jeudi 10 décembre 2020

LETTRES (SOCIÉTÉ DES GENS DE) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 

 La fondation de cette société date de 1838 et avait été précédée de celle de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, en 1829. Les deux ont pour objet d'assurer aux auteurs la propriété de leurs œuvres, de percevoir leurs droits de représentation et de reproduction. Elles sont aussi des organisations de secours mutuels pour venir en aide à leurs membres et leur procurer une pension de retraite. Dans un état social où l'art est détourné de sa véritable destination et considéré comme une marchandise soumise à la façon de toute autre à la loi de l'offre et de la demande, il paraît normal que ceux qui le produisent défendent leurs intérêts professionnels et veuillent s'assurer par lui la sécurité de leurs vieux jours ainsi que des boutiquiers ou des ouvriers. Il n'y aurait rien à redire dès lors à l'existence de ces sociétés si elles se cantonnaient dans les buts qu'elles se sont donnés. Mais elles sortent parfois de leur rôle pour des manifestations regrettables qui montrent trop leur défaut d'indépendance en face des puissances officielles et leur état de sujétion aux dispensateurs de finance et de notoriété. Elles aggravent ainsi la situation de l'art au lieu de la relever. La Société des Gens de Lettres, comme l'Académie, prend trop souvent un parti peu reluisant pour elle dans les cas où l'honneur de la pensée en général, celui des lettres en particulier, exigerait plutôt le parti contraire, tout au moins l'abstention et le silence, Elle est trop préoccupée de flatter le pouvoir, de considérer le faux mérite à la place du vrai, de favoriser l'arriviste aux dépens du véritable artiste et de lancer le coup de pied de l'âne au lion malade. Si elle ne suivit pas le grotesque Xavier de Montépin demandant la radiation de Victor Hugo parce qu'il avait offert l'hospitalité aux proscrits de la Commune elle renia ceux de ses membres qui furent de ces proscrits : Razone, Paschal Grousset, Félix Pyat, Jules Vallès. Elle prit parti à sa façon, celle du pouvoir, dans l’affaire Dreyfus en examinant s'il n'y avait pas lieu de chasser Zola de son sein. Pudiquement, elle laissa coller un pain à cacheter à l'endroit de la Légion d'honneur sur le portrait de l'auteur de : J'accuse!... Séverine a raconté ces choses et elle les a complétées par un jugement de Vallès où il a flétri comme il convient tant de domestiques et de tripoteurs de lettres au milieu desquels se trouvent de trop rares consciences. Nous en extrayons ces lignes à propos de sa réintégration dans la Société des Gens de Lettres, lorsqu'après l'amnistie officielle la Société ne risquait plus d'indisposer contre elle les dispensateurs de croix, et de faveurs. Elles complètent ce que nous avons écrit au sujet des gens de lettres : « ...Vallès a été réintégré dans les cadres, Grousset le serait fin courant, s'il y tenait, et ils verraient accourir à eux, la lèvre souriante, ceux qui s'écartaient jadis en criant : Raca! C'est pour cela que je n'ai point pris aujourd'hui le chemin de la rue Geoffroy-Marie. Il est dur de refuser la main à de certaines gens ; plus dur encore de l'accepter de certaines autres. Il y a des offres de raccommodement qui font rougir pour qui les tente. C'est celui-là même souvent qui fêla le verre du camarade exilé et cracha dedans. Il a beau, maintenant, essuyer du doigt et de la langue le verre rapiécé, je ne veux pas de ce verre-là pour trinquer... On est fier d'avoir excité tant d'envies, d'avoir provoqué tant de haines! Il s'y mêle de la gaieté. Ceux qui ont commis une lâcheté doivent garder cela comme de la vermine sur la peau, comme les poux dans la couture des culottes. Ils se cachent pour se gratter, mais on sent tout de même qu'ils ont le derrière en feu. Allons! Mieux vaut avoir été visé à la tête et avoir trainé une croix pesante sur un grand Calvaire »... Oh! oui! comme concluait Séverine. - Edouard ROTHEN


Aucun commentaire: