Au sens ordinaire du mot, on entend par législation un ensemble de lois en vigueur à une époque et dans un pays donnés ; ainsi l'on parle de législation ancienne et moderne, française, russe, américaine, de législation des loyers, commerciale, industrielle, etc. La fabrication des lois et règlements, conséquence du pouvoir de commander que s'arrogent les gouvernants, suivit l'institution de conseils d'anciens, puis de chefs, dans les tribus primitives mais longtemps la volonté des maîtres ne fut pas codifiée de façon durable et systématique. Aujourd'hui d'innombrables prescriptions règlementent, jusque dans le détail, les moindres actions des « libres » citoyens d'Europe et d'Amérique ; d'où l'énorme développement de législations qui sans cesse empiètent sur le domaine déjà si restreint de l'indépendance individuelle. En Grèce, Lycurgue donna à Sparte des institutions imitées de celles de Crète ; impitoyables pour l'esclave et l'enfant, dures pour tous, elles visaient seulement à former des soldats. Plus humaines, celles que les Athéniens reçurent de Solon se modifièrent peu à peu ; le peuple possédait le pouvoir législatif eu principe avec de nombreuses restrictions dans la pratique. Mais c'est à Rome que les deux notions corrélatives d'état et de loi devaient acquérir leur plein développement ; acceptées avec empressement par les despotes, elles se sont acclimatées depuis chez la généralité des peuples. Le droit romain fut complètement codifié sous l'empereur Justinien, au XIème siècle de notre ère, par des jurisconsultes qui réunirent les prescriptions édictées aux époques antérieures ; déjà, au milieu du IIIème siècle, sous le règne des Sévères, il présentait ses lignes essentielles. Coutume, loi, édits du préteur constituaient sa triple source. Ensemble de règles écrites et transmises par la tradition, la coutume des ancêtres (mos majorum) était respectée autant que la loi écrite par les Romains ; toutefois elle avait pour sanction la colère des dieux ; non des châtiments infligés par le magistrat. La loi (lex) désignait à l'origine les engagements réciproques pris, les uns envers les autres, par les citoyens. C'était du Vème siècle avant notre ère que datait la Loi des Douze Tables, la première encore toute imprégnée d'esprit théocratique ; elles devinrent innombrables. Si le pouvoir législatif appartenait au peuple, il ne pouvait l'exercer qu'avec la coopération d'un magistrat. Quant aux Edits du préteur, malgré leur caractère transitoire, ils tinrent une place considérable dans la législation romaine. Lorsqu'il entrait en charge, le chef suprême de la justice, le préteur urbain, faisait connaître les principes qui le guideraient dans la rédaction de ses arrêts; sans pouvoir contredire formellement la loi, il était libre d'innover et d'interpréter à sa façon. En droit son édit ne lui survivait pas, cessant d'être applicable lorsqu'il sortait de charge, au bout d'un an ; en fait, les édits successifs se complétèrent en général, loin de se détruire, et leur ensemble fit partie intégrante du droit. A Rome la connaissance des lois fut toujours en honneur ; mais c'est durant les trois premiers siècles de l'Empire que la jurisprudence atteignit son développement maximum avec Labéon, Julianus, Gaïus, Papien, Ulpien, Paul. Ces juristes consacrèrent la toute-puissance du prince ; dans l'Etat, tout sujet, disaientils, devait obéir aveuglément au maître. Naturellement les empereurs chrétiens ne répudièrent pas ces idées ; en 426, la Loi des Citations, rendue sous Théodose II et Valentinien III, décida même que les écrits de Papinien, Paul, Gaïus, Ulpier, Modestin auraient force de loi ; en cas de partage on prendrait l'opinion qui avait pour elle le plus grand nombre de ces jurisconsultes, et si les suffrages se répartissaient en fraction égales, celle de Papinien. Le catholicisme, qui calqua sa constitution sur celle de, l'empire, devait verser également dans les idées centralisatrices et autoritaires, inspirées du droit romain. Grâce à lui le Corpus juris civilis publié sous Justinien, et qui réunissait toutes les lois antérieures ou de l'époque dans divers ouvrages : Code, Novelles, Institutes, Pandectes continua d'être enseigné dans les Universités, au moyen âge. On connaît le rôle joué, en France, par les légistes dans l'établissement de la monarchie absolue ; la tradition qu'ils ont créée subsiste. Maintes fois le personnel gouvernemental a changé ; aux Capétiens ont succédé les Bonapartes, ainsi que des ministres et présidents républicains ; les tendances autoritaires et centralisatrices ont persisté sous tous les régimes successifs. Un Richelieu, un Robespierre, un Napoléon, un Clémenceau professaient des idées différentes ; ils se ressemblent étrangement, dès qu'on observe leur caractère et leurs procédés de gouvernement. Au point de vue législatif, l'ancienne France comprenait des pays de coutume et des pays de droit écrit ; les premiers étant situés au nord dans l'ensemble, les seconds au midi. Fondé sur l'usage, le droit coutumier variait de province à province et même de localité à localité. On évaluait à plus de trois centsoixante le nombre des coutumes, soit générales, soit spéciales : les premières, une soixantaine, régissaient une portion considérable de territoire, les autres se restreignaient parfois à une ville ou même à un village. Ce qui faisait dire à Voltaire que, chez nous, le voyageur changeait de lois presque aussi souvent que de chevaux. Quand le juge ignorait la coutume et que les parties n'étaient pas d'accord à son sujet, on l'établissait, grâce à la déposition de deux turbes ou groupes de dix témoins : avant la rédaction écrite des coutumes, faite à la suite de l'ordonnance de Montil-les-Tours par Charles VII, en 1453. Le droit romain servait de base à la législation, en pays de droit écrit ; mais les usages locaux et la jurisprudence des parlements l'avaient modifié plus ou moins profondément. En Bourgogne, en Franche-Comté, par exemple, il n'avait force de loi que sur les points non réglés par la coutume. Les ordonnances royales, applicables en principe à tout le pays, furent un élément d'uniformité ; néanmoins certaines restèrent sans force, dans l'une ou l'autre région, par suite du refus d'enregistrement des parlements locaux. Au droit ancien succéda le droit révolutionnaire, collection des lois faites par la Constituante, la Législative, la Convention, le Directoire et le Consulat, du moins à ses débuts. Son ère s'ouvre le17 juin 1789 et se clôt le 15 mars 1803 ; il s'inspirait des principes consacrés par la Révolution et visait à soumettre le pays à une législation uniforme. « Il sera fait un code de lois civiles communes à tout le royaume » dit un article de la Constitution de 1791 ; mais les assemblées révolutionnaires successives échouèrent dans cette entreprise. A côté des lois qu'elles édictèrent et qui furent appliquées sur l'ensemble du territoire, le droit ancien subsista avec son infinie variété pour tous les points non réglementés par les nouveaux législateurs. C'est de la rédaction du code civil, commencée en 1800 et terminée en 1804, que date le début de la législation actuellement appliquée en France. Un arrêté des consuls du 24 thermidor, an VIII, nomma une commission de quatre membres : Tronchet, Portalis, Bigot-Préameneu, Malleville, chargée d'établir les projets primitifs. Projets que l'on modifia d'après les observations de la cour de cassation et des tribunaux d'appel, pour les transformer en lois suivant les formes admises par la Constitution de l'an VIII, alors en vigueur. Rejeté une première fois par le corps législatif, à la suite d'un vœu défavorable du tribunat, le premier projet aboutit néanmoins, grâce à Bonaparte, qui tenait absolument à son adoption. Trente-six lois furent ainsi promulguées successivement, puis, en exécution de la loi du 21 mars 1804, réunies en un seul corps pour former le code civil. Ce code (voir ce mot), était divisé en trois livres : le premier, intitulé Des personnes ; le second, Des biens et des différentes modifications de la propriété ; le troisième, Des différentes manières dont on acquiert la propriété. Il comprenait trente-six titres, en tout, correspondant aux trente-six lois primitivement votées, et chacun se subdivisait en chapitres, sections et paragraphes. Une première édition officielle en fut donnée en 1804 ; une deuxième fut décrétée par la loi du 3 septembre 1807, sous le nom de code Napoléon ; une troisième, en harmonie avec le gouvernement de la royauté, résulta d'une ordonnance de Louis XVIII, du 30 août 1816. Ce fut la dernière édition officielle, celle qui continue d'être en vigueur sous la troisième république. Naturellement le code civil, qui marquait cependant un progrès sur la législation antérieure, a consacré toutes les iniquités dont nous souffrons ; il a garanti les propriétaires contre les plus équitables réclamations, placé la femme en tutelle par rapport au mari, méconnu les droits de l'enfant naturel, assuré le triomphe définitif du veau d'or. Son complément, le code de procédure civile, fut voté en 1806, et devint obligatoire à partir du 1er janvier 1807 ; le code de commerce, voté en 1807, devint obligatoire l'année suivante. Code pénal et code d'instruction criminelle datent, le second de 1809, et le premier de 1810 ; ils n'entrèrent en vigueur qu'en 1811 ; on y trouve la liste des infractions, les règles relatives à leur poursuite et les pénalités qui les frappent. D'autres codes ont paru depuis : forestier, de justice militaire, rural, du travail et de la prévoyance sociale. A côté du code il y a place, dans la législation, pour des lois qui le complètent ou qui l'abrogent ; leur nombre est tel qu'un seul individu ne parviendrait pas à les connaître toutes, même en étudiant sa vie entière. On voit combien plaisante la règle qui déclare : « Nul n'est censé ignorer la loi ». Cette dernière consiste dans la déclaration expresse d'une autorité compétente, d'après la Constitution, et qui règle d'une manière générale une série indéfinie de relations juridiques. Autrefois confondus dans les mains d'un monarque absolu, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont, d'ordinaire, confiés à des organes différents chez les peuples modernes. Montesquieu voyait dans cette séparation des pouvoirs une garantie contre l'arbitraire gouvernemental ; nous constatons, hélas, quotidiennement qu'elle n'arrête ni les ministres ni les juges dans leur lutte contre les esprits indépendants. Certaines autorités administratives disposent d'ailleurs du pouvoir réglementaire qui s'appellerait plus exactement pouvoir législatif ; enfin les actes gouvernementaux prennent parfois le titre significatif de décrets-lois. Œuvre de l'Assemblée Nationale, les lois constitutionnelles sont votées et abrogées par elle seule, en France ; le pouvoir législatif ordinaire appartient au Sénat et à la Chambre des députés. Sauf en ce qui concerne les finances, un projet de loi peut être présenté en premier lieu devant l'une ou l'autre Assemblée indifféremment ; mais les deux doivent le voter en termes concordants pour qu'il obtienne force légale. Pour devenir exécutoire la loi doit être promulguée par le président de la République ; il est d'ailleurs obligé de le faire et peut seulement exiger une nouvelle délibération des Chambres. Cette promulgation est portée à la connaissance du public par l'insertion au Journal officiel ou au Bulletin des Lois ; après expiration d'un délai prétendu suffisant pour que ces recueils parviennent aux mains des particuliers, la loi est désormais obligatoire. Elle sera abrogée, soit d'une façon expresse par une déclaration du législateur, soit d'une façon tacite lorsqu'elle s'avère incompatible avec une loi plus récente. Quant au pouvoir réglementaire, il est exercé par le maire dans sa commune, par le préfet flans son département, par le président de la République sur l'ensemble du territoire. La coutume n'occupe qu'une place très effacée dans notre législation ; elle ne crée de règles nouvelles que dans un domaine restreint, lorsqu'il s'agit de matières où l'on doit tenir compte de la diversité locale, et dans l'interprétation des conventions où les parties ne s'exprimèrent pas clairement. Mais l'ensemble des codes et des lois, décrétés par les gouvernements successifs, constitue un réseau aux mailles si serrées que l'individu est littéralement étouffé par ce monstrueux appareil. Après une période où la liberté fut, sinon bien comprise, du moins très prônée, l'Etat est redevenu le dieu par excellence, le Souverain bien ; l'individu n'existe qu'engrené, qu'intégré dans lui, son âme particulière ne doit être qu'un reflet de l'âme collective. Non seulement l'Etat peut faire tout ce qu'il veut, mais il doit tout faire et tout penser ; c'est la société qui nous permet de devenir ce que nous sommes, des êtres instruits et civilisés, des hommes non des animaux, disait en substance Auguste Comte, aussi n'avons-nous à son égard que des devoirs, alors qu'elle dispose contre nous de tous les droits. A la société obéissons donc, passivement, aveuglément, comme les membres obéissent au cerveau qui les commande et les dirige ; car l'individu n'est qu'une abstraction, seules existent les collectivités! Izoulet fera même de ces dernières des animaux à part, les hyperzoaires ; et Durkheim, remplaçant le vieux Jahveh par l'Etat, proclamera que seul est moral ce qui est social. Naturellement les chefs deviennent les pontifes du nouveau dieu, et, comme ceux de Jésus, ils exigent le respect des multitudes prosternées. Inutile d'ajouter que les fidèles du culte sociologique se recrutent, en général, parmi les bien-casés ou parmi ceux qui espèrent l'être ; Durkheim trônait en Sorbonne, dictateur accrédité par la république pour la nomination des professeurs de philosophie dans les facultés. Cette superstition étatiste, elle est à la base du fascisme ; et, malheureusement aussi, du bolchévisme russe, que nous défendons bien volontiers contre les critiques intéressées du capitalisme, mais dont le mépris pour la liberté des individus ne cadre point fraternité, qui est nôtre. Elle constitue le côté faible des doctrines socialistes admises par beaucoup aujourd'hui ; le législateur n'a point la toute-puissance qu'on lui prête, et c'est méconnaître la valeur des individus, de les réduire au rôle de rouages impersonnels dans une administration devenue mécanique. Très instructives à ce sujet paraissent les institutions du vieux Pérou ; elles réalisèrent, sous des formes primitives assurément, un état social que nos capitalistes déclarent impossible et qui pourtant subsista, dans ce pays, jusqu'à l'arrivée des Espagnols. Pris en tutelle de la naissance à la mort, par un état despotique mais tutélaire, l'individu était à l'abri des accidents et du besoin, à condition d'obéir et de travailler. On ne l'accablait point, n'exigeant, même dans les mines, qu'un travail proportionnel à ses forces. Le sol, propriété de l'Inca, vivante incarnation de l'Etat, était divisé en trois parts, l'une pour les prêtres, l'autre pour l'Inca, la troisième, répartie chaque année en lots de même valeur, pour le peuple qui cultivait l'ensemble. Marié obligatoirement avec une parente, à l'âge de vingt ans, le jeune homme obtenait un lot qui gran enfants. Défense de changer de séjour ou d'abandonner la profession héritée des parents ; on devait aider ses voisins et prendre part aux travaux d'utilité publique. Les ouvriers réquisitionnés par l'Etat étaient entretenus à ses frais ; les femmes tissaient des vêtements chauds pour les montagnards et d'autres plus légers pour les habitants des plaines. Crime capital, l'oisiveté n'était pas tolérée même chez les enfants ; les vieillards impotents entretenus par la collectivité, s'occupaient à de menues besognes. On n'abandonnait ni les infirmes, ni les veuves ; de grands dépôts de provisions garantissaient le peuple contre la famine ; des jours de fête bien répartis permettaient un repos suffisant. La loi de l'offre et de la demande était inconnue, il n'y avait ni impôts, ni commerce. A la base, la population était répartie en groupes de dix, surveillés par un dizainier ; cinq dizaines donnaient une cinquantaine, deux cinquantaines une centaine, puis venaient des groupes de cinq cents et mille habitants, tous dotés d'un surveillant responsable. Des districts cantonaux de dix mille âmes avaient à leur tête des parents de l'Inca ; enfin la capitale, Cuzco, était divisée en quatre sections, orientées d'après les points cardinaux, et répondant à des circonscriptions qui englobaient l'ensemble de l'empire ; les quatre vice-rois chargés de leur administration formaient le conseil de l'Inca. Tout aboutissait au gouvernement central et tout en émanait ; le Pérou n'était qu'une immense usine surveillée par des contremaîtres ; aucune place, nulle part, pour la liberté individuelle. Le Mexique avait eu une organisation analogue, de nombreux vestiges l'attestaient ; mais l'avidité des rois, puis des nobles, lorsque le régime féodal eut succédé à la centralisation monarchique, finit par écraser les petits. Un fisc impitoyable vendait comme esclaves ceux qui ne pouvaient lui donner satisfaction ; les corvées devinrent excessives, le travail quotidien épuisant. Néanmoins une part des taxes en nature servait encore à l'entretien des vieillards et des pauvres. Ajoutons qu'au Paraguay les Jésuites imitèrent avec succès les institutions péruviennes ; mais, remplissant le rôle de l'Inca, ils en tirèrent d'énormes richesses pour leur congrégation. Une telle organisation n'est possible que chez des peuples jeunes, qui ignorent tout de la liberté ; la vie régulière, le confort qu'elle procure, ne sont point désirables, lorsqu'elles ont pour complément obligatoire une chaîne et un collier. Simples troupeaux que l'on parque et pousse à volonté, que l'on ménage parfois pour en tirer un plus grand profit, les peuples ne sont alors que des amas grégaires de bêtes domestiquées. Dépourvus d'initiative, habitués à obéir, Péruviens et Mexicains furent une proie facile pour les aventuriers venus d'Europe. Souhaitons que la Russie fasse une place suffisante à l'individualisme pour ne point subir le même sort ; et que ses guides, poussant au delà du marxisme, préparent l'avènement d'une ère de liberté. Sa législation contient des innovations heureuses ; rendons-lui justice, sans oublier que l'étape qu'elle représente, dans le devenir humain, doit nécessairement être dépassée. Comme celle de France et des autres pays, elle a d'ailleurs le tort de répondre seulement aux desiderata des dirigeants, rouges en Russie, roses en Angleterre, blancs en Italie, mais tous persuadés que le populaire leur doit obéissance. Fausse croyance, qui fonde leur empire, mais que dément la raison. Puisse un jour l'humanité devenue sage reléguer, au musée des antiquailles, l'attirail des lois immondes qui la ligotent depuis si longtemps. - L. BARBEDETTE
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