mercredi 12 octobre 2022

La filouterie : Les mots perdus

 Antonin Artaud


La conception avant-gardiste de l'art, si présente au XXème siècle, n'a jamais été une préoccupation d' Artaud. Au contraire, sa révolte, contre toute réduction sodé la vie et des créations possibles, s'insurge contre l'assujetissement de l'esprit individuel à une culture historique qu'il s'agirait d'aménager, de prévoir, d'anticiper. En 1924, dans un court article publié dans La criée , il regrette la position avant-gardiste nouvellement acquise par Picasso, qui se met à peindre "dans l'avenir", bâtissant ses oeuvres "avec le style que le temps leur conférera Artaud y voit la fin de "la force prodigieuse de vie qui crépitait dans les lignes denses"  et de la "réalité inconnue et profonde, où toute l'âme se retrouvait" de ses premiers tableaux cubistes, quand il ne se souciait pas de créer en de définitions et de formes pensées du point de vue de la culture à venir. Artaud remarque la rupture entre une expression vivante - lorsque l'art est le médium d'un esprit singulier - et une oeuvre figée - lorsque l'art n'a plus qu'une signification arrêtée en dehors de la singularité. L'avant-garde pense en effet la possibilité d'occuper singulièrement et intimement des positions ayant une signification entièrement historique, mais la révolte d'Artaud est le refus de tout tempo unique qui serait le rythme de l'histoire. Cette irréductibilité du mouvement de la vie au mouvement général d'une époque qui se cristallise autour de la souffrance dans la "lettre à monsieur le législateur de la loi sur les stupéfiants" (1925): tout jugement général et générique sur la souffrance d'un homme est, en plus d'être fausse, infâme.

"il n'existe pas de sismographe humain qui permette à qui me regarde d'arriver à une évaluation de ma douleur plus précise, que celle, foudroyante, de mon esprit".

Juger un état limite commun à tous les hommes, c'est limiter ces derniers, et les méconnaitre; c'est enclore toute vie dans les bornes d'un acceptable immuable, en pensant par états, étapes, positions définies résumant toutes les vies. La poésie cherche au contraire à exprimer ce qui fait vaciller toute ultime cloison, et c'est justement la certitude de l'irréductible singularité qui porte une tension réellement universelle".

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