
pas les seuls, comme vous savez, qui tâchons à nous prévaloir de la faiblesse humaine.
C'est là que va l'étude de la plupart du monde, et chacun s'efforce de prendre
les hommes par leur faible, pour en tirer quelque profit. Les flatteurs, par
exemple, cherchent à profiter de l'amour que les hommes ont pour les louanges, en leur
donnant tout le vain encens qu'ils souhaitent : et c'est un art où l'on fait,
comme on voit, des fortunes considérables. Les alchimistes tâchent à profiter
de la passion qu'on a pour les richesses, en promettant des montagnes d'or à
ceux qui les écoutent. Et les diseurs d'horoscopes, par leurs prédictions
trompeuses profitent de la vanité et de l'ambition des crédules esprits : mais
le plus grand faible des hommes, c'est l'amour qu'ils ont pour la vie, et nous
en profitons nous autres, par notre pompeux galimatias ; et savons prendre nos
avantages de cette vénération, que la peur de mourir leur donne pour notre
métier. Conservons-nous donc dans le degré d'estime où leur faiblesse nous a
mis, et soyons de concert auprès des malades, pour nous attribuer les heureux succès
de la maladie, et rejeter sur la nature toutes les bévues de notre art. N'allons
point, dis-je, détruire sottement les heureuses préventions d'une erreur qui
donne du pain à tant de personnes (et, de l’argent de ceux que nous mettons en
terre, nous fait élever de tous côtés de si beaux héritages.)
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